France
Les chercheurs résistent
Après plusieurs mois de bras de fer entre les chercheurs et le gouvernement, le dialogue n’est toujours pas véritablement noué. Le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin a bien tenté de faire un geste en annonçant, le 6 mars, quelques mesures destinées à calmer une partie des revendications des scientifiques, mais il n’a pas obtenu l’écho souhaité. Tant et si bien que la menace de démission collective des chefs de laboratoires signataires de la pétition «Sauvons la recherche !» est toujours à l’ordre du jour.
Trois milliards, ce n’est pas assez. Du point de vue d’Alain Trautmann, le porte-parole du collectif «Sauvons la recherche!», la proposition du Premier ministre de débloquer, d’ici la fin de la législature en 2007, trois milliards d’euros de crédits supplémentaires, ne représente pas une avancée majeure dans la négociation engagée sur le thème de «l’asphyxie financière» de la recherche publique en France. «C’est juste une façon de formuler la promesse ancienne de Jacques Chirac de consacrer 3 % du PIB [produit intérieur brut] à la recherche», a-t-il ainsi déclaré concernant cette annonce, ajoutant qu’il s’étonnait que «le gouvernement qui juge que de créer 500 emplois, soit 20 millions d’euros par an, c’est impossible», annonce, par ailleurs que «trois milliards en trois ans, c’est possible».
Car c’est bien au niveau des postes statutaires de chercheurs que la bât blesse. Les scientifiques en colère ne veulent pas céder sur ce point. La réduction du nombre de postes à pourvoir en contrats à durée indéterminée dans les laboratoires publics proposée par la gouvernement et leur remplacement par des missions temporaires pour mener à bien des projets spécifiques, ont provoqué un mouvement de révolte. Car cette décision reviendrait, selon les principaux intéressés, à faire des jeunes chercheurs à bac+10 des précaires à long terme. Et surtout, à les inciter à aller chercher à l’étranger, aux Etats-Unis notamment, la reconnaissance de leur compétence.
Dans ce contexte, le collectif «Sauvons la recherche !» a maintenu son ultimatum au gouvernement et doit décider à l’occasion d’une assemblée générale, le 9 mars, s’il y a lieu de poursuivre le mouvement de protestation et de passer à la vitesse supérieure en appliquant le mot d’ordre de démission collective des chefs de laboratoires. Si c’était le cas, tous les démissionnaires arrêteraient d’accomplir les tâches administratives liées à leur fonction et ne se consacreraient plus qu’à leur activité scientifique. Une telle situation serait totalement inédite en France et pourrait rapidement bloquer le fonctionnement des centres concernés car les directeurs gèrent l’achat du matériel, signent les ordres de missions, préparent les budgets…
Le CNRS critiqué
Même si le professeur Etienne-Emile Baulieu, président de l’Académie des Sciences, qui a été sollicité avec Edouard Brézin, le vice-président de la même académie, par Jean-Pierre Raffarin pour accomplir une mission de médiation auprès des chercheurs, a essayé de calmer le jeu, les positions semblent radicalisées. Et pourtant, le professeur Beaulieu estime que le gouvernement a fait «un effort considérable» qui pourrait constituer un bon point de départ pour une remise à plat de l'ensemble des problèmes. Car au-delà des revendications émises par les chercheurs français concernant la baisse des budgets, une autre polémique est venue alimenter le débat sur la recherche. Elle concerne le fonctionnement de certains grands laboratoires.
Trois rapports ont, en effet, mis en cause la gestion et la compétitivité du fleuron de la recherche publique française, à savoir le CNRS (Centre national de la recherche scientifique). Le premier a été réalisé par la Cour des comptes en 2001, le deuxième par l’Inspection générale des finances en 2003, et le troisième vient d’être rendu par une commission indépendante supervisée par Henri Guillaume, ancien directeur de l’Agence nationale pour la valorisation de la recherche (ANVAR). A chaque fois, les conclusions ont mis en évidence «l’immobilisme» et le «manque d’évaluation» externe des recherches, avec à la clef des interrogations sur la pertinence des choix de projets, sur l’utilisation des budgets souvent reconduits tels quels, et la capacité des équipes à être performantes.
Ces audits très sévères ont amené de l’eau au moulin du gouvernement qui plaide pour une réforme en profondeur de la recherche française dans un souci d’efficacité et de rentabilité. Le ministre délégué au Budget, Alain Lambert, a d’ailleurs expliqué sur ce point la logique gouvernementale qui vise à «développer la culture de performance et de résultat dans la recherche publique». Claudie Haigneré, la ministre déléguée à la Recherche, a été dans le même sens en déclarant que «notre dispositif, trop émietté, lourd et administratif, appelle des réformes de grande ampleur». Cette vision n’est évidemment pas partagée par les chercheurs français qui attribuent les dysfonctionnements avant tout aux restrictions budgétaires qui empêchent les laboratoires publics de travailler dans des conditions et avec des moyens équivalents à ceux des grands pays industrialisés.
Les points de vue des uns et des autres devraient pouvoir s’exprimer et se confronter dans le cadre du «Comité national pour l’avenir de la recherche française», dont la mise en place a été confiée à Etienne-Emile Baulieu par le Premier ministre. Ce comité auquel le porte-parole du collectif «Sauvons la recherche !», Alain Trautmann, a accepté de participer, doit remettre à Jean-Pierre Raffarin, d’ici l’été 2004, des propositions qui serviront de base à la rédaction de la prochaine loi d’orientation et de programmation de la recherche. Pour le professeur Baulieu, quels que soient leurs points de vue, les chercheurs se doivent d’être pragmatiques et de participer aux débats de cette instance : «Nous avons l’occasion historique d’ici à cet été de faire des propositions concrètes pour remettre la recherche française sur les rails. Ne passons pas à côté».
A écouter :
Marc Peschanski, Directeur de Recherche de l'unité 421 à l’Inserm (Invité de Noëlle Velly le 09/03/04)
8 min. et 12 sec
Colette Thomas, journaliste à RFI fait le point sur la situation le 9 mars au micro de Frédérique Genot.
5 min. et 26 sec
Car c’est bien au niveau des postes statutaires de chercheurs que la bât blesse. Les scientifiques en colère ne veulent pas céder sur ce point. La réduction du nombre de postes à pourvoir en contrats à durée indéterminée dans les laboratoires publics proposée par la gouvernement et leur remplacement par des missions temporaires pour mener à bien des projets spécifiques, ont provoqué un mouvement de révolte. Car cette décision reviendrait, selon les principaux intéressés, à faire des jeunes chercheurs à bac+10 des précaires à long terme. Et surtout, à les inciter à aller chercher à l’étranger, aux Etats-Unis notamment, la reconnaissance de leur compétence.
Dans ce contexte, le collectif «Sauvons la recherche !» a maintenu son ultimatum au gouvernement et doit décider à l’occasion d’une assemblée générale, le 9 mars, s’il y a lieu de poursuivre le mouvement de protestation et de passer à la vitesse supérieure en appliquant le mot d’ordre de démission collective des chefs de laboratoires. Si c’était le cas, tous les démissionnaires arrêteraient d’accomplir les tâches administratives liées à leur fonction et ne se consacreraient plus qu’à leur activité scientifique. Une telle situation serait totalement inédite en France et pourrait rapidement bloquer le fonctionnement des centres concernés car les directeurs gèrent l’achat du matériel, signent les ordres de missions, préparent les budgets…
Le CNRS critiqué
Même si le professeur Etienne-Emile Baulieu, président de l’Académie des Sciences, qui a été sollicité avec Edouard Brézin, le vice-président de la même académie, par Jean-Pierre Raffarin pour accomplir une mission de médiation auprès des chercheurs, a essayé de calmer le jeu, les positions semblent radicalisées. Et pourtant, le professeur Beaulieu estime que le gouvernement a fait «un effort considérable» qui pourrait constituer un bon point de départ pour une remise à plat de l'ensemble des problèmes. Car au-delà des revendications émises par les chercheurs français concernant la baisse des budgets, une autre polémique est venue alimenter le débat sur la recherche. Elle concerne le fonctionnement de certains grands laboratoires.
Trois rapports ont, en effet, mis en cause la gestion et la compétitivité du fleuron de la recherche publique française, à savoir le CNRS (Centre national de la recherche scientifique). Le premier a été réalisé par la Cour des comptes en 2001, le deuxième par l’Inspection générale des finances en 2003, et le troisième vient d’être rendu par une commission indépendante supervisée par Henri Guillaume, ancien directeur de l’Agence nationale pour la valorisation de la recherche (ANVAR). A chaque fois, les conclusions ont mis en évidence «l’immobilisme» et le «manque d’évaluation» externe des recherches, avec à la clef des interrogations sur la pertinence des choix de projets, sur l’utilisation des budgets souvent reconduits tels quels, et la capacité des équipes à être performantes.
Ces audits très sévères ont amené de l’eau au moulin du gouvernement qui plaide pour une réforme en profondeur de la recherche française dans un souci d’efficacité et de rentabilité. Le ministre délégué au Budget, Alain Lambert, a d’ailleurs expliqué sur ce point la logique gouvernementale qui vise à «développer la culture de performance et de résultat dans la recherche publique». Claudie Haigneré, la ministre déléguée à la Recherche, a été dans le même sens en déclarant que «notre dispositif, trop émietté, lourd et administratif, appelle des réformes de grande ampleur». Cette vision n’est évidemment pas partagée par les chercheurs français qui attribuent les dysfonctionnements avant tout aux restrictions budgétaires qui empêchent les laboratoires publics de travailler dans des conditions et avec des moyens équivalents à ceux des grands pays industrialisés.
Les points de vue des uns et des autres devraient pouvoir s’exprimer et se confronter dans le cadre du «Comité national pour l’avenir de la recherche française», dont la mise en place a été confiée à Etienne-Emile Baulieu par le Premier ministre. Ce comité auquel le porte-parole du collectif «Sauvons la recherche !», Alain Trautmann, a accepté de participer, doit remettre à Jean-Pierre Raffarin, d’ici l’été 2004, des propositions qui serviront de base à la rédaction de la prochaine loi d’orientation et de programmation de la recherche. Pour le professeur Baulieu, quels que soient leurs points de vue, les chercheurs se doivent d’être pragmatiques et de participer aux débats de cette instance : «Nous avons l’occasion historique d’ici à cet été de faire des propositions concrètes pour remettre la recherche française sur les rails. Ne passons pas à côté».
A écouter :
Marc Peschanski, Directeur de Recherche de l'unité 421 à l’Inserm (Invité de Noëlle Velly le 09/03/04)
8 min. et 12 sec
Colette Thomas, journaliste à RFI fait le point sur la situation le 9 mars au micro de Frédérique Genot.
5 min. et 26 sec
par Valérie Gas
Article publié le 08/03/2004