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Espagne

L’héritage d’Aznar

Les élections législatives ne semblaient pas annoncer d’alternance politique. Ultrafavori, le candidat conservateur devait l’emporter. Mais les attentats qui ont durement frappé jeudi la capitale Madrid pourraient renverser ces certitudes. Lors des rassemblements qui ont réuni vendredi soir plus de onze millions de personnes contre le terrorisme, de nombreux Espagnols ont en effet réclamé «la vérité» sur ces attaques meurtrières «avant d’aller voter». Une vérité qui semble plus que jamais cruciale. Une responsabilité de l’ETA pourrait ainsi favoriser un réflexe sécuritaire favorable au Parti populaire du gouvernement sortant. Mais si la piste d’al-Qaïda venait à se confirmer, l’effet pourrait être contraire, les Espagnols pouvant être tentés de sanctionner un parti qui a engagé le pays dans une guerre à laquelle était pourtant opposé la majorité de la population.
Le 14 mars, l’Espagne ira aux urnes afin de renouveler les Cortes (Congrès des députés et Sénat), et quel que soit le résultat, José Maria Aznar, Premier ministre depuis huit ans, quittera la scène politique. S’il y a quelques jours encore, il semblait peu probable que la péninsule ibérique fasse le choix du changement, les attentats qui ont endeuillé Madrid pourraient changer la donne. Depuis son ouverture officielle, le 27 février dernier, la campagne s’est polarisé autour de deux rivaux, Mariano Rajoy, candidat du Parti populaire (PP) et «dauphin» d’Aznar, et José Luis Rodriguez Zapatero, candidat du Parti socialiste ouvrier (PSOE). Sans véritable duel. Car les électeurs, au vu des sondages récents, ne voyaient comme successeur potentiel d’Aznar que son dauphin.

Mais à la différence du dernier scrutin législatif, le score promet d’être serré. Il y a quatre ans, le PP avait remporté la majorité absolue au Congrès (183 sièges sur 350), loin devant le PSOE (125 sièges), la CiU (alliance électorale des conservateurs catalans, 15 sièges) ou l’IU (alliance électorale de gauche autour des communistes, 8 sièges). Le parti au pouvoir doit désormais compter avec plusieurs facteurs essentiels. Outre un bilan social mitigé et les velléités indépendantistes croissantes des communautés nées de la Constitution de 1978, il doit également prendre en compte les récents événements, le terrorisme s’étant invité dans la campagne électorale.

Une croissance ininterrompue depuis dix ans

Lors de la présentation de son bilan à la tête du gouvernement, José Maria Aznar s’est lancé des fleurs. Il est vrai qu’avec une croissance annuelle -et ininterrompue depuis dix ans- de 2,4%, un PIB qui a progressé de 31,6% -soit 9% en parité de pouvoir d’achat- en huit ans de mandat, un revenu des ménages qui a grimpé de 27,2%, un chômage réduit de moitié sur la même période (11,2% à la fin 2003), et des finances publiques à l’équilibre, l’Espagne est devenue le meilleur élève de l’Union européenne. Quitte à trop vite oublier que la population risque d’en payer le tribut dans les prochaines années. Si celle-ci vit incontestablement mieux qu’il y a dix ans, elle s’est fragilisée financièrement et structurellement : aujourd’hui, le salaire minimum piétine à 516 euros par mois (contre 1 100 euros en moyenne dans l’Union européenne), l’endettement des ménages a triplé depuis 1995, atteignant le record de 500,02 milliards d’euros selon la Banque d’Espagne, et la kyrielle d’emplois créés reste, in fine, peu garantie. Partant, la société s’est recroquevillée sur le noyau familial. Les électeurs seront prêts à moins de concessions.

Les revendications nationalistes sont l’autre facteur que le PP et le PSOE ne peuvent contourner. Les deux partis-phare, conscients de la force électorale des nationalistes, en proposent un traitement différent dans leurs thèmes de campagne. Mariano Rajoy reste fidèle à José Maria Aznar, qui prône le maintien de l’identité et donc de l’unité espagnoles et vilipende le projet des nationalistes basques «d’association libre avec l’Espagne» autrefois alliés électoraux. José Luis Rodriguez Zapatero défend une «Espagne plurielle», critiquant la vision centraliste des conservateurs. «Bambi» préfère sans doute étouffer le tollé qui a éclaboussé son parti en janvier dernier. Allié à la gauche républicaine catalane (ERC) dans le gouvernement régional de Catalogne, le PSOE s’est retrouvé en porte à faux après que l’organisation séparatiste basque ETA et le dirigeant de l’ERC se sont rencontrés en catimini dans le sud de la France. Cet incident a accentué l’impression de cacophonie régnant au PSOE, depuis le départ de son ex-leader, Felipe Gonzales et fait suite à la perte de la majorité à l’Assemblée parlementaire de Madrid, à cause de la démission de deux élus PSOE. Depuis, Zapatero peine à se faire entendre.

Il n’est pas non plus aisé pour le «dauphin» de prendre en main l’héritage que lui a confié le «roi» Aznar. Plus modéré et enclin à la négociation que l’actuel chef du gouvernement, Mariano Rajoy doit consolider sa position au sein du PP, tout en faisant avaler à l’opinion publique la prise de position de l’Espagne dans le dossier irakien et la gestion du Prestige.



par Aurélie  Boris

Article publié le 13/03/2004