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Terrorisme

L’ascension d’Ansar al Islam

L’organisation islamiste kurde proche d’al Qaïda, soupçonnée dans les attentats de Madrid s’est hissée sur la scène internationale alors qu’au départ, il ne s’agissait que d’un mouvement marginal limité aux montagnes du Kurdistan irakien.
À son apogée, avant l’attaque combinée des forces américaines et des pechmergas de l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK), au début de l’année dernière, peu avant l’intervention américaine en Irak, contre ses bases de Gouloup, Biyara et Taouila, dans les monts Haoramand, dans le sud du Kurdistan irakien, le mouvement islamique kurde Ansar al Islam ne comprenait pas plus de 600 à 700 partisans, répartis en huit katiba (bataillons) de quelques dizaines de combattants chacun. Tous étaient passés par le Mouvement Islamique du Kurdistan (MIK) de moulla Ali Abdel Aziz, avant de rejoindre des groupes plus extrémistes.

Pour la plupart, ces Ansar (partisans) étaient des Kurdes, très jeunes, assez frustes, et il y avait aussi quelques arabes, d’origines diverses (irakiens, jordaniens et syriens surtout). Mala Krekar, l’ancien émir du mouvement, qui avait été livré par les Iraniens aux Hollandais à l’automne 2002, a été remplacé juste avant l’offensive américaine par Abdoulla Shafei, un ancien jash (mercenaire kurde), qui devait son prestige au fait qu’il a combattu en Afghanistan, et peut-être en Tchétchénie. Tous les deux voulaient instaurer un Etat islamique au Kurdistan, mais ils ne semblaient pas à la hauteur de la tâche, et leur capacité de nuisance était relativement limitée...

Certes, les combattants d’Ansar al Islam avaient acquis d’un certain Abou Abdoul Rahman, d’origine syrienne, un réel talent pour manier les explosifs et poser des engins piégés redoutables, grâce auxquels ils étaient pratiquement inexpugnables dans leur redoute des monts Haoramand: après avoir perdu quelques dizaines de pechmergas au cours de plusieurs assauts, les maquisards de l’UPK, pourtant experts en guérilla, avaient pratiquement renoncé à les déloger.

Mais les opérations d’Ansar al Islam se limitaient à des enlèvements, à des attentats-suicides, et à des opérations certes spectaculaires, mais qui demandaient surtout de la détermination et du courage individuel: le 18 février 2001, Franso Hariri, un proche de Massoud Barzani, ancien gouverneur d’Erbil, était assassiné en pleine ville d’Erbil par un commando d’islamistes, appartenant à un groupe précurseur d’Ansar al Islam. Et le 2 avril 2002, un autre commando tentait d’assassiner Berham Saleh, le premier ministre du gouvernement kurde (UPK) de Souleimania, tuant plusieurs de ses gardes du corps. Cet attentat amena l’UPK à couper toutes relations avec un mouvement dont le leader avait été reçu par Jalal Talabani à son quartier général de Kala Tchoualan trois mois plus tôt.

Menant désormais une virulente campagne de propagande contre Ansar al Islam, l’UPK de Jalal Talabani s’efforcera de convaincre les Américains –témoignages de prisonniers à l’appui– de l’existence de liens entre cette organisation et al Qaïda et Saddam Hussain. Apparemment avec succès.

Le repli en Iran et le nouveau départ

En mars 2003, l’aviation américaine pilonne le bastion d’Ansar al Islam, tandis que plusieurs milliers de pechmergas de l’UPK partant à l’assaut des positions des islamistes. Environ 200 partisans d’Ansar al Islam sont tués, les autres –environ 500 combattants–- se repliant en Iran. Les Américains et les dirigeants de l’UPK crient victoire, mais c’est une victoire à la Pyrrhus.

Détenus par les Iraniens pendant quelques jours après avoir franchi la frontière, les partisans d’Ansar al Islam sont ensuite regroupés dans la région de Merivan, à Kani Khayram, où deux de leurs chefs, mala Asso Howleri (Le n° 3 de l’organisation, capturé depuis par les Américains) et mala Halgurt, leur disent que le mouvement va être réorganisé, et qu’ils vont retourner en Irak et reprendre leurs activités.

En juillet 2003, selon le témoignage de l’un d’eux fait prisonnier par l’UPK que nous avons pu interroger à Souleimania, ils sont reconduits à la frontière où des agents des services iraniens leur remettent leurs armes et des vivres.

Selon Kerim Sinjari, ministre de l’Intérieur du gouvernement kurde (PDK) d’Erbil, la nouvelle organisation est divisée en trois branches: une branche kurde, dans le nord, dirigée par Omar Bazyani, un Kurde de Kirkouk; une branche arabe, dans le centre, basée à Ramadi, sous les ordres d’Abou Wael, un ancien officier arabe de l’armée irakienne, de son vrai nom Saadoun Mahmoud al Ani; et une troisième branche, implantée dans le sud. Et très vite elle passe à l’action.

En octobre 2003, un Yéménite au volant d’un taxi chargé de 100 kg de TNT et 20 kg de C4 (un explosif encore plus puissant que le TNT) tentait sans succès d’assassiner Kerim Sinjari dans son ministère à Erbil: il était abattu par les policiers avant d’avoir pu actionner le détonateur. En décembre, un autre kamikaze arabe, yéménite ou saoudien, fait une nouvelle tentative contre Kerim Sinjari: son véhicule explose devant le ministère, tuant deux policiers et une femme.

Mais cette nouvelle organisation réalise des opérations beaucoup plus sophistiquées et meurtrières que ne pouvait le faire l’Ansar al Islam de la première génération: ce serait elle qui serait responsable de l’attentat contre le siège de l’ONU à Bagdad en août 2003 au cours duquel Sergio Vieira de Mello a trouvé la mort. Ce serait également elle qui serait responsable des deux attentats simultanés à Erbil, le 1 février dernier, qui ont fait 117 morts. Ces opérations requièrent une organisation, des capacités logistiques et des sources de renseignements hors de portée des petits maquisards kurdes des monts Haoramand. Seule une OPA menée par une organisation beaucoup plus vaste expliquerait qu’Ansar al Islam ait pu étendre son champ d’action à l’ensemble de l’Irak, et... éventuellement à l’Espagne.



par Chris  Kutschera

Article publié le 16/03/2004