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Chine

Rouge et capitaliste

La session de l’ANP (parlement chinois) s’ouvre ce vendredi à Pékin et dure dix jours. Réunissant plus de deux mille membres, l’ANP ne se réunit qu’une fois par an, et elle a pour fonction d’examiner et de ratifier les décisions prises par le Parti communiste, seul véritable détenteur du pouvoir.
De notre correspondant à Pékin

Cette année, l’ANP s’apprête à voter une importante modification à la Constitution. Il s’agit de la garantie que «tout bien privé acquis légalement par un citoyen chinois est inaliénable». Ce qui signifie que l’Etat reconnaît de plein droit la propriété privée des biens et s’engage en principe à la protéger.

Depuis leur prise de fonctions il y a plus d’un an, le président Hu Jintao et le premier ministre Wen Jiabao se présentent comme étant davantage à l’écoute des réalités sociales de leur pays. Cette modification de la constitution est le reflet de leur politique pragmatique, et s’inscrit dans une tendance historique. Le secteur privé chinois représente déjà près de la moitié de la richesse nationale, et tire la croissance vers le haut, les entreprises publiques se préparent à ouvrir largement leur capital aux investisseurs, tandis que depuis l’an dernier la «Théorie des Trois représentativités» de Jiang Zemin, inscrite aux côtés du marxisme, du maoïsme et du denguisme, autorise les entrepreneurs privés à rejoindre les rangs du Parti.

Le PC mise sur le capitalisme

Après la prise du pouvoir par Mao en 1949, l’État chinois avait saisi et nationalisé tout bien privé, les capitalistes avaient été qualifiés de «chiens puants». Aujourd’hui, après un quart de siècle d’ouverture économique, la nouvelle équipe au pouvoir mise sur le développement du capitalisme pour développer le pays. C’est pourtant toujours bien le Parti communiste qui est au pouvoir, et cette défense de la propriété privée par le Parti peut sembler être une contradiction flagrante dans les termes. Mais les dirigeants chinois ont déjà justifié ce grand-écart, expliquant à travers la presse officielle que «l’économie de marché est une étape indispensable pour parvenir la réalisation totale du communisme».

Si elle est vraiment mise en pratique et défendue par la loi, cette protection de la propriété privée pourrait avoir de grandes répercussions économiques, encourageant les entrepreneurs chinois et étrangers à investir davantage. Elle est également perçue comme un moyen de répondre directement aux mécontentements populaires de plus en plus forts. Les expropriations forcées et la réquisition des terres des paysans par l’État et par de grandes sociétés privées, ont en effet entraîné de nombreuses manifestations ces dernières années.

Cependant les spécialistes, Chinois en tête, font remarquer qu’une modification de la constitution ne représente pas un changement dans les faits. «C’est un pas dans la bonne direction, mais sans l’application des lois, cela ne reste qu’un principe», explique ainsi Hu Angang, professeur d’économie à l’université Tsinghua de la capitale chinoise. Car les termes restent flous. Dans la pratique, le nouveau texte laisse toute latitude aux autorités de juger ce qui a été acquis légalement ou illégalement. Le texte indique par ailleurs que l’Etat «peut, dans l’intérêt public, réquisitionner ou exproprier de leurs propriétés les citoyens chinois en les dédommageant», sans indiquer de barème de dédommagement. Une autre modification de la constitution va aussi être ratifiée lors de cette session du parlement. C’est l’ajout de la phrase «l’Etat respecte et protège les droits de l’Homme», alors que jusqu’à présent la Constitution ne parlait que de «droits».

Cependant, aucun lien avec des textes ou des traités internationaux n’est mentionné, ce qui laisse encore une fois toute liberté d’interprétation quant à l’expression «droits de l’homme».

Ecouter également

l’Invité de la mi-journée: Jean-Pierre Cabestan, chercheur au CNRS. Il répond aux questions de Frédérique Genot (5 mars 2004, 7'20").

A lire

La Chronique Asie d'Any Bourrier: La grande messe du Parlement chinois (5 mars 2004).



par Abel  Segrétin

Article publié le 05/03/2004