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Espagne

Aznar en flagrant délit de manipulation

Lourdement sanctionné pour sa gestion calamiteuse de l’enquête sur les attentats du 11 mars, le gouvernement espagnol est également accusé d’avoir tenter de manipuler la presse locale et internationale, et à travers elles l’opinion publique. Le Premier ministre sortant, José Maria Aznar, est même accusé d’avoir personnellement cherché à faire pression sur certains directeurs de journaux pour accréditer la thèse d’une responsabilité de l’organisation basque ETA dans le carnage de jeudi. Une thèse qui, espérait-il, provoquerait un réflexe sécuritaire en faveur du Parti populaire dans la mesure où le gouvernement avait mené une politique répressive appréciée contre les séparatistes basques.
L’affaire a été révélée par le quotidien El Periodico. Le directeur de ce journal de Barcelone affirme en effet que le chef du gouvernement l’a personnellement appelé à deux reprises le jour de l’attentat pour insister sur le fait que ETA était «sans aucun doute» l’auteur des attentats de Madrid. Antonio Franco précise avoir reçu le premier appel après avoir participé à une émission de la radio nationale dans laquelle il évoquait les doutes de sa rédaction quant aux responsables des attaques terroristes. «Tu ne dois avoir aucun doute, c’est ETA», lui aurait ainsi affirmé José Maria Aznar. «Convaincu que le président du gouvernement de mon pays était incapable de donner des assurances sur un sujet sans en avoir la certitude, j'ai décidé de titrer une édition spéciale de El Periodico: Le 11 M de l'ETA», a expliqué le responsable qui a également précisé que le deuxième appel du chef du gouvernement était intervenu dans la soirée alors que le ministre de l’Intérieur Angel Acebes venait de révéler la découverte d’une fourgonnette avec à son bord des détonateurs et une cassette sur laquelle étaient enregistrés des versets du coran.

D’autres directeurs de grands médias espagnols auraient également reçu des appels du Premier ministre. Mais la presse locale n’a pas été la seule à subir ce genre de manipulations. Le service de presse de la Moncloa, siège de la présidence du gouvernement espagnol, a également appelé plusieurs correspondants de la presse étrangère pour les mettre en garde contre les rumeurs d’une piste islamiste. Il a même avancé trois arguments pour appuyer la thèse de la responsabilité d’ETA. Le premier concernait le fait qu’aucune revendication n’avait encore été faite et que l’organisation séparatiste avait l’habitude de reconnaître ces actions plusieurs semaines voire plusieurs mois après. Le deuxième, qui s’est révélé faux, insistait sur le fait que l’explosif utilisé pour l’explosion des quatre trains était celui habituellement utilisé par ETA. Le troisième argument enfin mettait en avant le fait que cette organisation terroriste ne prévenait jamais avant de commettre un attentat à la bombe, ce qui est généralement faux. Le cercle des correspondants étrangers a donc vivement protesté contre ces manipulations. Son président, le Néerlandais Steven Adolf, doit adresser une protestation officielle au gouvernement.

Manipulations diplomatiques ?

Le comité d’entreprise de l’agence de presse publique EFE a par ailleurs demandé à l’unanimité la destitution immédiate du directeur de l’information Miguel Platon pour «le régime de censure et de manipulation imposé après les attentats du 11 mars». Le comité précise également que cette nouvelle politique éditoriale visait en réalité à «favoriser les intérêts du Parti populaire aux élections du 14 mars». «EFE connaissait, depuis le matin même des attentats de jeudi à Madrid, l'existence d'un téléphone mobile configuré en arabe, de la fourgonnette retrouvée à Alcala de Henares et savait qu'un des morts était l'un des terroristes, et d'autres données, dont elle n'a pas alors informé», manquant ainsi à son devoir, affirme le comité qui ajoute que «la diffusion des informations obtenues des sources propres des rédacteurs du service national et désignant le terrorisme radical islamiste a été expressément interdite». La direction de l’agence a pour sa part publié un communiqué démentant toutes affirmations.

Le gouvernement espagnol a également tenté de convaincre l’opinion internationale de la culpabilité d’ETA. Le quotidien El Pais a ainsi révélé samedi dernier que le ministre des Affaires étrangères Ana Palacio avait demandé aux ambassadeurs d’imputer le carnage de Madrid aux séparatistes basques. «Vous devez saisir chaque occasion pour confirmer la responsabilité de l'ETA dans ces attentats brutaux, ce qui nous aidera à dissiper le genre de doute que certaines parties intéressées chercheraient à répandre», explique-t-elle notamment dans une note interne aux représentations diplomatiques espagnoles. Le gouvernement n’a jamais réagi à cette information.

L’Espagne est par ailleurs parvenue à faire voter à l’unanimité par le Conseil de sécurité des Nations unies une résolution imputant à ETA la responsabilité des attentats de Madrid, une première dans la mesure où cette instance s’était toujours abstenue par le passé de citer nommément un groupe particulier avant qu’une enquête approfondie ne soit menée. La résolution adoptée après les attentats du 11 septembre contre Washington et New York ne mentionnait d’ailleurs pas le nébuleuse islamiste al-Qaïda d’Oussama Ben Laden. La direction prise par l’enquête sur les attentats de Madrid, qui désormais se concentre sur la piste de groupes islamistes radicaux, est donc des plus embarrassantes pour le gouvernement espagnol. Son représentant aux Nations unies a envoyé une lettre Conseil de sécurité pour l’assurer de la «bonne foi» de son pays. «L’Espagne avait alors, écrit-il, la ferme conviction qu’ETA» était responsable de ces massacres.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 16/03/2004