Cinéma
La «Passion du Christ», vue de Rome
AFP
De notre correspondant au Vatican
Depuis son élection en 1978, Jean Paul II a pu régulièrement profiter de la salle de projection installée dans le palais apostolique pour visionner des films jugés importants par son entourage. Aussi la projection devant le Pape, fin janvier, de la Passion du Christ n´avait-elle en soi rien de surprenant, si ce n´était le flot de réactions et de polémiques qui accompagnent le film de Mel Gibson avant même sa sortie prévue en Italie le 7 avril, mercredi saint.
Officiellement, Jean Paul II n´a fait aucun commentaire. La presse italienne lui a toutefois prêté ces mots: «cela s´est passé comme cela», que le secrétaire personnel du Pape, Stanislaw Dziwisz, habituellement très avare de déclarations publiques, s´est empressé de démentir. Manifestement, on ne tient pas, au Vatican, à entrer dans la polémique. D´autant moins que Jean Paul II est probablement le Pape de l´histoire qui a le plus oeuvré pour le rapprochement avec le monde juif.
Le film, pourtant, est dans tous les esprits. Le conseiller du Pape pour les médias, Mgr John Foley, estime que «le film n´est pas antisémite» et qu´il ne peut qu´encourager les fidèles «à méditer sur la passion du Christ». Les revues catholiques italiennes, selon leur ancrage politique, ont publié des commentaires très contrastés. Pour le mensuel Jésus, l´oeuvre de Mel Gibson offre «une orgie de sang, de blessures purulentes» qui occulte «la dimension intérieure et spirituelle absente du film». En revanche, les Etudes catholiques, proches de l´Opus Dei, estiment que le cinéaste «est fidèle à la lettre et à l´esprit de l´Evangile».
Insistance doloristePlus exceptionnel peut-être, le film de Mel Gibson s´est retrouvé au cœur de la première méditation de Carême prêché le 12 mars devant le Pape, comme chaque année, par le prédicateur de la Maison pontificale, le père franciscain Raniero Cantalamessa. Sans juger le film (qu´il n´avait pas vu), le théologien a été très clair sur plusieurs points sensibles. «L´étrangeté du peuple juif, en tant que tel, à la responsabilité de la mort du Christ repose sur une certitude biblique que les chrétiens ont en commun avec les juifs», a-t-il déclaré. «Plus que de la responsabilité du peuple juif pour la mort du Christ, on devrait parler de la responsabilité du peuple chrétien pour la mort des juifs». Le père Cantalamessa d´ajouter, un peu plus loin : «le film est à blâmer s´il pousse à croire que tous les juifs de l´époque et des époques successives sont responsables de la mort du Christ ; on ne peut l´accuser d´avoir trahi la vérité historique s´il se limite à montrer qu´un groupe influent eut une part déterminante» dans la condamnation.
La prudence est donc à la mesure de la délicatesse de ce sujet, les conditions historiques de la passion du Christ, qui fait l´objet de multiples approches, tant chez les historiens que chez les théologiens. La communauté juive romaine n´en craint pas moins que ce film ne ravive une vision pré conciliaire, revendiquée d´ailleurs par les milieux intégristes catholiques, des relations judéo-chrétiennes. Alors que le Pape a été invité à se rendre, pour la seconde fois, à la Synagogue de Rome, le 23 mai prochain, nul ne souhaite au Vatican attiser le débat. Une table-ronde sur le film de Mel Gibson, ouverte à plusieurs sensibilités religieuses, a même été annoncée par un prélat.
Loin du Vatican, cependant, certains représentants catholiques n´ont pas hésité à condamner le film de Mel Gibson. Ainsi, en Allemagne, le cardinal Karl Lehmann, président de la conférence épiscopale, a clairement critiqué le film qui pourrait selon lui être source de malentendus au sein d´un public ayant peu de connaissance du christianisme. «Avec la représentation frappante de la cruauté, le film simplifie trop la problématique du message de la Bible», a-t-il déclaré. Outre la question de l´antisémitisme, c´est cette insistance doloriste de Mel Gibson qui embarrasse de nombreux commentateurs. Dans la plupart des pays, le film sort d´ailleurs avec une interdiction aux mineurs de 14, 16 ou 18 ans. Sauf en Italie, où la commission de censure du ministère des Biens culturels lui a donné un visa pour «tous publics». «Depuis une décennie, le cinéma nous déverse un fleuve de violence», s´est expliqué le président de la commission, Ennio Varanelli, «il serait ridicule et grotesque de définir ce seul film comme dangereux». Ce qui a surpris les plupart des critiques de la presse italienne, souvent choqués par la violence et la cruauté de la Passion selon Gibson.
par Laurent Morino
Article publié le 31/03/2004 Dernière mise à jour le 31/03/2004 à 15:02 TU