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Indonésie

Flambée de violences religieuses<br>aux Moluques

La province indonésienne des Moluques 

		(Carte : Stéphanie Bourgoing/RFI)
La province indonésienne des Moluques
(Carte : Stéphanie Bourgoing/RFI)
La province indonésienne des Moluques est le théâtre de nouveaux affrontements entre chrétiens et musulmans. Deux ans après la signature d’un accord de paix, le spectre de la guerre ressurgit.
De notre correspondant à Djakarta

Au moins 22 morts et une centaine de blessés. Les affrontements qui opposent depuis dimanche, les chrétiens et les musulmans de la province indonésienne des Moluques, où la population se répartie à part égale entre les deux communautés, sont les plus meurtriers depuis la signature d’un accord de paix en septembre 2002, après trois ans d'un conflit qui avait fait près de 8 000 morts. Les violences ont débuté lorsque des manifestants chrétiens se sont rassemblés devant le siège du gouverneur à Ambon, la capitale provinciale, pour célébrer le 54ème anniversaire de la proclamation d'une éphémère République des Moluques du Sud (RMS), en 1950.

Le geste a été ressenti comme une provocation par les musulmans, favorables à la souveraineté indonésienne, qui se sont regroupés pour faire face aux chrétiens. Des bagarres ont éclaté, «à coup de pierre, de bâtons et de machettes» racontent des témoins, obligeant la police, en sous effectif, a tirer dans la foule. Les heurts se sont alors répandus comme une traînée de poudre dans toute la ville, notamment dans les quartiers mixtes où chrétiens et musulmans cohabitent de nouveau depuis quelques mois. Plusieurs bâtiments, dont celui de l’ONU, ont été incendiés tandis que des bombes artisanales explosaient un peu partout, provoquant un début d’exode de la population civile. Les combats ont baissé d’intensité dans la matinée de lundi mais la situation reste très précaire, comme en témoigne la présence de plusieurs snipers qui ont tiré, mardi à l’aube, sur des militaires en patrouille tuant au moins l’un d’entre eux. «On entend toujours des explosionset des tirs de mitraillette » raconte une habitante musulmane d’Ambon, joint par téléphone, qui signale également une très forte présence milicienne dans les rues.

Les forces de l’ordre, totalement dépassées au premier jour des affrontements, ont repris le contrôle de la ligne de démarcation qui sépare les quartiers chrétiens et musulmans depuis 1999 mais les miliciens, armés de machettes et de bâtons, sont toujours visibles dans le reste de la ville. Malgré les recommandations du chef de la police, invitant la population à ne pas sortir de chez elle, des civils continuent de fuir les zones où leur communauté est minoritaire quand d’autres font le siège des magasins pour acheter des produits de première nécessité. Tous craignent une reprise de la guerre malgré les appels au calme lancé le gouvernement de Jakarta qui a annoncé l’envois de renforts militaires. A trois mois d’une élection présidentielle, où elle est donnée battu dans les sondages, la présidente Megawati Sukarnoputri n’entend pas laisser la situation dégénérer. Reste à savoir si ces renforts, 650 soldats au total, seront suffisant pour calmer les ardeurs des milices les plus extrémistes et, surtout, empêcher les violences de déborder au delà de la ville d’Ambon. Car c’est dans les campagnes des anciennes «îles aux épices» que furent commis, entre 1999 et 2001, les pires massacres de civils.

Les plaies de 1999 n’avaient pas cicatrisé

Le scénario actuel n’est pas sans rappeler celui du 19 janvier 1999. Ce jour-là, une simple altercation entre un chauffeur de bus chrétien et un musulman avait fait dégénérer des tensions communautaires latentes en un conflit ouvert. Des émeutes avaient rapidement embrasé Ambon avant de transformer en champs de bataille l’ensemble des îles Moluques. Et partout le même scénario: les villages seront épurés de leur minorité religieuse pour créer des zones confessionnellement homogènes. Le bilan sera très lourd: 8 000 morts, 15 000 blessés, 500 000 réfugiés, des dizaines de villages rasés et une centaine d’églises, et autant de mosquées, détruites. Les militaires indonésiens seront incapables de rétablir l’ordre. Ils prendront parti pour l'un ou l'autre camp ou seront les instruments d’obscurs enjeux de politique nationale. Pour compliquer le tout, le Laskar Jihad, une milice islamiste javanaise, enverra 3000 combattants, avec l’appui logistique de certains officiers, faire la guerre sainte aux chrétiens. Il faudra attendre l’envoi d’une unité d’élite mixte pour que l’État reprenne le dessus et amène les deux parties à signer l’accord Malino II en 2002.

La réconciliation semblait depuis lors sur de bons rails, une partie des réfugiés commençant notamment à retourner chez eux. Mais cette réconciliation se faisait dans la peur réciproque car les racines du conflit sont profondes et anciennes. Les musulmans accusent les chrétiens d’avoir été privilégiés par l’ancienne puissance coloniale hollandaise qui favorisa leur accès à l’éducation et leur donna une place prédominante dans la bureaucratie locale. De leur côté, les chrétiens, qui furent longtemps majoritaires aux Moluques, reprochent à l’Etat indonésien d’avoir favorisé l’arrivée massive de musulmans dans le seul but d’inverser le rapport démographique. Soucieux d’éviter de nouveaux dérapages, le gouvernement avait suspendu en 2001 son programme de transmigration. Mais la mesure, jugée aussi insuffisante dans le camps chrétien qu’elle fut décriée par les musulmans, n’aura pas suffit a cicatriser les plaies de la guerre.

par Jocelyn  Grange

Article publié le 27/04/2004 Dernière mise à jour le 27/04/2004 à 10:12 TU