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Géorgie

L’Adjarie en état de siège

Un véhicule blindé géorgien stationne non loin des limites de la province dissidente d'Adjarie. 

		(Photo: AFP)
Un véhicule blindé géorgien stationne non loin des limites de la province dissidente d'Adjarie.
(Photo: AFP)
Le bras de fer entre Tbilissi et sa province autonome d’Adjarie a pris une tournure inquiétante. Le conflit qui oppose la région à l’autorité centrale menace de déraper en affrontements après l’ultimatum lancé ce week-end par le président géorgien Mikhaïl Saakachvili.

Dernier épisode en date de la tension qui ne cesse de s’installer de jour en jour: les forces spéciales de la province d’Adjarie ont violemment dispersé mardi, dans la capitale régionale, une manifestation de plusieurs centaines d’étudiants qui réclamaient le départ du leader régional Aslan Abachidzé et la normalisation des relations entre la région et le reste du pays. Selon un responsable étudiant joint par l’AFP, la manifestation a été réprimée «avec une brutalité exceptionnelle» à coups de matraque et de canons à eau et plusieurs blessés ont été hospitalisés dans un «état critique». Selon ce témoin, Batoumi était entièrement bloquée par la police et toutes les sorties de la ville étaient verrouillées par le dispositif policier.

Cette flambée de violence est l’ultime épisode d’une vive accélération du processus de détérioration des relations entre Tbilissi et Batoumi où, depuis la fin de l’empire soviétique, Aslan Abashidzé s’est emparé d’un pouvoir régional qu’il exerce sans partage. Or, depuis la «révolution des roses» qui chassa l’ex président Chevarnadzé au mois de novembre 2003, et depuis l’élection du nouveau président Mikhaïl Saakashvili au mois de janvier, il fait désormais face à un pouvoir beaucoup moins complaisant à son égard.

Attendre «la guerre»

Au cours de ces dernières semaines, en effet, Tbilissi a multiplié les mises en garde afin que l’Adjarie retrouve dans les plus brefs délais le chemin de la communauté nationale en reversant l’impôt dans les caisses de l’Etat, plutôt qu’en le détournant, et en démantelant les milices privées. Tbilissi, déjà privée de sa souveraineté sur les provinces sécessionnistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud peut difficilement se voir également amputée de sa région méridionale et côtière d’Adjarie, stratégique en raison de l’importance du port de Batoumi.

Le ton a finalement pris des accents menaçants dimanche lorsque le président Saakachvili a lancé un ultimatum de 10 jours à son adversaire pour qu’il se soumette au pouvoir central, sous peine d’être renversé. Cette mise en garde était prononcée alors que, simultanément, l’armée géorgiennes effectuait d’importante manœuvres militaires aux abords de l’Adjarie. En réaction, lundi, l’homme fort de Batoumi déclarait attendre «la guerre». Il décrétait l’état d’urgence, imposait le couvre-feu, faisait établir des barrages routiers et dynamiter plusieurs voies d’accès à la province, notamment des ponts, plaçant ainsi la région en état de siège.

Les appuis d’Abashidzé

Cette crise intérieure provoque l’inquiétude des partenaires et voisins de la Géorgie. Le ministère turc des Affaires étrangères se déclare «préoccupé» et appelle les deux parties au «sang-froid» et à la «retenue». Ankara, qui dispose d’une large frontière commune avec la Géorgie dans le nord, entretient d’étroites et anciennes relations avec Tbilissi. Les deux pays sont notamment associés, avec l’Azerbaïdjan, dans la construction de l’oléoduc BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan) qui doit prochainement acheminer le pétrole de la Caspienne jusqu’en Méditerranée.

Cette épreuve de force révèle l’hostilité d’une partie de l’opinion publique au pouvoir d’Aslan Abashidzé. Les intellectuels, notamment, bravent la répression pour exiger le retour de leur province dans le giron de Tbilissi et obtenir le bénéfice des réformes démocratiques entamées par la nouvelle administration issue de la «révolution des roses». Mais Aslan Abashidzé peut encore compter sur de solides appuis. Outre sa milice armée, il dispose du soutien de Moscou qui n’a toujours pas démantelé sa base militaire géorgienne, vestige de l’époque soviétique.

«Prendre toutes les mesures pour rétablir l’ordre constitutionnel»

Le 28 avril, la Douma a estimé que les autorités géorgiennes s’acheminaient vers une épreuve de force et a solennellement déclaré qu’une telle perspective menacerait les intérêts de sécurité de la Russie, inquiète et irritée du rapprochement observé entre Tbilissi et le camp occidental. La Géorgie reçoit en effet une aide militaire des Etats-Unis et ne cache pas ses ambitions européennes. Elle accuse un général russe en retraite, Iouri Netkatchev, d’avoir personnellement dirigé le dynamitage des ponts d’Adjarie et le qualifie de «terroriste», appelant la Russie à «empêcher l’entrée sur le territoire géorgien de tels suspects».

Pour sa part Washington appelle la Géorgie à ne pas employer la force et à «trouver des solutions politiques et économiques» pour résoudre le conflit. Paris appelle les deux parties au dialogue «et à ne pas recourir à la force». Mais ces appels trahissent une montée des tensions qui semblent inexorable. Ce soir, le président Saakashvili a ordonné aux forces de sécurité d’Adjarie de ne plus obéir aux ordre de d’Abachidzé. Le parlement géorgien a adopté une résolution demandant la démission sans condition du leader d’Adjarie. Cette résolution précise que si l’organisation d’élections démocratiques n’est pas possible dans la province, «le parlement demandera au président et au gouvernement de prendre toutes les mesures en leur pouvoir pour rétablir l’ordre constitutionnel».

par Georges  Abou

Article publié le 04/05/2004 Dernière mise à jour le 05/05/2004 à 07:20 TU

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Charles Urjewicz

Spécialiste du Caucase

«Toute la question est de savoir quelle forme prendra ce conflit car on a quand même, quelles que soient les différences entre les uns et les autres, des Géorgiens face à face.»

[05/05/2004]

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