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Guantanamo

Deux ex-détenus dénoncent des sévices

Transport d'un prisonnier à l'intérieur du camp de Guantanamo. 

		(Photo : AFP)
Transport d'un prisonnier à l'intérieur du camp de Guantanamo.
(Photo : AFP)
Deux Britanniques détenus pendant deux ans par les Américains, sur la base navale de Guantanamo, ont adressé une lettre ouverte au président des Etats-Unis pour dénoncer les mauvais traitements dont ils ont été victimes. Après les photos des sévices infligés aux prisonniers irakiens incarcérés à Abou Ghraib, ces nouvelles révélations mettent encore une fois en cause les méthodes d’interrogatoire des militaires américains dans les camps de détention qu’ils contrôlent au travers du monde.

A Guantanamo aussi, les prisonniers sont maltraités. C’est en tout cas ce que Chasif Rasoul et Asif Ikbal, deux des cinq Britanniques relâchés le 8 mars 2004, après deux années de détention dans cette prison américaine sur l’île de Cuba, affirment dans une lettre ouverte à George W. Bush. Les deux hommes veulent dénoncer, selon leur avocate Barbara Olshansky, la similitude des humiliations et des sévices dont ils ont été victimes durant le temps de leur internement, avec les pratiques des soldats américains contre les prisonniers irakiens.

Leur récit rappelle, en effet, étrangement les méthodes qui semblent avoir été employées contre les détenus irakiens de la prison d’Abou Ghraib. Les deux hommes décrivent des séances d’interrogatoire basées sur la pression psychologique et la menace physique. «Dès notre arrivée à Guantanamo Bay (et, en fait, longtemps avant), nous avons été délibérément humiliés et avilis à l’aide de méthodes que les responsables américains nient, d’après ce que nous avons lu». Les deux hommes déclarent qu’ils ont été interrogés des heures durant avec les mains enchaînées et dans des positions stressantes, qu’ils ont été soumis à la menace des chiens, obligés d’écouter des musiques assourdissantes, exposés au froid… Ils mentionnent aussi les moments où leurs geôliers les obligeaient à rester nus, debout, dans une salle dans laquelle ils faisaient entrer des femmes «pour provoquer ou molester». Ils évoquent encore des passages à tabac organisés par les gardiens d’une unité baptisée Extreme Reaction Force (ERF).

Un rapport confidentiel du CICR

Pour Rasoul et Ikbal, l’objectif des Américains était de les pousser à bout pour obtenir des informations coûte que coûte. Quitte à extorquer des aveux invraisemblables. Ils expliquent, par exemple, qu’ils ont admis sous la pression, leur présence sur un enregistrement vidéo datant d’août 2000 où apparaissent aussi deux membres d’Al Qaïda, Oussama Ben Laden et Mohammed Atta (l’un des pilotes des avions qui se sont écrasés sur le World Trade Center). Mais ils affirment qu’ils peuvent prouver qu’ils étaient, en fait, en Grande-Bretagne à ce moment-là.

Pour le moment, aucune preuve tangible ne permet d’étayer les affirmations des deux ex-détenus britanniques. Mais leurs avocats espèrent pouvoir réunir des éléments suffisants pour éventuellement engager une procédure. Par exemple, des clichés ou des enregistrements des prisonniers, car ceux-ci affirment avoir été photographiés et filmés pendant leur détention. Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls à mettre en cause les conditions d’internement des prisonniers de Guantanamo. Le gouvernement australien enquête actuellement sur la plainte déposée par un de ses citoyens détenu sur la base navale à Cuba qui affirme, lui aussi, avoir été victime de mauvais traitement.

Au-delà du fait qu’environ 600 personnes, capturées lors l’intervention militaire en Afghanistan en 2001, sont incarcérées sur la base navale sans chef d’inculpation et sans respect des Conventions de Genève sur les droits des prisonniers de guerre [un statut que les Américains ne leur reconnaissent pas], de nombreuses questions restent donc posées sur les mauvais traitements et les sévices qui auraient pu être infligés aux détenus. Plusieurs organisations humanitaires ont d’ailleurs mis en cause les pratiques des gardiens américains. Human Rights Watch qui a publié un rapport sur l’Afghanistan estime que les techniques employées à Guantanamo, en Irak et en Afghanistan semblent «similaires». Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a quant à lui rendu, début mai, aux autorités américaines un rapport sur le traitement des détenus à Guantanamo. Ce document est confidentiel mais un responsable du Pentagone a reconnu, sous couvert de l’anonymat, qu’il était «critique». Le CICR qui effectue des visites régulières sur la base navale, avait d’ailleurs déjà attiré, début 2004, l’attention des responsables américains sur le vide juridique dans lequel sont détenus les prisonniers. Sans obtenir de «réponse adéquate».

Le colonel Leon Sumpter, porte-parole de la mission américaine de détention de Guantanamo, a récusé les accusations des deux ex-détenus britanniques. Mais cette nouvelle mise en cause publique des pratiques des soldats américains à l’égard des prisonniers est encore un coup dur pour Washington, qui a de plus en plus de mal à défendre la thèse selon laquelle il s’agit simplement des dérapages de quelques soldats.

par Valérie  Gas

Article publié le 14/05/2004 Dernière mise à jour le 14/05/2004 à 15:33 TU