Irak
Les visages du nouveau pouvoir
Le chef sunnite Ghazi al-Yaouar, le 25 mai 2004.
(Photo: AFP)
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Après des négociations marathoniennes entre Lakhdar Brahimi, l’envoyé spécial des Nations unies, Paul Bremer, l’administrateur civil américain à Bagdad et les membres du Conseil intérimaire de gouvernement irakien (CIG), un compromis a finalement été trouvé sur la répartition des postes à compter du 1er juillet.
Iyad Allaoui, le Premier ministre irakien.
(Photo: AFP)
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De notre correspondant à Amman
Adnan Pachachi, 81 ans, a reculé et ne sera pas le premier président de l’Irak de l’après-Saddam. Il aurait décliné l’offre pour «des raisons personnelles», selon un communiqué de Lakhdar Brahimi, l’envoyé spécial de l’ONU en Irak. C’est finalement Ghazi Al-Yaouar, 55 ans, soutenu par les membres du CIG contre l’avis des Américains qui eux préféraient Adnan Pachachi, qui occupera la fonction suprême, même si elle est plus honorifique. Ce sunnite, originaire de Mossoul, est le chef de la puissante tribu des Chammars qui compte plusieurs millions de membres à la fois chiites et sunnites répartis sur tout le territoire irakien. Elle déborde même sur les pays voisins notamment en Syrie. Homme d’affaires fortuné, Ghazi Al-Yaouar a passé quinze ans en Arabie Saoudite avant de rentrer en Irak en juin 2003. Consensuel, il entretient de bonnes relations avec tous les membres du CIG et avec les chefs des différentes communautés.
Pour respecter l’équilibre confessionnel et ethnique du pays, il sera assisté de deux vice-présidents: Ibrahim Al-Jaafari du parti chiite Al-Dawa et de Roj Nouri Shawis du Parti démocratique du Kurdistan (PDK). Mais dans cet attelage constitutionnel qui doit gouverner l’Irak pendant la période comprise entre le 1er juillet prochain et les élections générales qui doivent, elles, se tenir en janvier 2005, l’homme qui sera en charge du pouvoir au quotidien s’appelle Iyad Allaou, nommé par consensus au poste de Premier ministre.
Neurologue de formation, le chef du gouvernement irakien un pur produit de la CIA et … du parti Baas ! Ce chiite laïc de 58 ans appartient à la même génération de baasistes que Saddam Hussein. Dans les années soixante, les deux jeunes militants du Baas faisaient le coup de poing ensemble au sein du «groupe Houneim», sorte d’escadron de la mort du mouvement chargé de liquider les opposants politiques.
Homme de l’ombre et des réseaux clandestins, Iyad Allaoui rompt avec le Baas et Saddam Hussein en 1971, et se réfugie à Beyrouth puis à Londres. Dans la capitale anglaise, il réchappe en 1978 à un attentat commandité par les sbires du raïs irakien et reste hospitalisé pendant un an. Depuis cette époque, il voue une haine personnelle à Saddam Hussein.
Mais baasiste dans l’âme, Iyad Allaoui accueille dans sa formation baptisée al-Wifaq al-Watani (L’Entente nationale) tous les transfuges du régime, principalement ceux des services de renseignement et de l’armée. Son mouvement, dont l’organe de presse s’appelle Bagdad, reçoit d’abondant subsides de la CIA et du MI6, les services de renseignements britanniques.
En 1996, Iyad Allaoui monte même un complot à partir d’Amman contre Saddam Hussein avec l’appui de la CIA. Informé des préparatifs par ses agents infiltrés parmi les conspirateurs, le maître de Bagdad laisse se développer la conjuration avant de l’écraser impitoyablement : plus d’une centaine d’officiers de l’armée irakienne sont exécutés, sans autre forme de procès. C’est l’un des fiascos les plus retentissant dans l’histoire de la CIA.
Rentré d’exil après la chute du régime, Iyad Allaoui est nommé au CIG et préside le Comité suprême de sécurité. En coulisses, il place ses hommes, tisse ses réseaux et tend même la main aux anciens baassistes. Car, contrairement à son rival Ahmed Chalabi, proche du Pentagone, Iyad Allaoui n’est pas un chaud partisan d’une «débaasisation» brutale et aveugle.
Un profil idéal
«A l’Entente nationale, nous avons toujours dit que la dissolution de l’armée et des services de sécurité était une erreur, ainsi que la débaasisation», nous expliquait il y a quelques semaines Ibrahim Al-Jenabi, l’adjoint d’Iyad Allaoui. «Tous les baasistes n’étaient pas mauvais. Ceux qui ont les mains propres, de l’ expérience ou une compétence professionnelle peuvent être réintégrés dans les nouveaux services de renseignement».
Iyad Allaoui s’est également opposé à la suppression de la fête de l’armée célébrée le 6 janvier qui commémore la fondation de l’armée irakienne en 1921. Pour ce nationaliste élevé dans l’idée de la grandeur de l’Irak, l’armée représente la colonne vertébrale du pays. Dans un entretien accordé au Sunday Telegraph, il vient d’ailleurs de confier qu’il «aimerait voir la reconstitution de trois à quatre divisions de l’armée irakienne, incluant des officiers de rangs intermédiaires et des simples soldats».
Pour les Américains, Iyad Allaoui dispose d’un profil idéal: chiite comme 60% de la population, laïc et spécialiste des questions de sécurité. «Il déteste les barbus et l’ayatollah Ali Sistani», confie un diplomate occidental à Bagdad. Il est aussi très proche de la Jordanie, alliée de Washington au Proche-Orient qui forme aujourd’hui les cadres de l’armée irakienne. Jusqu’en 2003, Iyad Allaoui était le seul opposant irakien autorisé à avoir pignon sur rue à Amman. Dès l’annonce de sa nomination, le roi Abdallah II lui a d’ailleurs adressé un télégramme de félicitation.
Mais Iyad Allaoui a les défauts de ses qualités. Homme des basses œuvres et des complots, il ne dispose d’aucune base populaire en Irak. Les Irakiens savent qu’il a travaillé pendant dix ans main dans la main avec Saddam. Même s’il a montré récemment quelques velléités d’indépendance par rapport à ses amis américains, il reste perçu dans l’opinion publique irakienne comme un «agent de la CIA».
Adnan Pachachi, 81 ans, a reculé et ne sera pas le premier président de l’Irak de l’après-Saddam. Il aurait décliné l’offre pour «des raisons personnelles», selon un communiqué de Lakhdar Brahimi, l’envoyé spécial de l’ONU en Irak. C’est finalement Ghazi Al-Yaouar, 55 ans, soutenu par les membres du CIG contre l’avis des Américains qui eux préféraient Adnan Pachachi, qui occupera la fonction suprême, même si elle est plus honorifique. Ce sunnite, originaire de Mossoul, est le chef de la puissante tribu des Chammars qui compte plusieurs millions de membres à la fois chiites et sunnites répartis sur tout le territoire irakien. Elle déborde même sur les pays voisins notamment en Syrie. Homme d’affaires fortuné, Ghazi Al-Yaouar a passé quinze ans en Arabie Saoudite avant de rentrer en Irak en juin 2003. Consensuel, il entretient de bonnes relations avec tous les membres du CIG et avec les chefs des différentes communautés.
Pour respecter l’équilibre confessionnel et ethnique du pays, il sera assisté de deux vice-présidents: Ibrahim Al-Jaafari du parti chiite Al-Dawa et de Roj Nouri Shawis du Parti démocratique du Kurdistan (PDK). Mais dans cet attelage constitutionnel qui doit gouverner l’Irak pendant la période comprise entre le 1er juillet prochain et les élections générales qui doivent, elles, se tenir en janvier 2005, l’homme qui sera en charge du pouvoir au quotidien s’appelle Iyad Allaou, nommé par consensus au poste de Premier ministre.
Neurologue de formation, le chef du gouvernement irakien un pur produit de la CIA et … du parti Baas ! Ce chiite laïc de 58 ans appartient à la même génération de baasistes que Saddam Hussein. Dans les années soixante, les deux jeunes militants du Baas faisaient le coup de poing ensemble au sein du «groupe Houneim», sorte d’escadron de la mort du mouvement chargé de liquider les opposants politiques.
Homme de l’ombre et des réseaux clandestins, Iyad Allaoui rompt avec le Baas et Saddam Hussein en 1971, et se réfugie à Beyrouth puis à Londres. Dans la capitale anglaise, il réchappe en 1978 à un attentat commandité par les sbires du raïs irakien et reste hospitalisé pendant un an. Depuis cette époque, il voue une haine personnelle à Saddam Hussein.
Mais baasiste dans l’âme, Iyad Allaoui accueille dans sa formation baptisée al-Wifaq al-Watani (L’Entente nationale) tous les transfuges du régime, principalement ceux des services de renseignement et de l’armée. Son mouvement, dont l’organe de presse s’appelle Bagdad, reçoit d’abondant subsides de la CIA et du MI6, les services de renseignements britanniques.
En 1996, Iyad Allaoui monte même un complot à partir d’Amman contre Saddam Hussein avec l’appui de la CIA. Informé des préparatifs par ses agents infiltrés parmi les conspirateurs, le maître de Bagdad laisse se développer la conjuration avant de l’écraser impitoyablement : plus d’une centaine d’officiers de l’armée irakienne sont exécutés, sans autre forme de procès. C’est l’un des fiascos les plus retentissant dans l’histoire de la CIA.
Rentré d’exil après la chute du régime, Iyad Allaoui est nommé au CIG et préside le Comité suprême de sécurité. En coulisses, il place ses hommes, tisse ses réseaux et tend même la main aux anciens baassistes. Car, contrairement à son rival Ahmed Chalabi, proche du Pentagone, Iyad Allaoui n’est pas un chaud partisan d’une «débaasisation» brutale et aveugle.
Un profil idéal
«A l’Entente nationale, nous avons toujours dit que la dissolution de l’armée et des services de sécurité était une erreur, ainsi que la débaasisation», nous expliquait il y a quelques semaines Ibrahim Al-Jenabi, l’adjoint d’Iyad Allaoui. «Tous les baasistes n’étaient pas mauvais. Ceux qui ont les mains propres, de l’ expérience ou une compétence professionnelle peuvent être réintégrés dans les nouveaux services de renseignement».
Iyad Allaoui s’est également opposé à la suppression de la fête de l’armée célébrée le 6 janvier qui commémore la fondation de l’armée irakienne en 1921. Pour ce nationaliste élevé dans l’idée de la grandeur de l’Irak, l’armée représente la colonne vertébrale du pays. Dans un entretien accordé au Sunday Telegraph, il vient d’ailleurs de confier qu’il «aimerait voir la reconstitution de trois à quatre divisions de l’armée irakienne, incluant des officiers de rangs intermédiaires et des simples soldats».
Pour les Américains, Iyad Allaoui dispose d’un profil idéal: chiite comme 60% de la population, laïc et spécialiste des questions de sécurité. «Il déteste les barbus et l’ayatollah Ali Sistani», confie un diplomate occidental à Bagdad. Il est aussi très proche de la Jordanie, alliée de Washington au Proche-Orient qui forme aujourd’hui les cadres de l’armée irakienne. Jusqu’en 2003, Iyad Allaoui était le seul opposant irakien autorisé à avoir pignon sur rue à Amman. Dès l’annonce de sa nomination, le roi Abdallah II lui a d’ailleurs adressé un télégramme de félicitation.
Mais Iyad Allaoui a les défauts de ses qualités. Homme des basses œuvres et des complots, il ne dispose d’aucune base populaire en Irak. Les Irakiens savent qu’il a travaillé pendant dix ans main dans la main avec Saddam. Même s’il a montré récemment quelques velléités d’indépendance par rapport à ses amis américains, il reste perçu dans l’opinion publique irakienne comme un «agent de la CIA».
par Christian Chesnot
Article publié le 01/06/2004 Dernière mise à jour le 02/06/2004 à 13:40 TU