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Pakistan

Violences entre chiites et sunnites à Karachi

Les véhicules de secours se pressent devant la mosquée incendiée. 

		(Photo: AFP)
Les véhicules de secours se pressent devant la mosquée incendiée.
(Photo: AFP)
La mégalopole de Karachi connaît depuis plusieurs semaines un regain de tensions entre les communautés chiite et sunnite. L’attentat perpétré lundi soir contre une mosquée chiite n’est en effet que le dernier d’une série d’affrontements interconfessionnels. L’attaque a provoqué des émeutes qui ont opposé toute la nuit la population aux forces de l’ordre. Trois personnes y ont trouvé la mort. La situation est jugée à ce point sérieuse que le président Pervez Musharraf, «gravement préoccupé» selon son entourage, a annoncé que d'«importantes mesures» allaient être rapidement prises pour mettre fin aux violences qui secouent la principale ville du pays.

L’heure, au moment de la prière du soir, et le lieu, la mosquée Ali Raza Ima Bargham de Karachi, ne laissaient aucun doute sur l’intention des terroristes : frapper la communauté chiite en faisant un maximum de victimes. Le bilan est d’ailleurs lourd puisqu’une vingtaine de personnes ont trouvé la mort et qu’une cinquantaine d’autres ont été hospitalisées, certaines dans un état grave. L’explosion a été d’une telle violence qu’elle a provoqué des fissures dans le dôme de l’édifice et soufflé les vitres des bâtiments mitoyens. Selon les premiers éléments de l’enquête, l’attaque pourrait bien avoir été commise par un kamikaze. «C’était apparemment un attentat suicide parce que nous n’avons pas retrouvé le cratère qu’aurait creusé une bombe», a ainsi déclaré un haut responsable de la police de Karachi. Il a toutefois reconnu que les enquêteurs n’avaient pas pu réunir beaucoup d’indices dans la mesure où la foule en colère leur a interdit l’entrée dans la mosquée.

Des centaines de personnes se sont en effet immédiatement rassemblées devant l’édifice religieux pour crier leur colère et des affrontements ont opposé une partie de la nuit la foule aux forces de l’ordre. Trois personnes ont été tuées dans des échanges de tirs entre policiers et manifestants qui ont mis le feu à une station essence et incendié une vingtaine de voitures. Ces violences se sont poursuivies mardi lors des obsèques des dix-neuf victimes de l’attentat auxquelles ont assisté des milliers de personnes. Après l'échec de négociations avec la police concernant l’itinéraire du défilé, des manifestants ont mis le feu à un car de police, à un mini-bus, à six motos et à une banque. Selon des témoins, plusieurs boutiques ont également été pillées et certaines incendiées. La police, sur les dents, a répliqué par des tirs de grenades lacrymogènes. Aucune victime n'a toutefois été signalée.

L’attentat de lundi contre la mosquée chiite est intervenu vingt-quatre heures après l’assassinat d’un haut dignitaire religieux sunnite, parmi les plus respectés du Pakistan. Le mufti Nizamuddin Shamzaï, proche des Taliban et du régime du mollah Omar –il avait appelé à la guerre sainte contre les Etats-Unis après l’invasion de l’Afghanistan– a été abattu en quittant son domicile par quatre à six assaillants qui conduisaient des motos. L’annonce de sa mort avait provoqué des manifestations spontanées dans plusieurs quartiers de Karachi. Ses partisans s’en étaient notamment pris un commissariat blessant par balles trois policiers. En tout, une vingtaine de personnes avaient été blessées au cours de ces affrontements.

Vengeance ?

Par crainte de représailles contre la communauté chiite –l’assassinat n’a pourtant toujours pas été revendiquée– quelque 15 000 policiers et paramilitaires avaient été déployés dans les rues de Karachi et le président Pervez Musharraf avait fait savoir qu’il prendrait «très bientôt des mesures importantes» si le calme ne revenait pas très vite dans la mégalopole du sud du pays. Ces annonces n’auront toutefois pas suffi à enrayer la spirale de la violence et lundi soir l’hypothèse d’une vengeance de la communauté sunnite était ouvertement évoquée concernant l’attentat perpétré contre la mosquée, située à moins d’un kilomètre de l’endroit où l’imam Shamzaï avait été abattu.

Les violences interconfessionnelles entre sunnites –qui représentent 70% de la population– et chiites –environ 20% des Pakistanais– ont, en moins d’un mois, coûté la vie à 46 personnes dans la seule ville de Karachi. La grande cité portuaire a connu ces dernières semaines les pires affrontements depuis vingt ans entre ces deux communautés. Une précédente attaque contre une mosquée chiite de Karachi avait notamment fait le 7 mai dernier 24 morts et 125 blessés. L’attaque avait été perpétrée lors de la grande prière hebdomadaire du vendredi. «La dernière fois que j’ai vu des violences de cette ampleur, c’était en 1984», a ainsi estimé le leader chiite Hasan Turabi. Selon lui, l’assassinat dimanche de l’imam Shamzaï se situe dans le cadre d’une «tentative de diviser les deux communautés musulmanes».

Si la minorité chiite coexiste traditionnellement de manière pacifique avec la majorité sunnite, la lutte entre des extrémistes des deux communautés à Karachi remonte aux années 1980. Sous-tendue par une rivalité économique –les chiites sont dans cette région propriétaires de vastes domaines, ce qui provoque le ressentiment des sunnites– elle a déjà fait plus de 4 000 morts. Mais les attaques de ces dernières semaines répondent toutefois à une toute autre logique, estime l’analyste, Hasan Askari Rizvi. Selon lui, cette vague de violences constitue une tentative de groupes militants de s'opposer à la répression du gouvernement qui s'est récemment lancé dans une chasse aux extrémistes. «Ils sont engagés dans ces affrontements pour dissuader le gouvernement de prendre de nouvelles mesures contre eux. Leur but est de montrer qu'ils sont suffisamment forts pour perturber le gouvernement et saper sa crédibilité», a-t-il notamment déclaré.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 01/06/2004 Dernière mise à jour le 01/06/2004 à 16:03 TU