Proche-Orient
Sharon débordé sur sa droite
Photo : AFP
Longtemps considéré comme l’un des principaux promoteurs de la colonisation des territoires palestiniens –en 1996, le poste de ministre des Infrastructures nationales dans le gouvernement de Benyamin Netanyahou a été spécialement créé pour lui– Ariel Sharon est aujourd’hui dans la tourmente, jugé comme un traître par ses anciens alliés de l’extrême droite israélienne, comme par une frange de son parti, le Likoud, qui ne lui pardonnent pas son plan de retrait de la bande de Gaza. Le Premier ministre, qui a réussi à arracher le soutien de la communauté internationale pour son projet de séparation unilatérale d’avec les Palestiniens avec l’arrière-pensée avouée de consolider la colonisation en Cisjordanie en échange du démantèlement d’une vingtaine d’implantations, est désormais au cœur des critiques de la droite dure en Israël.
La démonstration de force organisée dimanche par les colons en dit long sur la rancœur de ceux qui, dans l’Etat hébreu, n’imaginent aucune concession territoriale aux Palestiniens. Quelque 130 000 personnes ont ainsi formé dimanche une chaîne humaine de plus de 90 kilomètres de long reliant la colonie de Nitzanit au nord de la bande de Gaza à la vieille ville de Jérusalem. A 19 heures, les manifestants ont entamé l’hymne national israélien d’une même voix tout le long de la chaîne dont l’une des extrémités a abouti au Mur des Lamentations, considéré comme le lieu le plus saint du judaïsme. Cette initiative symbolique sans précédent, qui s’est déroulée sous très haute sécurité –des centaines de policiers, appuyés par des hélicoptères ont été déployés sur tout le trajet–, a été organisée dans les moindres détails par le Conseil des colonies juives de Judée-Samarie (Cisjordanie) et de la bande de Gaza. Jusqu’au choix de la date de la manifestation qui n’a pas été laissé au hasard. Elle s’est en effet déroulée la veille du jeûne qui marque Tisha Be Av, le jour de commémoration de la destruction du Temple juif par les Babyloniens puis les Romains en l’an 70. Une façon pour les organisateurs de lier la perte du site le plus sacré du judaïsme à l’expulsion de leur foyer des quelque 8 000 colons de la bande de Gaza.
Shalom joue son va-toutMais en dépit de son caractère spectaculaire, la manifestation de dimanche a surtout rassemblé des colons religieux. Elle n’est pas parvenue en effet, au grand dam de ses organisateurs, à mobiliser d’autres pans de la société israélienne dont une majorité reste toujours favorable à un plan de retrait de la bande de Gaza, un territoire où vivent environ un million trois cent mille Palestiniens et qui est surtout situé en dehors des frontières bibliques du «Grand Israël». Mais si Ariel Sharon peut aujourd’hui compter sur le soutien d’une grande partie de la population, il est en revanche ouvertement contesté par les siens dont certains n’ont pas hésité à se joindre à la chaîne des quelque 130 000 manifestants. Une trentaine de députés à la Knesset, dont une quinzaine appartenant à son parti et au moins deux ministres, ont en effet participé à la démonstration de force de dimanche.
Mais plus inquiétant sur le plan politique pour le Premier ministre, un millier au moins de membres du Comité central du Likoud et de militants ont exprimé dimanche leur hostilité à l’entrée des travaillistes au gouvernement et donc implicitement à son plan de retrait de la bande de Gaza. La fronde est menée par Sylvan Shalom, l’actuel chef de la diplomatie, qui craint de perdre son poste au profit de l’ancien Premier ministre travailliste Shimon Peres. Il a ainsi ouvertement mis en garde Ariel Sharon contre la formation d’un «gouvernement de gauche laïc». «Nous avons commis un péché originel en ne faisant pas entrer des partis ultraortodoxes dans le cabinet», a lancé à ses partisans ce dur du Likoud qui avec le ministre des Finances, Benyamin Netanyahou, est aujourd’hui l’un des principaux rivaux du Premier ministre au sein du Likoud.
Cette révolte au sein du grand parti de droite affaiblit à n’en pas douter Ariel Sharon, contraint de gouverner sans majorité à la Knesset depuis le départ de sa coalition du Parti national religieux et de l’Union nationale, deux petites formations d’extrême droite. Mais sourd au chantage de son propre camp, le Premier ministre a réaffirmé qu’il était plus que jamais déterminé à faire appliquer son plan de retrait de la bande de Gaza. «Je suis décidé à aller de l’avant dans mon plan de séparation car il est évident qu’Israël ne peut rester éternellement dans la bande de Gaza», a-t-il déclaré dimanche. Selon lui, faire aujourd’hui marche arrière placerait Israël dans «une situation dangereuse d’un point de vue sécuritaire et économique». Mais encore faudra-t-il que le Premier ministre réussisse à convaincre le parti travailliste mais aussi le parti ultraortodoxe Shass d’entrer dans son cabinet et pour ce dernier de siéger aux côtés du parti laïc Shinoui, l’un des piliers de l’actuel gouvernement. Rien n’est pour l’instant décidé et les négociations compliquées que mène depuis plusieurs semaines Ariel Sharon en disent long sur ses difficultés.
par Mounia Daoudi
Article publié le 26/07/2004 Dernière mise à jour le 26/07/2004 à 14:56 TU