Proche-Orient
Mohammed Dahlan sort de l’ombre
(Photo : AFP)
Jusque-là plutôt discret, Mohammed Dahlan est brusquement sorti de sa réserve dimanche. L’homme qui avait pourtant juré ses grands dieux n’avoir aucun lien avec la brusque flambée de violences sur fond de contestation populaire, qui s’était brutalement déclenchée dans la bande de Gaza, est aujourd’hui prêt à assumer la paternité d’une détérioration de la situation dans ce territoire. Il a en effet ouvertement menacé le président Yasser Arafat d’organiser des manifestations de masse si les réformes sécuritaires promises par ce dernier n’étaient pas rapidement mises en place. Reprenant à son compte la revendication de la rue palestinienne qui a élevé au rang de priorité la lutte contre la corruption, Mohammed Dahlan a estimé que ce fléau «ne pouvait pas être toléré plus longtemps». «L’Autorité palestinienne a reçu cinq milliards de dollars d’aide internationale qui s’est évaporée. Nous ne savons pas où elle est passée», a-t-il accusé.
Dans une interview au quotidien koweïtien Al Watan, l’ancien patron de la sécurité dans la bande de Gaza n’a d’ailleurs pas hésité à fixer un ultimatum à Yasser Arafat pour qu’il procède enfin aux changements promis. Si les réformes ne sont pas appliquées d’ici au 10 août, «30 000 Palestiniens descendront dans les rues de Gaza», a-t-il ni plus moins menacé. S’en prenant dans une attaque sans précédent au vieux raïs, ce fin politique, qui a su se faire apprécier de l’administration Bush et qui conserve des contacts étroits avec les autorités israéliennes, a également accusé Yasser Arafat d’être «assis sur le corps et la destruction des Palestiniens au moment où ils ont le plus besoin de soutien et surtout d’une nouvelle mentalité». Ne cachant visiblement plus ses ambitions de succéder un jour au chef de l’Autorité palestinienne, Mohammed Dahlan a ainsi estimé que «la mentalité qui prévaut n’était plus de mise». Pointant du doigt les conséquences de l’Intifada soutenue par Yasser Arafat –elle entrera en septembre dans sa cinquième année– il a dénoncé «les pertes innombrables et la vie détruite des Palestiniens».
Arafat dénonce «un complot»
Alors qu’il avait pourtant démenti le 25 juillet dernier au quotidien de langue arabe al-Hayat avoir manipulé en sous-main les troubles de la bande de Gaza, Mohammed Dahlan n’hésite désormais plus à revendiquer le rôle qu’il a joué dans l’ombre. «Nous avons décidé d’agir dans la rue et ce qui s’est passé à Gaza est l’expression de nos appels pour des réformes», a-t-il notamment affirmé. Conscient cependant du danger qu’il y a à dénoncer ouvertement la politique menée par le père de la cause palestinienne, l’ambitieux quadragénaire a enrobé ses critiques en affichant son soutien au vieux raïs. «Le peuple palestinien soutient Yasser Arafat mais pas les gens corrompus dont il est entouré et il est temps pour lui de sévir», a-t-il insisté.
La sortie médiatique de Mohammed Dahlan a provoqué comme il fallait s’y attendre la colère du président palestinien et de son entourage. Réagissant aux menaces de son ancien ministre, Yasser Arafat s’est engagé à tenir bon face à ce qu’il a qualifié de «complots et d’escalades» visant à contester son leadership. «Nous resterons fermes face à toutes les conspirations», a-t-il lancé à ses partisans depuis son quartier général de Ramallah où il est confiné depuis plus de deux ans. Son conseiller pour les affaires israéliennes, Imad Shaqour, s’en est pour sa part violemment pris à Mohammed Dahlan qu’il a accusé de nourrir le chaos à des fins personnelles. «La menace de faire descendre dans la rue 30 000 personnes n’aidera pas à résoudre la crise», a-t-il déploré.
Ce Palestinien, qui possède la nationalité israélienne et qui a souvent critiqué les méthodes d’Arafat, n’a en outre pas hésité à affirmer que l’ancien chef de la sécurité dans la bande de Gaza recevait des aides de l’étranger. Pour lui Mohammed Dahlan n’a aucun soutien populaire –il ne dispose d’aucun relais en Cisjordanie– et son courant est minoritaire au sein du Fatah. «Dahlan met le feu à la situation parce qu’il cherche à obtenir un poste bien rémunéré. Quant à ses accusations de corruption, elles sont tout sauf pertinentes dans la mesure où il est l’un des premiers à être accusé de corruption», s’est indigné Imad Shaqour.
Longtemps feutrée, la rivalité entre la vieille garde palestinienne qui entoure Yasser Arafat et les jeunes cadres du Fatah a désormais éclaté au grand jour et déborde dans la rue menaçant les Palestiniens, déjà éprouvés par près de quatre années d’Intifada, d’une guerre fratricide. Pour le moment ces affrontements sont cantonnés au mouvement de Yasser Arafat, les groupes radicaux palestiniens du Hamas et du Jihad islamique se contentant d’observer la situation. Mais si Mohammed Dahlan, qui peut compter sur plusieurs milliers d’hommes armés dans son fief du sud de la bande de Gaza, venait à mettre à exécution sa menace de régler dans la rue la crise que traverse l’Autorité palestinienne, ces groupes radicaux pourraient bien ne plus rester les bras croisés. En tant que chef de la sécurité dans la bande de Gaza, Mohammed Dahlan avait en effet mené une féroce répression contre les islamistes palestiniens qui lui en gardent une rancune tenace.
par Mounia Daoudi
Article publié le 03/08/2004 Dernière mise à jour le 03/08/2004 à 14:36 TU