Cameroun
Vives tensions dans le Nord-Ouest
(Photo : AFP)
Ce jeudi, dès 10 h, des colonnes de militants du SDF sont dans la rue. Innovations : beaucoup sont en larmes ; les takumbeng, vielles femmes qui avaient dans formé un bouclier pour la protection de John Fru Ndi, sont de la partie. Les manifestations, qui ont commencé lundi, se poursuivent. Sous l’encadrement de la police. Un scénario dont pas grand monde au sein du régime n’aurait souhaité écrire les épisodes.
Vendredi 20 août. Le gouverneur de la province effectue une tournée dans le département de Ngoketunja afin de faire le point sur les inscriptions sur les listes électorales. Selon des témoignages, John Nkonteh, coordonnateur départemental du SDF, se fend d’une critique publique, mettant en cause le Fon Doh Gah Ngwanyin, chef traditionnel autoritaire et craint, auquel il est imputé la responsabilité des dysfonctionnements du processus dans la région. Crime de lèse-majesté. Le chef Doh promet publiquement de prendre sa revanche sur «l’irrévérencieux» responsables du SDF.
Dans la même soirée, quelques deux cents individus -selon nos informations- tendent une embuscade à John NKonteh. Ce dernier est passé à tabac, laissé pour mort. Pour des hauts cadres du parti de John Fru Ndi, c’est le Fon lui-même qui aurait asséné le coup de grâce à leur camarade. Pour l’instant, cette version de l’histoire n’a pas été démentie. En attendant probablement les résultats d’une enquête dont le gouverneur du Nord-Ouest a annoncé l’ouverture.
Mais déjà, le Social Democratic Front a décidé de l’organisation des marches de protestation «jusqu’à ce que le Fon Doh soit mis aux arrêts et qu’il réponde de son forfait». Depuis lundi, des milliers de militants du SDF battent le pavé, lors des actions menées par John Fru Ndi en personne, des députés et des hauts cadres du parti. La Coalition pour la reconstruction et la réconciliation nationales (CRRN), un regroupement des partis politiques, dont le SDF, qui a promis de présenter un «candidat unique» face à Paul Biya à la prochaine élection présidentielle, n’est pas restée en reste, en décidant de suspendre ses marches instituées dans les rues de Yaoundé depuis fin juin, pour exiger «l’ informatisation du processus électoral avant toute élection». Une délégation de ses leaders est allée présenter ses condoléances à la famille du regretté John Nkonteh à Balikumbat, avant de s’émouvoir du «terrorisme» , et de s’inquiéter de la répression dont l’opposition est victime, avec sans doute une arrière-pensée pour la réaction musclée des forces de l’ordre qui ont pris l’habitude de contenir au centre-ville de Yaoundé, la Coalition dès lors contrainte à l’immobilisme.
(Carte : DR)
Manifestations de deux heures chaque jour
Dans le camp du pouvoir, les réactions restent contrastées. Des élites de Balikumbat, en général de hauts cadres de l’administration, se sont en début de semaine indigné du meurtre de John Nkonteh, dénonçant dans un communiqué de presse, cet acte «odieux», et demandant que la justice détermine les responsabilités dans cette affaire. Les autorités quant à elles, semblent désemparées. Le RDPC , dont le Fon Gah Doh est député à l’Assemblée nationale -l’unique sur la vingtaine que compte la province du Nord-Ouest- tarde à se prononcer sur ce meurtre. Toutefois, selon de bonnes sources au sein du parti au pouvoir, une réaction officielle sera rendue publique. Elle devrait se résumer en trois points : envoi d’une mission à Balikumbat, porteuse entre autres messages des condoléances au SDF ; mise sur pied d’une commission d’enquête interne, sans préjudice des enquêtes administratives et judiciaires en cours ; rappel des options du parti pour l’attachement à la vie humaine, au respect des droits de l’homme et des principes de la démocratie. On évoquait pourtant, dans les coulisses à un certain niveau de la hiérarchie, la double hypothèse de l’exclusion du chef traditionnel du parti, et de la mise en œuvre de la procédure de la levée de son immunité parlementaire.
L’équation reste délicate et se formule en quelques questions pour l’instant sans réponse : la justice aura-t-elle suffisamment les mains libres pour diligenter la procédure sans interférence, et fera-t-elle montre de courage au point de n’épargner aucun coupable ? Une chose est sure : les autorités , déjà fragilisées par la gravité de la situation dans le Nord-Ouest, pourraient difficilement prendre le risque d’empêcher les manifestations programmées par le SDF au risque de mettre le feu aux poudres, mais personne ne peut prédire la tournure des événements. Petite consolation : John Fru Ndi, qui s’est déjà dit conscient des conséquences économiques des actions du SDF à Bamenda, a décidé de programmer les manifestations pour une durée de deux heures chaque jour.par Valentin Zinga
Article publié le 26/08/2004 Dernière mise à jour le 26/08/2004 à 14:09 TU