Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Proche-Orient

Sharon brandit la menace d'une «guerre civile»

Ariel Sharon a été conspué dimanche par plusieurs milliers de colons. 

		(Photo : AFP)
Ariel Sharon a été conspué dimanche par plusieurs milliers de colons.
(Photo : AFP)
Le conflit entre le Premier ministre israélien et ses détracteurs, fortement mobilisés ces dernières semaines contre son plan de séparation unilatérale d’avec les Palestiniens, s’est considérablement aggravé avec pour la première fois des appels à la désobéissance civile lancés par le camp des ultranationalistes. Un important rassemblement de colons s’est en outre tenu dimanche à Jérusalem pour dénoncer le projet d’Ariel Sharon de démanteler les colonies de la bande de Gaza et quatre petites implantations de Cisjordanie prévu d’ici le printemps prochain. Le durcissement des positions des radicaux israéliens intervient à la veille du vote par le gouvernement d’un projet de loi d’indemnisation des colons, première étape concrète du plan d’évacuation défendu par le Premier ministre.

Jamais Ariel Sharon n’était apparu aussi sévère ni aussi déterminé à appliquer son plan de séparation d’avec les Palestiniens. Président dimanche une réunion de son cabinet, le Premier ministre a lancé un avertissement solennel : «Nous sommes témoins ces derniers jours d’une campagne d’incitation grave à la guerre fratricide», a-t-il dénoncé en tapant du poing sur la table. «Les menaces contre  les officiers et les responsables de la sécurité sont particulièrement inadmissibles», a-t-il également ajouté, appelant les membres de son cabinet à enfin «faire entendre leur voix». Le chef du gouvernement, qui a affirmé regretter que les appels à la sédition ne se fassent pas uniquement entendre dans le camp des colons –allusion à peine voilée aux durs de son parti, le Likoud, parmi lesquels certains de ses ministres–  faisait référence à l’appel lancé vendredi par quelque 200 personnalités d’extrême droite. Dans ce texte signé notamment par d’anciens militaires d’active et par des universitaires, les soldats et les policiers sont invités ni plus ni moins à la désobéissance civile. «Ne participez pas à un crime contre l’humanité», proclame ainsi le document qui affirme que l’armée israélienne a été «créée pour défendre les Israéliens contre l’ennemi et non pas pour s’en prendre aux juifs et les expulser de leur patrie». «Les soldats, les officiers et les policiers doivent se mettre à l’écoute de leur conscience nationale et ne pas participer à des opérations qu’ils regretteront toute leur vie», ajoute également le texte.

Cette escalade verbale intervient alors qu’Ariel Sharon, fort du soutien d’une majorité d’Israéliens –plus de deux tiers de la population est en faveur d’un retrait de la bande de Gaza– mais également confronté à une grave crise au sein de son parti, entend donner un coup d’accélérateur à l’application de son plan de séparation d’avec les Palestiniens. La première étape concrète devrait être franchie mardi avec l’adoption en conseil des ministres d’un projet de loi sur l’indemnisation des colons. Ce texte prévoit notamment le versement d’avances correspondant à un tiers de la valeur des logements évacués pour toute famille acceptant de partir volontairement. Son adoption doit ouvrir la voie au démantèlement prévu d’ici fin février 2005 des colonies de la bande de Gaza où vivent quelque 8 000 personnes et à l’évacuation de quatre petites implantations de Cisjordanie.

Vive inquiétude quant à un déferlement de violences

Mais le Premier ministre doit faire face à l’opposition des colons déterminés à faire entendre leur voix et à empêcher coûte que coûte l’application de son plan. Ces derniers ont organisé dimanche un important rassemblement à Jérusalem. Quelque 40 000 personnes –70 000 selon les organisateurs– y ont participé sous le mot d’ordre «la séparation va déchirer le peuple». Certains militants radicaux ont même brandi des portraits d’Ariel Sharon présenté comme un «dictateur», avant de les retirer après l’intervention musclée des services de police. Cette démonstration de force n’est que la première d’une série de manifestations destinées à infléchir la position du Premier ministre, la campagne devant s’achever avec la mobilisation de plusieurs centaines de milliers d’Israéliens dans une centaine de villes du pays. Une pétition, qui a l’ambition de recueillir un million de signatures, circule actuellement sous le mot d’ordre «un cœur juif n’expulse pas de juifs» pour faire pression sur Ariel Sharon et ses proches.

Cette mobilisation du camp des ultranationalistes inquiète sérieusement les autorités israéliennes qui craignent un déferlement de violences. Les propos haineux tenus par les ténors de l’extrême droite ne sont en effet pas sans rappeler la campagne de diffamation qui avait précédé l’assassinat en novembre 1995 de l’ancien Premier ministre Yitzhak Rabin par un extrémiste juif, mettant fin aux négociations de paix avec les Palestiniens. La fille de ce dernier, Dalia Rabin, a d’ailleurs récemment déploré que «depuis neuf ans rien n’ait été fait contre les extrémistes de droite qui mettent en péril la démocratie israélienne».

Plusieurs médias ont en outre fait état de groupuscules radicaux prêts à passer à l’action pour saboter le plan de retrait d’Ariel Sharon. La protection rapprochée du Premier ministre a été discrètement renforcée tout comme les mesures de surveillance autour de l’esplanade des mosquées, dans la vieille ville de Jérusalem, où les services de sécurité israéliens craignent qu’un attentat ne soit commis contre ce troisième lieu saint de l’islam. Une action terroriste contre le Premier ministre ainsi qu’un déferlement de violence visant les Palestiniens créeraient en effet une situation de chaos qui entraînerait inévitablement l’abandon du plan de retrait de la bande de Gaza, une option que ne peut ignorer l’extrême droite israélienne.

Signe que l’affaire est prise très au sérieux, Ariel Sharon a invité ses ministres «en charge des questions de sécurité à prendre toutes les mesures nécessaires» contre ces incitations à la violence et à la désobéissance civile. La mise en détention administrative de responsables religieux et de colons qui prônent une opposition violence au plan de retrait de Gaza est pour la première fois ouvertement évoquée. «Nous avons légalement le droit d’ordonner une mise en détention administrative –qui permet de maintenir en prison des suspects sans les inculper– même si nous recourons à cette mesure non démocratique qu’en de rares occasion», a ainsi déclaré le ministre de la Justice Tommy Lapid. Selon ce ténor du parti laïc Shinoui «les récentes mises en garde des services de sécurité laissent penser qu’il y a quelques personnes prêtes à s’attaquer à des personnalités de premier plan». «Avant l’assassinat d’Yitzhak Rabin, nous ne pensions pas qu’une telle chose était possible. Nous savons maintenant qu’elle l’est», a-t-il ajouté. 



par Mounia  Daoudi

Article publié le 13/09/2004 Dernière mise à jour le 14/09/2004 à 09:06 TU

Audio

Dominique Roch

Correspondante permanente de RFI à Jérusalem

«Chaque famille de colons touchera de 200 000 à 500 000 dollars.»

[14/09/2004]

Articles