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Congo démocratique

Cannibalisme : accusations mensongères

Jean-Pierre Bemba a reçu les excuses de la communauté pygmée. 

		(Photo : AFP)
Jean-Pierre Bemba a reçu les excuses de la communauté pygmée.
(Photo : AFP)
Accusés de « cannibalisme », les miliciens de Jean-Pierre Bemba avaient déclenché une vague de réprobation internationale en 2003. Deux ans plus tard, les principaux témoins déclarent qu’ils ont menti.

Deux ans après les faits, trois pygmées déclarant s’exprimer au nom de leur communauté ont demandé pardon à Jean-Pierre Bemba et à son parti (le Mouvement de libération du Congo) pour les avoir accusés à tort de cannibalisme au cours de l’opération militaire « effacer le tableau » menée dans la province d’Ituri (dans le nord-est du pays) en octobre 2002.

« Au nom de toute la communauté pygmée que nous avions engagée par nos déclarations (…), nous demandons pardon aujourd’hui à Monsieur Jean-Pierre Bemba ainsi qu’au MLC (Mouvement de libération du Congo) pour le tort que nous leur avions causé », a déclaré le porte-parole du groupe, Angali Saleh, lors d’un point de presse à Kinshasa, auquel participait des cadres et militants du MLC (mouvement rebelle à l’époque des faits). Angali Saleh a également imploré « le même pardon auprès du président Joseph Kabila et de l’opinion publique pour les avoir induits en erreur ».

L’affaire éclate à la mi-janvier 2003. Depuis le mois d’octobre, des combats opposent deux groupes rebelles, le MLC et le RCD-ML, pour le contrôle d’une fraction de la province orientale congolaise, dans la région de Mambasa. Selon divers témoignages, les combats ont donné lieu à d’épouvantables exactions de la part des combattants de Jean-Pierre Bemba, et jeté des dizaines de milliers de personnes sur les routes. Il était alors non seulement question des atrocités tristement ordinaires commises en temps de guerre (assassinats, viols, mutilations), mais aussi d’actes de cannibalisme, dénoncés dès le 25 décembre par l’évêque de Butembo. L’affaire avait provoqué une émotion internationale considérable, notamment en raison du caractère symbolique de la transgression (anthropophagie) et en dépit des démentis persistants de la direction du MLC.

« Un seuil de l’horreur a été franchi »

A la mi-janvier 2003, des enquêteurs de la Mission des Nations unies en RDC (Monuc) avaient transmis au Conseil de sécurité un rapport préliminaire, établis sur la foi de 368 victimes ou témoins, dans lequel ils confirmaient les faits. Protestant de sa bonne foi, mais à bout d’arguments face à l’avalanche de témoignages et de réactions indignées, Jean-Pierre Bemba annonçait avoir fait diligenter une enquête parmi ses miliciens et opéré des arrestations afin d’établir toute la lumière sur cette affaire. L’enquête interne n’avait rien donné, mais des partisans du MLC avaient été jugés et condamnés pour des délits mineurs. Cependant, face à la gravité des accusations, pour la presse internationale « un seuil de l’horreur (avait) été franchi et l’opinion publique (était) révulsée » (Colette Braeckman, le Soir en ligne du 16 janvier 2003).

Mais, à ce stade de l’histoire, les soucis des responsables du MLC ne font que commencer. Le 23 juin 2004, la Cour pénale internationale (CPI) nouvellement créée démarre ses tout premiers travaux par l’ouverture d’une enquête sur les crimes commis sur l’ensemble du territoire congolais, depuis le 1er juillet 2002, date de l’entrée en fonction de la Cour. Les crimes de guerre commis en Ituri figurent donc parmi les dossiers dont la justice internationale est désormais saisie. Le Parquet se penche sur les « viols, tortures, déplacements forcés et conscriptions illégales d’enfants soldats » dont font état les rapports des organisations non gouvernementales et internationales. Il a annoncé son intention de « cibler » ceux qui « portent la plus grande responsabilité pour les crimes (…) commis actuellement ». Jean-Pierre Bemba, devenu depuis l’un des vice-présidents du gouvernement de transition, entre dans les critères. Mais il est également l’un des pivots de la normalisation en cours à Kinshasa. Dès son premier dossier, la CPI entre en diplomatie.

« Brusque réapparition » des pygmées

Si les témoignages prononcés lundi sont authentifiés et versés au dossier, après cette mise au point des accusateurs c’est une partie importante du dossier à charge qui disparaît. « Aucun membre de notre communauté n’a été tué et mangé par les militaires du MLC à la suite de ces affrontements. Toutes les personnes que nous avions déclarées à l’époque ‘tuées et mangées’ (…) sont bel et bien vivantes jusqu’à ce jour dans leurs cantonnements respectifs », a encore indiqué M. Angali, ajoutant que sa communauté était prête à « les présenter physiquement ». Les trois pygmées ont soutenu avoir été manipulés par « des politiciens » dans le but de « salir le nom de M. Bemba ».

Le RCD-ML, mouvement contre lequel combattait le MLC à l’époque et proche de l’accusation, a qualifié cette « brusque réapparition » des pygmées à Kinshasa « d’action visant à conditionner ou neutraliser la recherche de la vérité ». Selon le MLC-ML, « la gestion de l’affaire de cannibalisme, tout comme celle d’autres crimes de guerre, devait être laissée aux instances judiciaires internes et internationales ». « Dire qu’il n’y a rien eu du tout contre ceux qui ont fui en masse est donc non seulement inexact, mais paraît en plus ingrat envers les dizaines d’ONG et la population qui (…) ont accueilli ces milliers de pygmées et des centaines de milliers d’autres Congolais ».



par Georges  Abou

Article publié le 22/09/2004 Dernière mise à jour le 22/09/2004 à 13:55 TU