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Justice internationale

Un « seigneur de la guerre » bosniaque dans le box

Des survivants du massacre de 1995 de l'enclave bosniaque de Sebrenica, tiennent le portrait de Naser Oric. 

		(Photo : AFP)
Des survivants du massacre de 1995 de l'enclave bosniaque de Sebrenica, tiennent le portrait de Naser Oric.
(Photo : AFP)
Le procès d’un ancien commandant de l’armée des musulmans de Bosnie s’est ouvert, mercredi matin devant le tribunal international pour l’ex-Yougoslavie. Alors que le tribunal a, jusqu’ici, abordé le drame de Srebrenica sous le seul angle du génocide de 1995, commis par les forces serbes de Bosnie, le procureur accuse Naser Oric de violations des lois de la guerre commises deux ans auparavant à l’encontre des Serbes.

De notre correspondante à La Haye

« Ce procès est celui d’un jeune commandant devenu un seigneur de la guerre », lance le procureur Jan Wubben dans le prétoire du tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY). Naser Oric est accusé de violations des lois de la guerre pour meurtres, traitements cruels et destruction de villes et de villages, commis en 1992 et 1993 dans la région de Srebrenica en Bosnie. Héros ? Résistant ? Criminel ? Ou traître ? L’histoire de ce jeune seigneur de la guerre – il avait 25 ans quand il est devenu commandant dans l’armée des musulmans de Bosnie – conserve une part d’ombre que le procès ne lèvera sans doute pas.

À quelques semaines de la prise de Srebrenica en juillet 1995, Naser Oric aurait quitté la région pour rejoindre Sarajevo, et aurait, selon ses détracteurs, laissé tomber l’enclave, déclarée « zone protégée » par les Nations unies, aux mains de l’armée des Serbes de Bosnie. Mais l’acte d’accusation du procureur n’aborde pas la question. Naser Oric était « tenu de respecter le droit de la guerre » et ne l’a pas fait. Deux ans avant le massacre de plus de 7 000 civils musulmans par les forces serbes à Srebrenica, il a laissé ses hommes encercler, brûler et piller les villages, et passer à tabac des prisonniers serbes.

Naser Oric, c’est le chef militaire, qui « prenait plaisir à déambuler dans les couloirs de la prison », dit le procureur, montrant, photos à l’appui, le visage de détenus serbes furieusement amochés. C’est celui qui « a vu les visages couverts de sang des détenus. Il savait que les prisonniers confiés à ses gardiens étaient tués ». Il a encouragé les crimes, en fonction « d’un plan et d’une politique établie », partageant le butin de guerre, résultat des pillages, avec ses subordonnés. Une soixantaine de témoins viendra déposer contre Naser Oric, qui dans le box a abandonné le treillis pour un look de Dandy. Cheveux gominés, chemise rose et cravate violette, l’accusé prend note sans ciller. Ces témoins seront en partie des victimes serbes, « qui ont perdu leur foyer, et plusieurs membres de leur famille » . Mais aussi des bosniaques, juges, militaires, politiciens, médecins, qui « témoigneront après avoir risqué leur vie pendant la guerre et au risque d’être aujourd’hui traité de traîtres, ou pire ».

Le procureur promet de présenter des pièces, des lettres de démission. « Ces responsables étaient fiers d’être conduits par Naser Oric mais ont démissionné en raison des exactions de plus en plus nombreuses à Srebrenica, précise Jan Wubben. Seul un seigneur de la guerre peut cacher ses crimes derrière la nécessité militaire ou l’impuissance en raison du chaos », poursuit-il, « Naser Oric avait camouflé ses habits de seigneur de la guerre sous l’uniforme du chef militaire ». Son objectif était « de débarrasser le territoire de Srebrenica de tous les citoyens serbes de Bosnie », conclut le procureur.

Génocide, siège, famine, maladie

En face, la réponse de la défense est cinglante, précise, efficace. L’avocat londonien de Naser Oric plaide en quatre mots : génocide, siège, famine, maladie. « Le génocide a commencé en 1992 (…) avec le début du nettoyage ethnique mené par les Serbes dans toute la Bosnie orientale », reprend-il, reprochant au parquet d’évoquer les faits hors du contexte plus général de la guerre de Bosnie. Il dresse le portrait d’un résistant qui n’avait d’autre choix que « partir ou combattre », et qui a décidé « de résister à une campagne de nettoyage ethnique, qui brûlait les livres et qui détruisait les mosquées ». Puis John Jones interroge les trois juges : « Est-ce un crime si des civils volent de la nourriture ? Faut-il les condamner pour avoir voulu entrer dans les villages d’où ils avaient été chassés ? Est-ce piller que de voler des armes et des munitions à une armée qui est résolue à vous détruire et alors que vous êtes frappés par l’embargo des Nations unies ? Est-ce un crime de résister ? »

Il rappelle que le procureur du tribunal international a inculpé plusieurs personnes pour  génocide à Srebrenica, en 1995 et égrène, quelques noms : ceux des chefs serbes de Bosnie, Krajisnik, Plavsic, Mladic, Karadzic, et enfin Milosevic… « Soudain, lance-t-il avec assurance, le noir se change en blanc et le blanc en noir, et c’est Alice au Pays des Merveilles… » Pour lui, le procureur n’inculpe M. Oric que pour « vol de téléviseurs » avec l’idée de permettre à « l’Onu d’être exonérée pour ses manquements ». Les tentatives révisionnistes menacent le procès argumente-t-il. « Certains Serbes ou certains responsables des Nations unies essaient de réécrire l’histoire de Srebrenica afin de s’absoudre » de leurs crimes ou de leurs erreurs, mais « ce procès ne doit pas faire renaître ce vieux dogme du maintien de la paix selon lequel on est de chaque coté coupable».



par Stéphanie  Maupas

Article publié le 07/10/2004 Dernière mise à jour le 07/10/2004 à 11:10 TU