Mauritanie
Les islamistes en ligne de mire
(Source : Nouakchott Info/www.mapeci.com)
De notre correspondante en Mauritanie.
Après l’arrestation de Saleh ould Hannena, les mauritaniens s’attendaient à un apaisement. Pour l’instant la rigueur est de mise et le ménage dans les rangs militaires et civils semble continuer comme le prouve l’arrestation de trois leaders islamistes, le chef spirituel Ould Dedew, l’ancien ambassadeur Moctar ould Mohamed Moussa, et Jemil ould Mansour, leader politique et ancien élu de la capitale.
Leur interpellation est intervenue au lendemain de celle de Saleh ould Hannena, l’ennemi numéro 1 du pouvoir, mais aussi au lendemain d’une interview donnée par Ould Dedew sur la chaîne télévisée Al Jazeera. Dans sa déclaration, suivie par de nombreux mauritaniens, le chef religieux appelait à l’apaisement et suggérait une réconciliation nationale pour sortir du climat de coup d’Etat dans lequel est plongé le pays –les autorités ont annoncé avoir déjoué deux tentatives de renversement du pouvoir depuis début août. Suspect ou déplacé, ce conseil politique n’a manifestement pas joué en faveur des islamistes.
Nouakchott aurait trouvé le chaînon manquant
Même si la Direction de la police a précisé dimanche soir qu’il ne s’agissait pas d’arrestations mais d’interpellations, les islamistes sont bel et bien, une fois de plus dans le collimateur du pouvoir. De sources policières, certains de leurs jeunes émules auraient été recrutés par quatre mauritaniens et envoyés, vers le nord de la Côte d’Ivoire afin d’être formés pour mener des actions terroristes en Mauritanie.
Il y a dix jours, le ministre de l’Intérieur avait déjà évoqué la présence de camps d’entraînement en zone ex-rebelle ivoirienne, dans la région de Koutchala, sans encore évoquer la présence d’islamistes.
Nouakchott aurait donc trouvé le chaînon manquant pour faire le rapprochement entre islamistes et putschistes. De là à accréditer la thèse d’une menace terroriste islamiste en Mauritanie, il n’y a qu’un pas. Un pas qui pourrait justifier le renforcement de la présence américaine dans le pays. Les deux groupes incriminés ont déjà été associés ces derniers mois dans les discours officiels. Annonçant l’échec d’un complot contre le pouvoir, début août, le ministre de la défense Baba ould Sidi avait évoqué une coïncidence : « Il est remarquable que cette nouvelle tentative –de coup d’Etat, ndlr- intervienne en même temps que les menaces de frapper durement la Mauritanie proférées ces derniers jours par le terroriste Al-Zarqaoui ». Sur Internet le groupe terroriste aurait menacé de frapper d’une main de fer la Mauritanie accusée d’entretenir des relations avec Israël.
En juillet 2003, un mois après le putsch manqué, le président ould Taya avait fait le rapprochement entre ceux dit-il qui appellent au Jihad dans les mosquées pour prendre le pouvoir et ceux qui ont effectivement pris les armes. A cette période, 32 islamistes étaient sous les verrous inculpés de complot contre l’ordre constitutionnel. Très impopulaire, leur arrestation s’est soldée par une mise en liberté provisoire, durable.
131 présumés putschistes emprisonnés
Toujours aussi mal acceptée, l’interpellation des leaders islamistes a provoqué l’indignation d’une dizaine de partis d’opposition. « Nous sommes solidaires et réclamons la libération de ces personnalités éloignées de tout soupçon, qui ont toujours crié haut et fort leur position vis-à-vis de la violence, vis à vis de ce qui est bon et profitable pour le pays c'est-à-dire la concertation le dialogue, la tolérance», a déclaré hier Messaoud ould Boulkheir, président de l’Alliance populaire et progressiste, au nom de tous les partis réunis.
Les Mauritaniens sont les premiers à demander aujourd’hui un retour à la sérénité. Mais rien n’est gagné. « Après l’arrestation de Saleh ould Hannena, le plus difficile reste à faire », titrait lundi le quotidien Nouakchott Info. L’arrestation de l’ex-commandant, radié de l’armée en 2000 était la priorité absolue du gouvernement. Mais la fin de la chasse à l’homme ne signifie pas l’arrêt des pressions sécuritaires sur les habitants, ni la tranquillité pour les autorités. L’homme était à la tête des cavaliers du changement, un mouvement armé mystérieux qui vient de se doter d’un nouveau chef, Mohamed ould Cheikhna, officier supérieur, en fuite depuis le coup d’Etat manqué du 8 juin 2003.
Dans un communiqué publié sur le site Internet dédié à l’organisation clandestine, il s’engage à mettre bientôt fin au régime du président Maaouya ould Taya. « Le temps est au travail et à l’action, nous renouvelons notre choix de renverser le pouvoir par les armes », écrit-il, mettant en garde ceux qui maltraiteraient les militaires déjà arrêtés. Cent trente et un présumés putschistes emprisonnés depuis un an et demi après le coup d’Etat du 8 juin 2003 doivent comparaître le 21 novembre devant la justice.
par Marie-Pierre Olphand
Article publié le 12/10/2004 Dernière mise à jour le 12/10/2004 à 10:54 TU