Afghanistan
Victoire attendue
(Photo : Tony Cross)
De notre correspondant à Kaboul.
« C’était une victoire attendue », clame un membre du bureau de Hamid Karzaï. Visiblement satisfait, il ne peut contenir un large sourire, tout en invitant ses hôtes à partager le repas de rupture du jeûne. L’élection présidentielle afghane s’est tenue quelques jours avant le début du ramadan. Avec 4,2 millions de voix sur huit millions de votants, le président sortant a gagné la course. Sans être un raz de marée, son élection est confirmée : 55,3% des suffrages*. Son dauphin, l’ancien ministre de l’Education, Yunus Qanouni, obtient 16,2% des votes. Les deux suivants, les seigneurs de guerre Rachid Dostom et Mohammad Mohaqqiq, plafonnent autour de 10%. Le choix des électeurs s’est donc porté sur l’homme de la paix. Installé début 2002 par les Américains, Karzai est parvenu à réduire le pouvoir des commandants locaux, responsables de la guerre civile en Afghanistan après le départ des Soviétiques, fin 1980, et surtout, celui des Taliban. Son élection est aussi un message clair du peuple afghan à la communauté internationale : « continuez à nous aider à reconstruire notre pays ».
Najibullah Omed, étudiant à l’université de Kaboul a laissé tomber son shawar kamiz, le vêtement traditionnel afghan, pour un jean, tee-shirt et baskets. Depuis le départ des fondamentalistes, il goûte avec joie à cette liberté toute simple : pouvoir s’habiller comme il veut. « Je ne comprends pas ceux qui pensent que ces élections ne sont pas crédibles. Nous avons tous voté et c’est ça qui compte. Nous savons bien, même ici en Afghanistan, que le président sortant bénéficie toujours de plus de moyens que les autres », confie-t-il un peu excédé par les nombreuses plaintes des Afghans, mais également par celles des principaux candidats de l’opposition contre le scrutin. « C’est vrai que chez nous, le président sortant était nettement plus avantagé que dans un autre pays », ajoute-t-il. Pas faux. Hamid Karzai aura bénéficié de solides privilèges par rapport à ses rivaux : une protection rapprochée et des moyens de transport entièrement sécurisés fournis par Washington, une équipe d’experts en communication également fournie par les Américains, de l’argent, etc.
« Je reconnais le scrutin. Notre nouveau président est Hamid Karzai »
Cet arsenal aura permis au président sortant de mener campagne beaucoup plus professionnellement que les autres. Alors que Massouda Jalal, seule femme à se présenter à l’élection présidentielle, menait campagne avec ses enfants, un unique garde du corps et un véhicule défoncé, Hamid Karzai se rendait dans le Nord du pays en hélicoptère. En outre, ses portraits figurent dans la plupart des édifices administratifs du pays, il a fallu expliquer aux Afghans qui étaient ceux qui soudain se sont retrouvés affichés sur les murs du pays pour la présidentielle. « Derrière le rideau rouge **, je ne savais pas pour qui voter. Je ne connais personne, moi. J’ai fait un trait sur le visage de celui que j’avais vu hier à la télévision », raconte Noorollah Waffa, fermier dans la province du Logar, située à l’ouest de Kaboul. Par ailleurs, très peu de grands rassemblements ont eu lieu au cours de la campagne, pour des questions de sécurité mais aussi par tradition : on réunit ici les chefs de villages et les mollah pour les convaincre. Ces derniers transmettent ensuite leurs consignes de vote aux villageois. A ce petit jeu-là, mieux armé et mieux organisé, disposant d’un solide groupe de représentants dans tout le pays, le président sortant aura été le meilleur.
« Je reconnais le scrutin. Notre nouveau président est Hamid Karzai », a affirmé à quelques journalistes réunis chez lui, Yunus Qanouni. Numéro deux, mais très loin derrière, l’ancien ministre de l’Education était le seul à pouvoir inquiéter le président sortant. Tadjik, proche des forces de l’Alliance du Nord qui ont pris Kaboul fin 2001, Qanouni avait l’appui des anciens moudjahidin et du puissant ministre de la Défense, le maréchal Fahim. D’aucuns disent qu’une promesse de ministère lui aurait été faite par Karzai lui-même***. « Hormis Karzai, il est l’un des seuls candidats à avoir mené une campagne à peu près digne de ce nom. On s’attendait plutôt à un deuxième tour entre ces deux hommes », confie un observateur français. Il ajoute : « Les Afghans ont fait le choix de la prudence. Après 23 ans de guerre, c’est normal. Ce qu’il faut retenir de ce premier scrutin démocratique, c’est la fin des Taliban. Les islamistes n’ont pas pu enrayer le processus électoral. Le nom de Karzai est désormais associé à cette réussite ».
par Eric de La Varène
Article publié le 26/10/2004 Dernière mise à jour le 26/10/2004 à 05:50 TU
*95% des bulletins ont été dépouillés. Il reste encore plusieurs centaines d’urnes mises de côté par les trois experts chargés par les Nations unies de vérifier les éventuelles fraudes. Quoiqu’il en soit, aucun candidat ne peut plus mathématiquement rejoindre Hamid Karzai. Ce dernier dispose déjà du minimum requis pour être élu au premier tour : 50% des votes plus une voix.
** L’isoloir.
*** Yunus Qanouni a fait partie de la fronde des quatorze candidats qui, le jour du scrutin, ont déposé plainte auprès de la commission électorale. Ils ont demandé l’annulation des élections. Pour un problème d’encre indélébile qui, en fait, ne l’était pas. En l’absence de listes électorales, cette encre était le seul moyen de vérifier que les électeurs n’allaient pas voter plusieurs fois. Dans les jours qui ont suivi, Yunus Qanuni a été longuement reçu par l’ambassadeur des Etats-Unis et par le président Hamid Karzai. Il a retiré sa plainte.