Indonésie
Début du procès d’Abou Bakar Bashir
(Photo : AFP)
De notre correspondant à Djakarta.
Présence policière massive, véhicules anti-émeutes, détecteurs de métaux et fouilles au corps. Le procès d’Abou Bakar Bashir, tenu dans l’auditorium du ministère de l'Agriculture à Djakarta, est placé sous très haute sécurité. On craint les provocations des militants islamistes venus en très grand nombre. Plusieurs dizaines ont pris place dans la salle d’audience et accueillent l’entrée de Bashir aux cris de Allah ô Akbar (Dieu est grand). Le vieux prédicateur, en djellaba blanche, les salue puis ordonne le silence en posant un doigt sur sa bouche. Le calme est immédiatement rétablie et cette première journée d’audience se déroulera sans autre incident. Bashir écoute, très concentré, les cinquante pages du dossier d’inculpation qui le présente comme le chef de la Jemaah Islamyah et l’inspirateur des attentats de Bali (octobre 2002 – 202 morts) et de l’hôtel Marriott de Djakarta (août 2003 – 14 morts). Au juge qui lui demande s’il reconnaît sa culpabilité, Bashir oppose un « non » catégorique. « Ce procès est le produit d’un complot américain », explique le religieux, « et à travers moi, c’est l’islam que l’on tente de discréditer ». Avocats et accusateurs vont maintenant s’affronter pendant plusieurs mois pour démêler les fils d’un dossier très complexe dont le verdict sera rendu au printemps prochain.
Les responsables des attentats anti-occidentaux dans l’archipel ont presque tous étudié dans l’école coranique de Bashir et c’est autour de cette école que fait surface, dès la fin des années 1970, le nom de Jemaah Islamiyah. Il est donc presque certain que Bashir soit le fondateur de ce réseau. Hypothèse confirmée par le témoignage d’islamistes repentis qui affirment, selon le dossier à charge, que le prédicateur a intronisé plusieurs chefs locaux de l’organisation lors d’une cérémonie militaire tenue dans la jungle du sud des Philippines. Mais de nombreux spécialistes affirment la Jemaah serait divisée en deux tendances. La première serait opposée aux attaques anti-occidentales et voudrait s’en tenir à des opérations contre les chrétiens de l’archipel pour ne pas mettre en péril l’objectif historique de l’organisation : la création d’un grand califat islamique en Asie du Sud-Est.
L’image désastreuse de l’archipel à l’étranger
La deuxième tendance, constituée par les vétérans de la guerre contre les Soviétiques en Afghanistan, aurait au contraire embrassée la guerre mondiale d’al-Qaïda contre l’Occident. L’enjeu du procès est donc de savoir si Bashir a, ou n’a pas, souscrit au combat d’Oussama ben Laden. C’est une question cruciale car Bashir est une personnalité respectée par tous les groupes fondamentalistes indonésiens, et qui dispose, à ce titre, de la capacité d’en influencer les orientations politiques et militaires. Américains et Australiens sont convaincus de sa culpabilité, sur laquelle subsiste néanmoins de sérieux doutes. La défense rappelle notamment que Bashir a condamné publiquement, par un « texto » (télé message) envoyé à la presse, le récent attentat contre l’ambassade australienne de Djakarta (septembre 2004 – 12 morts).
Le procès, retransmis à la télévision, est suivi avec attention par les Indonésiens et constitue un enjeu important pour le pays qui pratique historiquement un islam très modéré. Pendant longtemps, la population a donné l’impression de ne pas prendre la mesure du problème de l’islam radical. La presse notamment, qui a parfois relayé dans ses colonnes les thèses des milieux fondamentalistes, thèses faisant porter la responsabilité des attentats à la CIA américaine. Mais l’attaque contre l’ambassade australienne de Djakarta a provoqué un électrochoc. Sans doute parce qu’il s’agissait du deuxième attentat, en un peu plus d’un an, qui frappait la capitale indonésienne. Le ton a changé dans les médias qui dénoncent désormais sans nuance le fanatisme religieux et s’interrogent sur l’image désastreuse de l’archipel à l’étranger. Mais dans le même temps, la population est traversée par une très forte vague d’anti-américanisme, alimentée par les images de la guerre en Irak ou en Palestine, et reste très sceptique sur la culpabilité de Bashir qui est encore souvent perçu comme la victime d’un lynchage médiatique occidental.
par Jocelyn Grange
Article publié le 29/10/2004 Dernière mise à jour le 29/10/2004 à 06:29 TU