Sans-papiers
Les douze grévistes de la faim régularisés
(Photo : AFP)
Vendredi 6 mai, six des douze grévistes de la faim revendiquant une régularisation de leur situation ont été acheminés vers l’hôpital Raymond Poincaré à Garches (Hauts-de-Seine), les six autres attendant leur hospitalisation. Le même jour, un porte-parole de la préfecture de Police de Paris annonçait que «l’examen au cas par cas des dossiers mené conformément à la jurisprudence du Conseil d’Etat et selon les critères habituels [allait] permettre l’admission au séjour des douze personnes concernées», nouvelle confirmée par le président de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), Michel Tubiana.
Evacués par les pompiers de Paris le 19 avril hors des locaux de l’Unicef France qu’ils occupaient, les douze hommes s’étaient réfugiés dans une annexe de la Bourse du Travail à Paris (3e arrondissement). Depuis 50 jours, ils demeuraient alités, n’absorbant plus que de l’eau salée et du thé sucré enrichis de vitamines afin de poursuivre leur mouvement. Tout au long de leur opération, une équipe de l’ONG Médecins du monde a surveillé leur état de santé alertant l’opinion sur leur amaigrissement inquiétant et leurs signes de faiblesse : «Ils doivent faire l’objet d’une surveillance étroite. L’état biologique de certains d’entre-eux était devenu très dégradé», a souligné Elizabeth Maurel Arrighi.
Amaigris et trop faibles pour envisager de fêter l’issue positive de la lutte engagée, ils ont cependant exprimé leur soulagement à l’instar de Kamel Harrache, un Algérien âgé de 38 ans, qui a déclaré : «Maintenant, et pour la première fois, j’ai le sentiment d’exister en France. Avant, je n’existais pas». Marié, et père d’un enfant scolarisé en France depuis cinq ans, Kamel Harrache avait exercé pendant neuf ans la profession d’enseignant en Algérie. Il a expliqué : «En France, j’ai été contraint de travailler au noir, d’exercer un travail que je n’accepte pas. Ce type de lutte, c’est mon choix, c’est pour l’avenir de mon enfant. Nous avons payé le prix fort pour vivre dignement».
«J’étais rejeté en Algérie, je l’étais de nouveau ici».
Kamel Harrache avait entrepris l’an dernier des démarches pour obtenir des papiers, présenté un dossier complet comprenant passeports, photos, ressources, carnet de santé, livret de famille... Pourtant, après un mois et demi d’attente, il reçoit une lettre de refus, sans explications. Bien déterminé à faire valoir ses droits, il avait alors contacté le 9e collectif des sans-papiers : «Ils ont bien vu que ce n’était pas normal». Un certificat est déposé devant le tribunal administratif, assorti de preuves de menaces contre sa personne en Algérie et attestant la scolarisation de son enfant en France. La préfecture y oppose une fin de non-recevoir au motif de preuves insuffisantes... accompagnée d’une demande de reconduite à la frontière ! Kamel Harrache estimait donc ne pas avoir d’autre choix pour se faire entendre que d’entamer une grève de la faim susceptible d’alerter l’opinion : «Je me trouvais dans une situation dramatique. J’étais rejeté en Algérie, je l’étais de nouveau ici».
Comme Kamel Harrache, ces douze grévistes de la faim étaient membres d’un collectif de sans-papiers créé après l’opération de régularisation des sans-papiers en 1997. Leur dossiers respectifs faisait partie de la liste des 88 demandes de régularisation remises le 7 mars dernier à la préfecture de Police de Paris. Ces grévistes bénéficiaient de l’appui de nombreux syndicats, associations et partis-unions départementales CGT, CFDT, CGT-FO, PCF, LDH, et Ligue communiste révolutionnaire ; Ce soutien à une «poursuite concertée de la grève de la faim» était pressenti comme «inacceptable» par le préfet de Police, Pierre Mutz, considérant qu’il s’agissait là d’un «moyen de faire pression sur l’Etat en mettant en danger la santé des personnes».
A droite, les partisans d’une vigilance accrue des attributions de titre de séjour ont réagi aussitôt. Bruno Mégret, président du mouvement national républicain, a dénoncé samedi dans un communiqué «la lâcheté du gouvernement qui cède au chantage des clandestins. En régularisant les immigrés grévistes de la faim, le pouvoir montre qu’il suffit en France d’exiger pour obtenir. Messieurs Raffarin et de Villepin font ainsi comprendre aux candidats à l’immigration clandestine qu’il n’y a pas en France de digue pour les contenir. C’est une capitulation en rase campagne». Quant au numéro deux du parti d’extrême-droite, Bruno Gollnish, il a estimé que cette régularisation illustrait «l’impuissance totale du gouvernement face au problème de l’immigration qui se poursuit massivement. Nul doute que cette affaire a valeur de test pour des millions de candidats potentiels au séjour illégal sur notre territoire».
par Dominique Raizon
Article publié le 09/05/2005 Dernière mise à jour le 09/05/2005 à 16:12 TU