Sans-papiers
Les conditions de rétention s’aggravent
(Photo : AFP)
Centres surpeuplés, promiscuité maximum, insécurité, locaux dégradés : le ton du rapport 2003 est donné. La Cimade a rencontré cette année 22 304 étrangers en attente de reconduction à la frontière de plus de cinquante nationalités différentes retenus dans dix-huit centres à travers la France. Le premier constat préoccupant porte sur l’état général des lieux de rétention : l’amélioration des conditions de rétention reste faible. Les aménagements matériels prévus par le décret de mars 2001 sont retardés à mars 2005. « Un certain nombre de centres aujourd’hui ne sont toujours pas adaptés pour accueillir les gens de manière convenable », souligne Laurent Giovannoni, coordinateur à la Cimade.
Les aménagements matériels sont encore très insuffisants, comme à Nantes et Nanterre pour lesquels il y a ni accès à l’air libre (cour de promenade), ni espaces suffisants pour accueillir les familles des retenus. Les étrangers sont détenus dans des conditions extrêmement difficiles. Sanitaires constamment bouchés, présence de cafards, manque de linge de toilette, les retenus du centre de Nanterre se voient privés de conditions d’hygiène minimales. Cependant le propos reste à nuancer selon les régions. Les pratiques et conditions de rétention sont très différentes d’une préfecture à une autre. A Strasbourg, Marseille ou Lille, les centres sont en travaux ou en attendent afin de pouvoir accueillir les étrangers dans de meilleures conditions.
Les premiers effets de la loi SarkozyEntrée en vigueur le 26 novembre 2003, la loi Sarkozy sur l’immigration n’a pas été sans conséquence sur l’établissement du rapport 2003. Même si l’association se dit « loin de pouvoir faire un bilan », elle insiste sur le fait que cette législation a déjà entraîné des modifications considérables. L’allongement de la durée de la détention de douze à trente-deux jours a eu deux conséquences. D’un côté l’administration dispose d’un délai plus grand pour récupérer les deux documents nécessaires à l’éloignement des individus : un document de voyage (passeport valide ou accord du consulat) et un billet d’avion. Mais de l’autre, les retenus sont de fait condamnés à une privation de liberté plus longue et souvent « insoutenable ». En parallèle, les démarches de régularisation des étrangers ne sont pas facilitées. La demande de droit d’asile doit maintenant être intégralement effectuée dans les cinq premiers jours d’arrivée dans un centre. Ce qui inquiète Marie Henocq, animatrice à la Cimade : « Pratiquement, il est très difficile que les démarches aboutissent dans un laps de temps aussi court. Il faut obtenir plusieurs papiers, trouver des interprètes, le processus est long ». La Cimade reste donc septique quant à un éventuel effet positif de ce type de dispositions.
Toujours plus de retenusDès l’automne 2003, l’objectif du ministère de l’Intérieur a été de doubler le nombre de reconduites à la frontière effectives. L’association souligne que les interpellations d’étrangers se multiplient et sont parfois « très contestables ». La Cimade illustre son propos en prenant l’exemple d’un jeune homme d’origine pakistanaise, interpellé dans le train alors qu’il se rendait à la préfecture pour y faire une demande d’asile. Conséquence immédiate : toujours plus de retenus. A cela, s’ajoute un phénomène marquant de cette année 2003. Celui de l’augmentation du placement de femmes, de mineurs et plus généralement, d’individus en situation de sérieuse détresse psychologique. Souvent, ces personnes sont fragiles et difficilement éloignables. Il n’y a donc pas intérêt à les garder en centre de rétention. Et pourtant, l’ONG protestante constate que leur nombre croît.
Certains étrangers sont même placés puis relâchés, plusieurs fois par an. Face à cette augmentation du nombre de retenus, le risque que se développent de trop grandes structures proches d’un régime carcéral est grand. A défaut de construire de nouveaux établissements, certains centres, comme celui de Lyon, ont adopté dans l’urgence un plan d’extension. En quelques semaines, le centre est passé de 52 à 78 lits et envisage d’atteindre les 120 à l’automne. Force est de constater que les conditions extrêmes dans lesquelles vivent les retenus ont des conséquences dramatiques sur les plus vulnérables d‘entre eux : tensions permanentes entre les individus, comportements agressifs, désarroi. Détenir toujours plus d’individus dans des locaux exigus, sans garantie de conditions d’hygiène et de sécurité convenables, a ainsi entraîné une déshumanisation des rapports entre les personnes.
Le bilan 2003 sur les conditions de rétention établi par l’ONG protestante dresse un tableau toujours préoccupant. La Cimade remarque que des mesures fondamentales doivent maintenant être garanties par des textes d’application de la loi du 26 novembre 2003 en vue d’améliorer effectivement la gestion des centres de rétention. A ce jour, il n’existe ni normes de sécurité et d’hygiène strictes, ni de véritable système d’interprétariat, ni même de suivi médical dans tous les lieux de rétention, pourtant nécessaires au bon fonctionnement de ce type d’établissement.par Clémence Aubert
Article publié le 07/07/2004 Dernière mise à jour le 07/07/2004 à 15:35 TU