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Ex-otages en Irak

Florence Aubenas : la cave, le «boss» et moi

Florence Aubenas pendant sa conférence de presse, le 14 juin 2005 à Paris.(Photo: Valérie Gas/RFI)
Florence Aubenas pendant sa conférence de presse, le 14 juin 2005 à Paris.
(Photo: Valérie Gas/RFI)
Pendant cinq mois, la journaliste française, Florence Aubenas, envoyée spéciale du quotidien Libération en Irak et enlevée le 5 janvier, a été enfermée dans une cave de quatre mètres de long sur deux mètres de large dans laquelle elle ne pouvait pas se tenir debout. De ses conditions de détention particulièrement dures, elle parle aujourd’hui avec un humour décapant et l’envie de compenser par un flot de paroles un silence qui lui a été imposé par des ravisseurs dont elle ne connaît toujours pas les véritables motivations.

Il ne faut pas demander à Florence Aubenas pourquoi on l’a enlevée. Elle n’en sait rien. De ses échanges avec les preneurs d’otages qui l’ont retenu pendant 157 jours loin de sa vie, elle n’a pu tirer aucune conclusion. Ils se sont présentés à elle comme des «moujahidines» (combattants de Dieu) sans donner plus d’explications sur les raisons pour lesquelles ils l’avaient kidnappée ni sur leurs revendications. Elle s’est bien rendue compte que «des choses se discutaient, que des rapports de forces s’installaient». Mais dans quel but, avec qui, elle n’en a aucune idée. Pas la peine, non plus, de l’interroger sur une éventuelle rançon qui aurait été versée pour obtenir sa libération. Elle n’a aucune information à donner sur cette question et n’a jamais entendu parler d’argent. Ce qui a permis de la faire sortir de sa geôle, elle «n’en sais rien». La libération des journalistes roumains, eux aussi enlevés en Irak, peu de temps avant la sienne a-t-elle joué ? Florence Aubenas ne peut le dire. Et elle se refuse même à confirmer qu’elle a été détenue dans le même lieu qu’eux mais elle ne dit pas le contraire. On sent qu’elle sait que chacune de ses paroles peut avoir des répercussions sur d’autres otages et qu’elle ne le veut pas.

(Photo: Valérie Gas/RFI)
Elle peut, en revanche, raconter comment elle a été enlevée, le 5 janvier, alors qu’elle sortait d’une université où elle avait réalisé des interviewes, par quatre hommes armés qui l’ont forcée à changer de véhicule avec son guide irakien Hussein Hanoun. Même si elle n’en a pas la certitude, elle est convaincue qu’elle a été dénoncée par des gens sur ce campus et que ce n’est pas par hasard que sa voiture a été arrêtée par les ravisseurs à un endroit où sa consoeur italienne Giuliana Sgrena a, elle aussi, été enlevée. Ce lieu, dans lequel la journaliste qui se déplaçait en tenue traditionnelle durant son séjour en Irak pour ne pas attirer l’attention et limiter au maximum les risques, était en fait surveillé par des groupes de ravisseurs. Florence Aubenas raconte d’ailleurs que son rapt a eu lieu sous les yeux des gardiens de l’université qui n’ont pas fait mine de réagir.

«Vous êtes kidnappés»

Florence Aubenas n’a pas mis longtemps à réaliser qu’elle et Hussein Hanoun venaient d’être pris en otage. «J’ai tout de suite compris qu’on était enlevé». Après quelques tergiversations et faux prétextes, elle en a eu la confirmation quand les ravisseurs lui ont dit : «Vous êtes kidnappés». Elle a alors été séparée d’Hussein Hanoun et transférée dans une autre maison. A son arrivée, ses geôliers lui donné l’ordre de changer de vêtements et d’enfiler ce qui allait devenir sa tenue de prisonnière : un survêtement sur lequel était inscrit «Titanic». Un présage plutôt «moyen» qu’elle a tenté de prendre avec humour. Une fois son nouvel habit sur le dos, Florence Aubenas a découvert sa «place», c’est-à-dire son matelas au fond d’une cave totalement plongée dans le «noir» sur lequel elle a été maintenue pieds et poings liés, yeux bandés, sans avoir le droit de prononcer un mot ou même de faire trop de bruit en bougeant.

Si à entendre le récit de sa captivité de la bouche d’une Florence Aubenas qui en retrouvant la liberté a récupéré son humour, on a presque envie de rire avec elle, on comprend bien malgré tout que ces cinq mois de détention ont représenté un véritable calvaire. Privée de liberté, elle a aussi été privée de parole, de mouvement, de nourriture, et de son nom. Elle a d’abord été baptisée «Leila» avant de devenir «n°6 ». Elle a subi des pressions psychologiques et a parfois reçu des coups. Ce qui l’a aidée à tenir, c’est peut-être, explique-t-elle, justement le fait d’avoir été persuadée que cela ne pouvait être que provisoire. C’était tellement «inimaginable» de rester ainsi cinq mois terrée et entravée.

L’échec de la carte Didier Julia

Et pourtant c’est ce qui s’est produit. Florence Aubenas est restée 157 jours au fond de cette cave de quatre mètres de long et deux de large, où elle ne pouvait tenir debout tant le plafond était bas. Avec pour seules distractions, deux passages aux toilettes quotidiens, une douche mensuelle, et ses entrevues avec le «boss», dont les propos lui étaient traduits en anglais par un interprète. C’est avec lui qu’elle a tourné les vidéos dont certaines ont été transmises aux autorités françaises comme preuves de vie. Notamment celle dans laquelle elle appelle le député UMP Didier Julia à l’aide. Concernant cet épisode, Florence Aubenas raconte comment le «boss», devenu «Hadji», était persuadé, ou disait l’être, qu’il s’agissait de la meilleure stratégie pour attirer l’attention sur son sort et motiver les responsables pour négocier sa libération. Il lui a expliqué qu’elle était vraiment «un otage nul» dans le sens où elle ne comprenait décidément «rien à rien» lorsqu’elle mettait en doute l’intérêt d’en appeler à un homme [Julia] rendu peu crédible par le fiasco retentissant représenté par son intervention dans l’affaire Chesnot-Malbrunot, les précédents otages français. Au contraire, selon «Hadji», après son «humiliation» à la suite de son échec à faire libérer Chesnot et Malbrunot, Didier Julia aurait forcément envie de «se venger», donc d’être «actif» pour la faire sortir.

L’impact de la diffusion de la vidéo dans laquelle Florence Aubenas évoque le député UMP, en février, semble d’ailleurs avoir rempli d’aise ses ravisseurs qui ont décidé de la récompenser en lui déliant les mains et les pieds et en lui offrant un cadeau : un Coran en dix volumes ! On lui a même laissé entendre à ce moment-là, qu’elle allait bientôt être libérée. Cela n’a pas été le cas, et après des jours et des jours d’attente déçue, ses ravisseurs l’ont informé qu’il allait «falloir changer de tactique». Exit Didier Julia, dont le nom n’a plus été prononcé.

La triste attente durant laquelle elle en a été de nouveau réduite à compter le nombre de pas effectués (24) et de mots prononcés (80) chaque jour, a repris. Jusqu’au moment où elle a été appelée pour un entretien avec le «boss» auquel son voisin de cave, «N°5», qui l’avait rejointe dans son trou depuis quelque temps déjà, a pour la première fois été convié lui aussi. C’est à ce moment là qu’elle a découvert que ce prisonnier, avec lequel elle n’avait pas le droit d’échanger un mot et qu’elle ne pouvait pas distinguer dans l’obscurité de la cave, était en fait Hussein Hanoun. Une surprise d’autant plus agréable qu’elle a coïncidé avec l'annonce de la plus rassurante des nouvelles : ils allaient bientôt être libérés. Et cette fois-là, c’était vrai.


par Valérie  Gas

Article publié le 14/06/2005 Dernière mise à jour le 15/06/2005 à 09:06 TU