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Somalie

Le non-retour du président Yusuf

Le chef de l'État somalien Abdullahi Yusuf Ahmed n'est finalement pas revenu dans son pays comme prévu.(Photo : AFP)
Le chef de l'État somalien Abdullahi Yusuf Ahmed n'est finalement pas revenu dans son pays comme prévu.
(Photo : AFP)
Après une cérémonie d'adieux officiels en fanfare, organisée par les Kenyans, le chef de l'État somalien n'est finalement pas revenu dans son pays comme prévu. Cet ultime report n'est pas seulement dû à des problèmes de sécurité. Il tient aussi à la personnalité du président.

«Dans tout traitement de maladie, il y a une potion amère à avaler !» C'est par ces mots qu'un député somalien avait accueilli en octobre dernier l'élection de Abdullahi Yusuf Ahmed à la présidence de l'État. Une pensée qui a dû effleurer l'esprit des rares Occidentaux qui suivaient le processus de paix, entamé un an auparavant. L'arrivée d'un homme de 70 ans, au passé peu démocratique, à la tête d'un pays morcelé, chaotique, anarchique, accusé d'héberger des terroristes, n'avait pas de quoi les réjouir.

L'homme que ses compatriotes disent «inféodé» aux Éthiopiens est, selon sa biographie officielle, né à Galcaio, aujourd'hui dans la partie méridionale du Puntland. Mais, en fait, il est originaire d'un village de l'Ogaden, situé depuis la fin de la guerre (1978), en Ethiopie.

Ses aventures dans la carrière militaire, puisque c'est la voie qu'il se choisit, débutent de façon tumultueuse: il refuse de participer au coup d'état de Mohammed Siyaad Barre en 1969. Son manque d'enthousiasme lui vaut la prison où il partagera sa cellule avec le futur «général» Mohamed Farah Aidid. Un souvenir qu'il évoquait avec un regard et un sourire entendus, au moment où son ex co-détenu donnait du fil à retordre aux troupes américaines et aux casques bleus réunis sous la bannière des opérations «Restore Hope» et «Unosom» (1993). «Je sais ce qu'il a derrière la tête», disait-il alors.

Mais qu'est-ce que lui-même, Abdullahi Yussuf Ahmed avait en tête, en sortant de geôle en 1975 ? Opposant à la guerre contre les Éthiopiens, il rejoint un groupe d'officiers comploteurs. Le projet de coup d'État échoue et Mohammed Siyaad Barre ne pardonne pas: 17 militaires sont fusillés. Des chefs religieux et de clans sont éliminés et les populations pourchassées selon leurs appartenances claniques. Abdullahi Yusuf s'enfuit à Addis Abeba où il fonde bientôt le front démocratique du salut somalien (FDSS) qui mènera la guérilla contre Siyaad Barre à partir du territoire éthiopien.

Des dissensions éclatent au sein du mouvement. En désaccord sur le nouveau tracé de frontières qu'impose Mengistu Haïlé Mariam après sa victoire, Yusuf cherche dorénavant à se défaire de sa tutelle. Il est arrêté, envoyé en prison, et remplacé à la tête du FDSS. Il n'en sortira que lorsque le «Négus rouge» sera renversé en août 1991.

De retour en Somalie où le combat des chefs de guérilla et de clans fait rage pour le contrôle du pays, il apparaît – si on fait exception du Somaliland autoproclamé indépendant depuis le mois de mai– comme le seul «guerrier» capable de résister aux attaques du général Aidid et de ses milices. Ceux-ci ne parviendront jamais à passer la ligne de Galcaio. Le nord-ouest somalien connaîtra une période d'accalmie, troublée ponctuellement par des incidents avec le Somaliland voisin. Abdullahi Yusuf en profite pour asseoir ses ambitions.

Un guerrier caractériel

Lorsqu'en 1998, il déclare l'autonomie du Puntland, il a le soutien entier de ses compatriotes… du Nord-Ouest, qui voient là un moyen d'affirmer leur différence d'avec les Somaliens du Sud, qui continuent à s'entredéchirer. Surprise par l'initiative, la communauté internationale est vite acquise à l'idée d'une confédération d'états comme la solution possible à la crise somalienne qui commence à lasser.

En dépit de graves ennuis de santé (transplantation du foie), Abdullahi Yussuf assurera son mandat de président du Puntland jusqu'au bout et même plus. Car, le «guerrier» détient le pouvoir politique et il n'est pas prêt à le lâcher. D'autoritaire et enflammé –«caractériel» disent les moins diplomates– il se révèle «dictateur». Du conseil des anciens qui fait office de parlement –les partis politiques sont interdits au Puntland- il obtient une rallonge de trois mois à son mandat.

Lorsqu'un nouveau président, Jama Ali Jama, est désigné, il fait parler les armes. Il faudra deux ans pour régler la dispute entre les deux hommes. Dans l'intervalle, Abdullahi Yusuf aura éliminé physiquement ses opposants, dont le Sultan Ahmed Mahmud Muhammad, bridé une presse trop entreprenante, et les habitants de la ville rebelle de Garoe auront connu les affrontements les plus meurtriers depuis la chute de Mohamed Siyaad Barre. «Yusuf est l'incarnation du proverbe somalien : ou tu me suis, ou tu disparais», disent ses anciens corrélégionnaires.

Pourquoi un homme aussi peu contrôlable a-t-il été désigné président de la Somalie en octobre 2004 ? Probablement parce que son challenger le plus sérieux, un ancien ambassadeur aux États-Unis, avait déjà échoué deux fois dans le passé dans l'exercice de désignation de président temporaire auquel excellent les Somaliens. Parce qu'il est autoritaire, enflammé, et qu'il est capable de tenir un pays par la force. Il faudrait simplement qu'il décide à le prouver, après tout ce temps.


par Marion  Urban

Article publié le 23/06/2005 Dernière mise à jour le 23/06/2005 à 11:00 TU