Politique française
Sarkozy sème la zizanie
(Photo : AFP)
Chasser le naturel, il revient au galop. Nicolas Sarkozy a renfilé son habit de super héros nettoyeur de zones à haute criminalité à peine nommé au ministère de l’Intérieur. Il s’est d’ailleurs rendu le jour même de son entrée en fonction à Perpignan, dans le Sud de la France, où des affrontements entre membres des communautés gitane et maghrébine avaient lieu depuis plusieurs jours, pour assurer les habitants de la ville de son intention de «frapper fort et vite» afin de mettre un terme aux émeutes mais aussi de sa volonté «de débarrasser la France des voyous». Numéro deux du gouvernement, Nicolas Sarkozy n’a donc pas perdu un instant pour devenir le premier à parler aux Français le langage cru des promesses chocs.
Il a d’ailleurs très vite récidivé dans ce registre à l’occasion d’un fait divers dramatique : la mort d’un petit garçon de 11 ans, tué par balles le 19 juin dans la cité des 4000 à la Courneuve, en banlieue parisienne. Le ministre de l’Intérieur s’est immédiatement rendu sur place et a déclaré son intention de «nettoyer au Karcher» ce quartier difficile. Une manière imagée et percutante de manifester une fois de plus publiquement sa volonté d’appliquer le principe de la «tolérance zéro».
«Je me sens du côté des victimes»
Mais là où Nicolas Sarkozy a franchi un cap, c’est lorsqu’il a mis directement en cause le juge qui a libéré de manière anticipée Pascal Gâteau, un récidiviste meurtrier présumé d’une mère de famille Nelly Crémel. Le ministre de l’Intérieur a ainsi déclaré que le juge devait «payer pour sa faute». Loin de regretter ses propos très éloignés du politiquement correct, Nicolas Sarkozy les a ensuite confirmés et explicités : «Si à l’occasion de tels faits si bouleversants, on ne se posait pas la question des conditions de l’application de la liberté conditionnelle et de la responsabilité de chacun d’entre nous, alors quand se la poserait-on ?» Et d’enfoncer le clou en rappelant qu’il avait dû soutenir le regard du mari et de la fille de Nelly Crémel qui se demandaient pourquoi on avait relâché un meurtrier, pour en conclure : «Moi, voyez-vous, je me sens du côté des victimes».
Comme on ne peut pas soupçonner Nicolas Sarkozy de laisser sa langue fourcher, surtout autant de fois de suite, il semble évident que le ministre de l’Intérieur a choisi d’appliquer la stratégie politique du dialogue direct avec les Français sur des thèmes sensibles comme la sécurité ou la justice. Sans hésiter à surfer sur l’émotion provoquée par des affaires criminelles particulièrement douloureuses et qui suscitent toujours de vives réactions dans l’opinion. De cette manière, il peut à la fois renforcer son image de ministre de l’Intérieur déterminé à combattre l’insécurité par tous les moyens et faire valoir sa capacité à parler vrai là où les autres hommes politiques tergiversent. Un bon moyen de préparer le terrain pour la présidentielle de 2007 qui reste son objectif affiché.
En se plaçant sur ce terrain particulièrement polémique, Nicolas Sarkozy joue tout de même un jeu dangereux. Il s’expose, en effet, aux coups d’une opposition particulièrement remontée contre lui. Ses déclarations lui ont d’ailleurs déjà valu une volée de bois vert de la part de nombreux représentants de la gauche, mais aussi de l’extrême-droite. Ces derniers voient, en effet, d’un œil inquiet le ministre de l’Intérieur se saisir des thèmes sur lesquels ils essaient traditionnellement de rameuter les électeurs. Le député socialiste Arnaud Montebourg a été très critique et a déclaré que le ministre de l’Intérieur «a abusé de sa parole et de son pouvoir», que ses propos sur la justice constituent «une dangereuse mise en cause de la séparation des pouvoirs» et «une violation de la Constitution». De son côté, la fille du leader du Front national, Marine Le Pen, a qualifié Nicolas Sarkozy de «populiste stagiaire».
Cadrer Sarkozy sans l’attaquerSes prises de position polémiques et son omniprésence médiatique font aussi courir le risque au ministre de l’Intérieur d’apparaître comme l’élément déstabilisateur d’un gouvernement déjà particulièrement fragile puisque formé en pleine crise post-référendaire et d’accréditer son image d’empêcheur de tourner en rond motivé par sa seule ambition personnelle. En attaquant la décision d’un juge et en critiquant le système de mise en liberté conditionnelle des détenus, Nicolas Sarkozy a dépassé son champ de compétence. Ce que les représentants des magistrats, outrés des propos du ministre, n’ont pas manqué de faire valoir. Le Syndicat de la magistrature a dénoncé «une atteinte scandaleuse au principe de la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire» et a saisi le Conseil de la magistrature. Celui-ci a d’ailleurs fait part dans la foulée de sa «vive inquiétude». Le garde des Sceaux, Pascal Clément, qui, au passage, ne s’est pas étonné que Nicolas Sarkozy «piétine les plates-bandes de tout le monde», a du coup été obligé de remettre les pendules à l’heure. Il a rappelé que le juge incriminé n’avait fait qu’appliquer la loi et qu’il n’avait pas décidé seul mais avec deux autres magistrats.
Le chef du gouvernement, Dominique de Villepin, a été lui aussi obligé de prendre position dans le débat ouvert par les déclarations de Nicolas Sarkozy sur la justice. Sans attaquer directement son ministre, il a affirmé que les magistrats n’avaient fait que leur travail et n’avaient aucune «responsabilité» dans l’affaire. Il a aussi rappelé que «rien ne saurait remettre en cause l’indépendance de la justice». Mais surtout, le président de la République lui-même a dû intervenir sur le sujet pour calmer les magistrats. Il a pris la défense des juges mais a néanmoins appelé le Premier ministre à faire adopter rapidement une réforme de la législation sur la libération conditionnelle. Une manière de reconnaître qu’il y a un véritable problème et peut-être d’essayer de ne pas laisser le champ libre à Nicolas Sarkozy sur un thème aussi porteur auprès des Français.par Valérie Gas
Article publié le 24/06/2005 Dernière mise à jour le 24/06/2005 à 18:16 TU