Proche-Orient
Le pari risqué de Netanyahou
Photo : AFP
La décision de Benyamin Netanyahou de rendre les clés de son ministère, une semaine exactement avant que la bande de Gaza ne soit décrétée zone illégale pour tous les Israéliens, a été minutieusement calculée. L’éternel rival d’Ariel Sharon a même ménagé le suspense durant la réunion hebdomadaire du gouvernement et ce n’est que lorsque la première phase du retrait a été soumise au vote qu’il a déposé sans rien dire sa lettre démission. A l’un des ministres présents qui le sommait de s’expliquer de vive voix, il s’est contenté de répondre que tout était dans sa lettre avant de se lever et de quitter la pièce en claquant la porte. L’enfant terrible de la droite israélienne marquait ainsi enfin ouvertement, même tard, son hostilité au plan de retrait de la bande de Gaza. Ce faisant, il a surtout cédé à l’appel du camp de la droite ultra-nationaliste, hostile à toute concession territoriale aux Palestiniens, et avec laquelle il flirtait déjà depuis des mois. Et c’est d’ailleurs sans appel que l’éditorialiste du quotidien Haaretz a jugé lundi sa décision. «En donnant sa démission, Netanyahou occupe la place naturelle qui lui est destinée : à la tête de l’extrême droite. Il s’est sacré lui-même comme chef du camp ultra-nationaliste et nationaliste religieux, ce camp qui défie la loi pour tenter de torpiller le plan de désengagement», écrit-il.
Celui qui fut en 1996 le plus jeune Premier ministre de l’histoire d’Israël n’a d’ailleurs pas fait mystère des raisons qui l’ont poussé à quitter son poste. «L’heure de vérité est arrivée. Je ne peux m’associer à cette démarche qui met en danger la sécurité de l’Etat», écrit-il en dénonçant un retrait «unilatéral, sans contrepartie, qui va se dérouler sous le feu des Palestiniens». Pour Benyamin Netanyahou quitter la bande de Gaza n'équivaut en effet, ni plus ni moins, qu’à créer dans ce territoire «une base islamique terroriste». Le ministre démissionnaire s’en est également violemment pris au fait que les Palestiniens devraient désormais disposer d’un port et d’un aéroport dans la bande de Gaza et gérer avec les Egyptiens le contrôle de la frontière au sud de ce territoire. Ce discours, particulièrement radical, a fait la joie des représentants des colons engagés ces dernières semaines dans un bras de fer sans précédent avec le gouvernement Sharon. Certains se sont d’ailleurs empressés de le féliciter, même si son départ ne devrait pas avoir d’effet sur le plan de retrait. Quatre autres ministres du Likoud, également opposés au retrait de Gaza, n’ont cependant pas démissionné, limitant considérablement les conséquences déstabilisatrices sur le gouvernement. «J’ai agi selon ma conscience mais je ne m’attends pas à ce que mon acte arrête le projet de désengagement qui dispose d’une majorité automatique au gouvernement», a d’ailleurs reconnu Benyamin Netanyahou.
Un quitte ou double risquéEt, de fait, l’annonce de la démission de son principal rival ne semble pas avoir ébranlé le «bulldozer» Sharon. Après le départ de son ministre des Finances, le chef du gouvernement a en effet soumis au vote, comme prévu, la première phase du désengagement qui concerne un groupe de colonies isolées de la bande de Gaza. Le cabinet a donné son feu vert, par 17 voix contre 5, à leur démantèlement. Les autres dossiers à l’ordre du jour, comme par exemple les risques que font planer les extrémistes juifs sur le plan de retrait à la lumière notamment du drame de Shfaram qui a coûté la vie à quatre Arabes israéliens abattus par un déserteur de Tsahal, ont également été traités. Et dès dimanche soir, Ariel Sharon annonçait son intention de nommer l’ancien maire de Jérusalem, Ehoud Olmert, à la tête du ministère des Finances. Ce fidèle allié au sein du Likoud était jusque-là vice-Premier ministre et gérait également l’important portefeuille du Commerce et de l’Industrie.
Et pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté, le Premier ministre a tenu à faire savoir lundi que le départ de Benyamin Netanyahou n’aurait aucune incidence sur le retrait de Gaza. «Cette démission n’aura aucune influence sur l’application du plan de désengagement qui ne souffrira d’aucun retard», a notamment déclaré l’un de ses proches conseillers qui a également soutenu que ce départ ne devrait pas non plus avoir d’impact sur le plan économique dans la mesure où Ehoud Olmert «va poursuivre essentiellement la même stratégie tout en donnant plus d’importance au volet social». Car si la politique ultra-libérale du ministre démissionnaire a permis de redresser l’économie du pays, cela n'a pas été sans contrepartie. Les coupes sombres opérées dans le domaine social ont en effet accru les inégalités. Et le rapport de l’Institut des caisses d’assurances nationales publié lundi vient de révéler qu’un million et demi d’Israéliens vivaient en 2004 sous le seuil de pauvreté, soit 108 000 de plus que l’année précédente.
Quoiqu’il en soit, en quittant le gouvernement à un moment aussi sensible, Benyamin Netanyahou a fait un pari risqué, essentiellement lié au succès ou non du plan de désengagement de son rival. Si le retrait se déroule sous le feu des Palestiniens comme semblent le croire les opposants d’Ariel Sharon, l’enfant terrible du Likoud pourra représenter une alternative au sein du principal parti de droite. Il sait déjà qu’il peut compter sur l’appui d’au moins 19 des 40 députés du Likoud qui ont voté à la Knesset contre le désengagement. Si au contraire le retrait de Gaza est un succès alors Benyamin Netanyahou aura tout perdu, sa place au gouvernement et surtout la chance de détrôner Ariel Sharon. Et au cas où le calendrier électoral est avancé, rien n’indique que les Israéliens le choisiront. Près de la moitié d’entre eux estiment en effet qu’en démissionnant l’ancien ministre des Finances a agi par intérêt politique, pour ravir au Premier ministre la direction du Likoud.
par Mounia Daoudi
Article publié le 08/08/2005 Dernière mise à jour le 09/08/2005 à 19:55 TU