Commerce international
La guerre du textile n’aura pas lieu
(Photo: AFP)
Le commissaire européen Peter Mandelson se félicite d’un compromis «à 50/50». Au terme de l’accord, la moitié des 80 millions de produits textiles bloqués dans les ports européens sont autorisés à franchir la douane et l’autre moitié… aussi, au titre d’une avance sur les quotas de 2006. D’ordinaire, on comprend de ce genre de phrase (accord «gagnant-gagnant», «50/50», etc.) qu’un compromis équilibré a été trouvé. Or, en l’occurrence, l’UE accepte une concession de taille en autorisant l’entrée sur son territoire, et sans compensation, de la totalité des produits qui ont reçu une licence d’importation avant l’entrée en vigueur (le 12 juillet 2005) de l’accord de juin, limitant l’augmentation annuelle des exportations textiles chinoises dans une fourchette de 8 à 12,5%.
En raison de la faiblesse des coûts de production chinois, l’UE aurait pu aller au-delà et invoquer la clause de sauvegarde prévue par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), limitant l’augmentation annuel à 7,5%. Mais la tendance, tant à Bruxelles qu’à Londres (où siège actuellement la présidence tournante de l’Union), est libérale. Et le commissaire européen «ne croi(t) pas que l’Europe a le moindre droit de s’opposer à la croissance de la Chine».
Division nord-sud de l’UE
C’est donc une bonne affaire pour les Chinois et pour les distributeurs européens. C’est peut être la garantie d’une stabilisation des prix cet hiver pour le consommateur européen. C’est en tout cas un fiasco pour les producteurs européens et les responsables politiques qui s’étaient mis en tête de les défendre. Mais mécontentement et satisfaction sont diversement partagés, selon une division nord-sud au sein de l’Union.
L’Europe du nord, de tradition plus libérale, vend du textile mais n’en produit pas et redoute de se fâcher avec Pékin à propos d’un secteur qui, pour elle, comporte à la fois peu d’enjeux économiques mais de forts enjeux de consommation. Ce sont ceux-là qui, récemment, brandissaient la menace d’un hiver sans pull-overs, ou à des prix prohibitifs. Tandis que les pays du sud de l’Union sont écartelés entre, d’une part, leurs distributeurs et leurs consommateurs qui tirent les prix vers le bas et, d’autre part, ce qui leur reste d’industrie textile, attaché au protectionnisme. Mardi, la présidence britannique de l’UE se félicitait de l’accord. A l’issue du sommet Chine-UE, à Pékin, Tony Blair déclarait qu’«il y a de la place pour un contrôle des changements, mais pas de place pour une résistance aux changements».
Prise de conscience tardive
La Confédération générale des importateurs français a déclaré sa «grande satisfaction» après l’annonce de l’accord. Pour la CGI, ce «n’est que justice». Interrogé par l’AFP, son responsable juridique Jean-Marc Moinard explique que «les trois-quarts des pièces bloquées dans les ports sont issus de commandes engagées avant l’accord» de régulation conclu à Shanghaï. Il s’interroge sur la prise de conscience tardive des conséquences de la libéralisation du secteur au 1er janvier 2005, conséquence de l’adhésion en 2001 de la Chine à l’OMC, pourtant prévisible de longue date, dont se plaignent aujourd’hui (certains) professionnels et politiques européens.
Le patriotisme économique européen vient donc d’encaisser une sévère défaite sous le poids de ses propres contradictions internes, entre libéraux-distributeurs et protectionnistes-producteurs, car derrière le concurrent chinois il y a aussi un partenaire qu’il convient de ne pas froisser. Bruxelles a choisi d’adopter une approche politique du dossier, qui reste cependant à être approuvée par les vingt-cinq Etats membres. Bon gré, mal gré, ils le feront certainement : Pékin demeure en effet un marché juteux pour les produits européen de haute technologie. Mardi, au lendemain de l’accord sur le textile, la China Southern Airlines annonçait l’achat de 10 Airbus 330, pour un montant de 1,5 milliard de dollars.
par Georges Abou
Article publié le 06/09/2005 Dernière mise à jour le 06/09/2005 à 16:58 TU