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Grippe aviaire

Tamiflu : l’Inde bouscule Roche

Le laboratoire suisse Roche envisage d'abandonner l’exclusivité de la fabrication du médicament Tamiflu qui serait efficace sur les personnes contaminées par le virus H5N1.DR
Le laboratoire suisse Roche envisage d'abandonner l’exclusivité de la fabrication du médicament Tamiflu qui serait efficace sur les personnes contaminées par le virus H5N1.
DR
La polémique sur la production du principal antiviral ayant une certaine efficacité pour combattre les symptômes d’un virus humanisé de la grippe aviaire, le Tamiflu, vient de rebondir. Le ministère indien de la Santé a annoncé qu’il envisageait d’autoriser les fabricants de génériques nationaux à produire des copies de la molécule, dont le laboratoire Roche détient le brevet, si l’épidémie de grippe aviaire arrivait dans le pays.

Pas facile de s’abriter derrière le rempart des brevets en ces temps de propagation ininterrompue de l’épizootie de grippe aviaire. Le laboratoire Roche est en train de s’en rendre compte. Le Tamiflu, son antiviral dont les ventes ont été dopées en quelques mois par la crainte de voir le virus H5N1, responsable de la mort de millions de volatiles depuis 2003, devenir transmissible entre humains, est aujourd’hui tellement demandé que la firme ne peut plus en produire suffisamment. Cette situation a provoqué de nombreuses réactions en faveur d’un assouplissement de la règle des brevets. L’objectif est de permettre à d’autres laboratoires de produire la molécule, afin d’alimenter le marché mondial et éviter la rupture de stock qui fait angoisser la terre entière.

Depuis une dizaine de jours, Cipla et Ranbaxy, deux des principaux fabricants indiens de génériques, ont ainsi manifesté auprès de Roche leur désir de produire une copie du Tamiflu. Mais il semble qu’ils n’aient pas obtenu de réponse de la firme suisse. Du coup, les autorités indiennes viennent d’annoncer qu’elles envisageaient très sérieusement de donner le feu vert à ces fabricants pour qu’ils engagent le processus de fabrication de la molécule, si l’épidémie arrivait dans le pays. Cette décision devrait être rendue encore plus facile, du point de vue indien, par le fait que Roche qui détient l’exclusivité sur la commercialisation du Tamiflu depuis 1996, ne dispose pas d’un brevet sur cet antiviral en Inde. Le secrétaire à la Santé, Prasanna Hota, a ainsi déclaré : «Légalement, nous n’avons pas besoin d’autorisation».

Une chaîne de fabrication complexe

Dans ce contexte, la réponse de Roche n’a pas tardé. Le porte-parole de la compagnie a remis les choses au point en déclarant : «Nous avons déposé une demande de brevet». Il a précisé, d’autre part, que la question ne se situait pas seulement au niveau de la protection de l’exclusivité dont bénéficie la firme, mais aussi à celui des «capacités» des autres laboratoires à produire le Tamiflu. Roche, qui a «dix ans d’expérience» dans ce domaine, insiste en effet sur la grande complexité de la chaîne de fabrication de l’antiviral et sur la difficulté de la respecter de manière à produire en toute sécurité un médicament de la même qualité. C’est la raison pour laquelle la firme suisse, qui a accepté le principe d’octroyer des licences «volontaires», entend néanmoins étudier les candidatures des groupes pharmaceutiques désireux de produire du Tamiflu avec beaucoup d’attention et faire son choix en fonction de critères stricts.

Reste qu’en posant le problème en ces termes, Roche essaie aussi de garder une certaine maîtrise sur les événements et surtout de négocier le versement de royalties satisfaisantes en échange des autorisations de fabrication du Tamiflu. Car même si le laboratoire n’a pas la capacité d’augmenter indéfiniment sa production -une cinquième usine implantée aux Etats-Unis doit s’ajouter aux quatre autres qui fabriquent déjà du Tamiflu-, il lui est difficile de renoncer sans sourciller à la poule aux œufs d’or. Les ventes de cet antiviral ont récemment fait un bon exceptionnel. De janvier à septembre 2005, elles ont augmenté de 263%. Ce qui représente un chiffre d’affaires de plus de 500 millions d’euros. Un jack-pot inespéré pour une molécule qui n’avait jusque-là jamais obtenu un grand succès.

Santé publique et royalties

La grippe aviaire pose de nouveau la question des brevets, comme l’avait fait le sida il y a quelques années. Et Roche se trouve dans une situation où il lui faut ménager la pression internationale en faveur d’un allègement de la protection sur le Tamiflu, tout en essayant de préserver ses intérêts financiers immédiats. La firme suisse sait bien qu’il lui sera difficile de garantir son exclusivité sur le Tamiflu dans un contexte où l’apparition d’une épidémie humaine de grippe aviaire est jugée quasiment inévitable par les spécialistes et que cet antiviral est considéré (avec le Relenza de Glaxo SmithKline) comme l’un des seuls susceptibles d’atténuer les effets de la maladie. A défaut de vaccin prêt à l’emploi immédiatement -il faudra de 4 à 6 mois pour en fabriquer un qui soit adapté au virus humanisé-, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande donc aux Etats de constituer des stocks d’antiviraux en prévision d’un épidémie humaine.

Dans ce contexte, les dispositions adoptées par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) concernant les exceptions à la réglementation sur les brevets en cas d’urgence sanitaire n’ont pas manqué d’être invoquées. Le système des «licences obligatoires» permet, en effet, à un Etat d’autoriser la fabrication de génériques d’une molécule sous brevet de manière à répondre à un impératif de santé publique. Le sida a été la première maladie pour laquelle ces mesures ont été appliquées. Le cas de la grippe aviaire est très différent de celui du sida puisque, pour le moment, il n’y a pas d’épidémie humaine mais simplement une épizootie. Et c’est donc en vertu du seul principe de précaution que l’on peut avoir recours aux licences obligatoires.

Il semble néanmoins que ce risque de pandémie annoncée soit suffisant pour motiver la fermeté des Etats. Et l’Inde n’est pas la seule à avoir déjà fait part de son intention de ne pas respecter les brevets et de lancer la fabrication de génériques du Tamiflu. Taiwan, qui a déposé une demande auprès de Roche pour obtenir une licence secondaire mais n’a pas non plus obtenu de réponse pour le moment, a ainsi déclaré être prêt à produire son propre antiviral contre la grippe et a même présenté une copie du Tamiflu jugée conforme à 99% à celui de la firme suisse. L’objectif de Taiwan est de constituer des stocks de manière à pouvoir traiter 10% de sa population. Une position qui risque de faire boule de neige.


par Valérie  Gas

Article publié le 26/10/2005 Dernière mise à jour le 26/10/2005 à 17:44 TU