Grippe aviaire
Comment gérer la menace en Afrique
(Photo : AFP)
Il existe trois grands itinéraires de migration des oiseaux qui passent par l’Afrique. Le premier est emprunté par les volatiles en provenance de l’ouest ou du nord de l’Europe, et suit la côte ouest de l’Afrique. Le deuxième est utilisé par des oiseaux d’Europe centrale, du Proche-Orient, d’Asie centrale et passe par la vallée du Rift. Le troisième est pratiqué par les oiseaux qui viennent d’Asie de l’Est et longent la côte est du continent qui borde l’Océan Indien. C’est ce qui fait dire aux spécialistes que l’arrivée d’oiseaux infectés par le H5N1 en Afrique est possible. D’autant que certains des foyers détectés récemment en Europe -en Turquie et en Roumanie- se situent sur le chemin des migrateurs qui vont en Afrique.
C’est l’est du continent qui pourrait être d’abord exposé à la grippe aviaire, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Des pays comme l’Ethiopie, le Kenya, la Tanzanie se trouvent en effet sur l’itinéraire des volatiles qui vont chercher un peu de chaleur entre décembre et mars de chaque année. Mais ailleurs aussi, le risque existe. Au Sénégal, à l’ouest, les autorités ont pris les mises en garde très au sérieux. D’autant plus que se trouve, dans le pays, l’une des plus grandes réserves ornithologiques du monde, le parc du Djoud, au nord de Dakar, non loin de la frontière avec la Mauritanie. C’est là que des millions d’oiseaux venus d’Europe passent plusieurs mois chaque année.
Manque de moyens
Pour le moment, rien ne permet de penser que la grippe aviaire est arrivée jusqu’à l’Afrique. La seule véritable alerte était intervenue l’année dernière en Afrique du Sud lorsque la présence d’un virus aviaire avait été décelée dans des élevages d’autruches. Mais les analyses avaient permis de constater qu’il ne s’agissait pas du H5N1, qui s’est propagé en Asie et a contaminé des hommes. Il existe, en effet, plusieurs virus de la grippe aviaire qui ne sont pas tous aussi virulents. Aujourd’hui, la crainte concerne bel et bien l’apparition de la souche H5N1, dont les experts scientifiques redoutent qu’elle soit capable de muter pour devenir transmissible entre humains.
Et c’est bien ce problème qui rend l’hypothèse de l’apparition d’une épidémie de grippe aviaire en Afrique particulièrement inquiétante. Car compte tenu de la faiblesse des systèmes sanitaires et vétérinaires, du manque de ressources dont disposent les Etats et des caractéristiques des élevages, l’Afrique semble ne pas avoir les moyens de lutter efficacement pour endiguer une propagation éventuelle de la grippe aviaire, que l’Europe elle-même, avec ses infrastructures performantes, a du mal à limiter.
Le premier rempart contre la grippe aviaire est constitué par la capacité à diagnostiquer rapidement l’apparition d’un foyer. Pour y parvenir, il est indispensable de bénéficier d’un système de surveillance efficace pour détecter les morts suspectes de volatiles et de disposer d’équipements pour analyser des prélèvements afin d’identifier la présence du virus. Cela suppose un degré d’organisation qui existe dans très peu de pays du continent. D’autre part, le fait de retrouver des volatiles morts est assez habituel en Afrique. Les volailles d’élevage sont souvent victimes de maladies, comme la maladie de Newcastle, et cela ne suscite pas d’inquiétude particulière puisqu’elles ne représentent aucun danger pour l’homme. Ce contexte n’est, bien sûr, pas propice à la détection d’un éventuel foyer de grippe aviaire.
Abattage, quarantaine, confinement : des mesures difficiles à mettre en oeuvre
Il faut ensuite être capable de mettre en œuvre l’abattage des volatiles malades et de tous ceux qui se trouvent dans un périmètre de plusieurs kilomètres, d’instaurer des quarantaines, ou de décider l’enfermement des volailles d’élevage pour les protéger. Et à ce niveau aussi, les contraintes paraissent difficilement surmontables. L’abattage nécessite une indemnisation pour les fermiers dont les élevages constituent souvent la seule ressource. Le confinement paraît irréalisable puisque les éleveurs ne disposent quasiment jamais de hangars et laissent leurs volailles en liberté.
Tout cela contribue à rendre l’arrivée de la grippe aviaire en Afrique très dangereuse dans la perspective d’une possible mutation du virus. Car selon l’Organisation mondiale de la Santé, plus la maladie se propage chez l’animal, plus les contacts avec l’homme sont favorisés. Et c’est cette exposition répétée qui augmente le risque d’apparition d’une épidémie humaine. L’existence en Afrique de nombreuses maladies particulièrement meurtrières, comme le sida ou le paludisme, peut aussi contribuer à rendre plus difficile la détection de personnes contaminées par la grippe aviaire.
La plupart des Etats du continent ont pris conscience du danger. Nombre d’entre eux ont d’ailleurs annoncé ces derniers jours la mise en place de mesures destinées à essayer de limiter les risques. La plupart du temps, ils ont décidé l’interdiction des importations de volailles et produits dérivés, par lesquels le virus est aussi susceptible d’être transmis. C’est le cas, entre autres, du Kenya, de l’Ethiopie, de l’Ouganda, de la Tanzanie, de la Gambie, de l’Ile Maurice, du Togo, de la République démocratique du Congo (RDC), du Gabon. Certains, comme le Sénégal, ont aussi décidé de mettre en place une surveillance des oiseaux migrateurs. Cette mobilisation, encouragée par les organisations internationales concernées (OMS, OIE, FAO), devrait se poursuivre. Une réunion des directeurs des services vétérinaires des pays africains est même prévue du 31 octobre au 4 novembre à Kigali, au Rwanda, pour définir une stratégie commune. Il semble néanmoins que si la grippe aviaire arrive en Afrique, les Etats auront besoin d’une aide de la communauté internationale pour prendre les mesures indispensables.
par Valérie Gas
Article publié le 28/10/2005 Dernière mise à jour le 28/10/2005 à 18:51 TU