France
Procès d’Outreau : «catastrophe judiciaire»
(Photo : AFP)
Non coupables. Dominique Wiel, Alain Marécaux, Daniel Legrand, Franck et Sandrine Lavier, Thierry Dausque : la cour d’assises de Paris, a reconnu l’innocence de ces six accusés, condamnés en première instance par le tribunal de Saint-Omer à des peines de prison allant de 18 mois avec sursis à 7 ans ferme pour abus sexuel sur des enfants. Il s’agit d’un revirement exceptionnel même s’il était attendu. Car l’énoncé d’un tel verdict, qui est l’aboutissement d’un long processus de remise en cause d’une procédure judiciaire ratée, n’est pas courant.
Mais il faut reconnaître que dans l’affaire d’Outreau, tout a pris dès le départ un caractère exceptionnel. A commencer par la gravité des accusations proférées. D’une affaire d’inceste, on est très vite passé à une suspicion de réseau pédophile de grande ampleur. Sans que rien d’autre que les témoignages des enfants présumés victimes d’abus sexuels ne justifie d’aller sur ce terrain. Et surtout sans tenir compte à aucun moment des dénégations vigoureuses et répétées inlassablement de 13 des 17 personnes soupçonnées d’avoir participé à des viols, malgré l’absence de faits avérés. Et même parfois en dépit de la mise au jour de contradictions ou d’affabulations dans certains témoignages. L’examen médical de l’une des fillettes qui avait affirmé avoir été abusée par trois hommes en même temps a, par exemple, montré qu’en fait elle était vierge.
Une erreur judiciaire
L’acquittement des six derniers accusés qui clamaient leur innocence entérine donc le fait que la justice s’est trompée et que 13 personnes ont été victimes d’une terrible erreur judiciaire. La justice a d’ailleurs elle-même reconnu avoir failli à sa tâche. Elle l’a même reconnu de manière particulièrement spectaculaire. Car le verdict est intervenu après une plaidoirie hors norme de l’avocat général, Yves Jannier, qui a requis l’acquittement pour rétablir «la vérité». Mais surtout après l’intervention du procureur général, Yves Bot, qui a fait part «des regrets» de la magistrature aux accusés et a reconnu que cette affaire représentait purement et simplement «une catastrophe judiciaire». Tant et si bien que les avocats de la défense ont renoncé à plaider, sûrs que l’innocence de leurs clients ne pouvait plus désormais être niée. Ils se sont contentés de demander une minute de silence à la mémoire de François Mourmand qui affirmait être innocent et s’était suicidé en prison en 2002, après avoir passé un an en détention préventive.
Si au bout du compte la vérité semble l’avoir emporté, il n’en reste pas moins que l’institution judiciaire sort de cette affaire totalement décrédibilisée. Même si le procureur Bot a affirmé qu’il s’agissait d’une faillite collective, c’est à propos des erreurs commises par le juge d’instruction chargé du dossier d’Outreau, Fabrice Burgaud, que les critiques les plus vives ont été émises. Son incapacité à prendre du recul par rapport à des déclarations «de plus en plus invraisemblables» a, par exemple, été mise en cause.
Réformer les procédures
Le rôle des experts psychologues ou psychiatres a lui aussi fait l’objet de nombreuses interrogations. Leurs conclusions concernant à la fois la crédibilité de la parole des enfants et le profil des accusés ont pesé lourd dans l’instruction, comme lors du premier procès devant le tribunal de Saint-Omer. L’un des psychologues avait, en effet, décelé des traits caractéristiques des abuseurs sexuels sur 14 des 17 accusés. Ces évaluations ont été d’autant plus importantes que le juge Burgaud a refusé les demandes de contre-expertises présentées par les avocats de la défense. Le rôle des services sociaux et des associations de défense des enfants qui ont recueilli leurs témoignages a aussi été critiqué. Face à une accumulation d’erreurs et malgré des invraisemblances, aucun garde-fou n’a permis d’éviter une erreur judiciaire.
Le verdict en faveur des treize personnes accusées à tort ne pourra pas leur faire oublier le drame qu’ils ont vécu, la détention préventive, l’éloignement de leur famille, la honte… quelles que soient les indemnisations qui leur seront accordées. Pour autant, cela ne les empêche pas d’espérer, comme Dominique Wiel, que cette affaire servira au moins de leçon et que la justice saura en tirer les conséquences. Après le mea culpa public du procureur général lors de la dernière audience du procès en appel, très spectaculaire, il reste maintenant à prendre des mesures pour éviter qu’un tel fiasco ne se reproduise.
Et le ministre de la Justice, Pascal Clément, a lui-même annoncé son intention de faire la lumière sur les causes des dysfonctionnements qui ont abouti à «gâcher» des vies et d’apporter des «réponses rapides et adaptées». Le Garde des Sceaux a demandé une triple enquête des inspections générales des services policiers, sociaux et judiciaires pour «rechercher les fautes ou les insuffisances professionnelles qui sont, le cas échéant à l’origine de ce désastre». Il a même laissé planer l’hypothèse de sanctions en déclarant qu’il se réservait la possibilité de saisir le Conseil supérieur de la magistrature, l’organe disciplinaire des magistrats. Le ministre a aussi promis des indemnisations et présenté «les excuses de l’institution judiciaire aux acquittés et à leurs familles».
par Valérie Gas
Article publié le 01/12/2005 Dernière mise à jour le 01/12/2005 à 19:17 TU