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Photographie

Klein, créateur de «nouveaux objets visuels»

Couverture du livre rétrospective de l’exposition, Ed. Marval et Centre Pompidou. Contact peint, Gun1, NY 1995, 2003.
(Photo: William Klein)
Couverture du livre rétrospective de l’exposition, Ed. Marval et Centre Pompidou. Contact peint, Gun1, NY 1995, 2003.
(Photo: William Klein)
William Klein produit de «nouveaux objets visuels», des «contacts repeints», un genre inclassable, à la croisée de plusieurs disciplines. Après Milan, Anvers, Budapest, Berlin et Tokyo, le Centre Pompidou consacre à son tour, jusqu’au 20 février 2006, une rétrospective à l’œuvre riche et variée de William Klein. Bien que reconnu avant tout comme photographe, l’artiste –qui s’est toujours attaché à brouiller les cartes- fut aussi tour à tour peintre, cinéaste, et graphiste. En participant à la mise en scène de cette rétrospective parisienne, en étroite collaboration avec les deux commissaires, Quentin Bajac et Alain Sayag, l’occasion lui a été donnée, de son vivant, de livrer son propre regard sur l’ensemble de ses travaux et son itinéraire singulier.

«Qu’est-ce-que la photographie pour moi ? C’est une fenêtre ouverte sur la vie… pas pour faire de l’art… pour la refaire. (…) Je suis un idéaliste naïf. Je crois que la vie pourrait être  meilleure, que les gens devraient s’aimer les uns les autres. (…). Pourtant, paradoxalement peut-être, mes photos sont ironiques et mordantes», déclare en souriant et les yeux bleus rieurs, William Klein. Certes, la photographie occupe une place centrale, mais la rétrospective qui se tient à Beaubourg a le mérite de révéler toutes les facettes de ce peintre-photographe-graphiste-cinéaste né en 1928 à New York, dont le travail se situe «dans le sillage de Man Ray», selon Quentin Bajac et Alain Sayag. Cinquante années de recherches picturales sont évoquées à travers des photographies -anciennes et récentes-, des maquettes de livres, des extraits de films, des dessins et des affiches sélectionnés en majeure partie dans les archives personnelles de l’artiste.

Visages blancs + l’Opéra, Paris 1963 (Photo pour Vogue).
(Photo: William Klein)
Difficile de définir précisément à quel type d’art raccrocher le travail de William Klein, et pour cause: ses livres ressemblent à des films, ses photographies à des peintures, ses films à des collages, et ses photographies peintes défilent sur les murs comme les images d’un film. Difficile aussi de chercher une prédominance dans ses influences culturelles : «Klein est le roi du syncrétisme», résume Alain Sayag, soulignant qu’il a été marqué aussi bien par les peintres du quattrocento (de Masacio à Piero della Francesca )que séduit parle dadaïsme, influencé par la bande dessinée ou le bauhaus, l’expressionnisme abstrait et la peinture géométrique abstraite.

«J’ai essayé de faire des photos aussi incompréhensibles que la vie».

Le parcours de l’exposition se déroule en une spirale concentrique, comme une sorte de métaphore de son déroulement de carrière, permettant de mieux comprendre comment, en décloisonnant les genres, en imbriquant les techniques, il en est arrivé à créer, depuis les années 80, de«nouveaux objets visuels», des Contacts repeints. La dernière salle expose, un peu à la manière des pages d’un immense livre, ces «contacts» agrandis, repeints, re-photographiés et ré-agrandis : «A l’heure du numérique, refaire des choses à la main, c’est par la même occasion retrouver après tant d’années mon coup de pinceau», déclare l’artiste.

Simone + Antonia, Barbershop, 1961.
(Photo: William Klein)
New York, Rome, Moscou, Tokyo, des villes et des livres : la première salle évoque les travaux à la fois strictement photographiques ainsi que ceux de mise en page et de typographie effectués à l’occasion de la publication de ses livres. Des visages, des scènes de rue, des groupes, des photos toutes en noir et blanc qui attestent d’un important travail sur les regards. Une photographie montre trois enfants qui rient de bon cœur; l’un d’entre eux donne la main à une femme tandis que de l’autre bras, celle-ci lui braque un pistolet sur la tempe; une autre photo présente des masques terrifiants qui se détachent blancs sur fond noir.

«Rompre avec le credo de la photographie objective.»

Point de commentaires ni de titres; chacun interprètera comme il l’entend. De New York, où ces clichés ont été pris, William Klein dit avoir voulu «montrer (son) attachement et son dégoût pour cette ville monstre.». En perpétuelle interrogation, l’artiste déclare plus généralement : «J’ai essayé de faire des photos aussi incompréhensibles que la vie». Certaines photos, notamment parmi celles prises à Tokyo, traduisent également «un sens du fascinant et du grotesque. Il fonctionnait comme un Fellini», dira de lui André Liberman, le directeur du journal Vogue, pour lequel il fit plus tard, en 1955, des photos de mode.

William et Pierre Klein à l’atelier, Paris 1968.
(Photo: William Klein)
Les photos sont composées pour certaines comme des peintures géométriques abstraites. Le photographe joue alors sur le grain, la violence des contrastes en noir et blanc, le dé-cadrage, et les déformations. La recherche d’un nouveau vocabulaire accompagne une réflexion d’ensemble sur la problématique de la représentation. William Klein tient à affirmer sa subjectivité et sa volonté de «rompre avec le credo de la photographie objective», souligne Alain Sayag. Dans la plupart des clichés, le visiteur est interpellé par un ou des regards qui fixent l’objectif. Ce n’est pas anodin : «J’en avais assez de la caméra invisible de rigueur dans les années 50», déclare le photographe. Pourtant, les pistes sont souvent brouillées : il n’est pas rare, en regardant une photo, d’avoir l’impression d’être à la fois face à un cliché pris sur le vif, et dans le même temps face à un instant composé et savamment arrêté.

Mr Freedom, une fable corrosive, poétique et politique, sur les mythes de notre époque

Montage d’affiches de 9 films de William Klein.
(Photo: William Klein)
La grille de lecture de son œuvre serait incomplète si on faisait l’impasse sur son travail de cinéaste. Films de fiction, films engagés, ou films publicitaires : William Klein travaille l’image en mouvement et vit caméra au poing pendant presque 20 ans. Pour l’exposition de nouveaux montages ont été préparés à partir d’extraits de ses films les plus fameux comme Qui êtes-vous Polly Maggo ? (1966), Muhammad Ali, the greatest (1974) ou bien encore Mr Freedom (1967-1968), fables corrosives, poétiques et politiques, sur les mythes de notre époque.

Comme dans ses photos, l’artiste engage le regard subjectif: les images brutales et heurtées, montées de manière serrée et hachée, sont un moyen de rendre compte d’un monde en désordre. Les idéaux et la démocratie sont mis en porte-à-faux, et le discours reste d’actualité aux yeux de l’artiste. «Il y a eu le Vietnam, et aujourd’hui, c’est l’Irak. Les Américains sont très forts pour inventer de faux arguments et faire la guerre», commente William Klein tandis que défilent sur l’écran des scènes de parodie de guerre, à la fois violentes et grotesques, extraites de Mister Freedom (1967), un film pamphlet-bande dessinée, produit en pleine guerre du Vietnam. Dans le film, les combattants sont masqués comme des squelettes, ils jouent aux soldats dans une salle envahie d’écrans de télévision et, au milieu du carnage, le chanteur Serge Gainsbourg (aujourd'hui décédé), joue le rôle d'un journaliste qui commente la mascarade.


par Dominique  Raizon

Article publié le 07/12/2005 Dernière mise à jour le 07/12/2005 à 11:10 TU