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Egypte

Le Caire tancé après la condamnation de Nour

L'opposant égyptien Ayman Nour, ancien candidat à l'élection présidentielle, photographié le 24 décembre 2005 au Caire.(Photo: AFP)
L'opposant égyptien Ayman Nour, ancien candidat à l'élection présidentielle, photographié le 24 décembre 2005 au Caire.
(Photo: AFP)
La condamnation, le 24 décembre dernier, à cinq années de prison de l’opposant égyptien Ayman Nour est une nouvelle preuve, s’il était besoin, du raidissement du régime Moubarak. Si sous la pression de son grand allié américain, l’Egypte s’est résignée à organiser cette année une élection présidentielle –la première multipartite dans l’histoire du pays– puis des législatives, les violences qui ont entaché ce dernier scrutin et la récente condamnation de celui qui s’est posé en principal rival du raïs, en disent en effet long sur les limites de l’ouverture concédée par le pouvoir.

Il y a encore un an et demi, la notoriété de l’avocat Ayman Nour ne dépassait guère sa circonscription de Bab al-Chariaa au Caire. Aujourd’hui, il est incontestablement l’opposant au régime Moubarak le plus médiatisé. Et sa lourde condamnation samedi dernier pour faux et usages de faux n’a fait qu’accroître sa popularité au grand dam du raïs égyptien qui espérait sans doute se débarrasser d’un rival de plus en plus gênant. Washington, premier partenaire du Caire dans la région –les Etats-Unis soutiennent financièrement le pays à hauteur de 1,8 milliard de dollars par an– a ainsi, quelques heures à peine après la condamnation d’Ayman Nour, durci considérablement le ton à l’égard de son allié, réclamant ni plus ni moins que la libération de l’opposant. Dans un communiqué, la Maison Blanche a appelé «le gouvernement égyptien à respecter les lois égyptiennes dans l’esprit de son désir affiché de plus grande ouverture et de dialogue au sein de la société et à libérer M. Nour à titre humanitaire».

Le département d’Etat américain, qui début décembre avait exprimé «les sérieuses préoccupations» de Washington sur le déroulement des législatives –treize personnes ont été tuées durant ce scrutin– y voyant «un mauvais signal sur l’engagement de l’Egypte en matière de démocratie et de libertés», a pour sa part vivement dénoncé les conditions du procès. «Ce procès a été entaché par des irrégularités et des contradictions, et il n'a pas été conforme aux critères internationaux de transparence et de respect de la loi auxquels le gouvernement égyptien affirme publiquement se soumettre», a notamment affirmé un porte-parole de la diplomatie américaine, Sean McCormack. La France a également donné de la voix en appelant Le Caire à respecter «les droits de la défense». Pour Paris, «tout doit être mis en œuvre pour encourager le développement des partis politiques égyptiens», une condamnation à peine voilée des accusations portées contre Ayman Nour. L’opposant a en effet été condamné pour avoir falsifié des documents officiels lors de la création de son parti al-Ghad –demain, en arabe–, ce qu’il a toujours nié. L’Union européenne enfin, par la voix du Royaume-Uni qui assure sa présidence jusqu’au 31 décembre, a également exprimé sa préoccupation. «L’UE s’attend à ce que l’appel interjeté par M. Nour soit examiné équitablement par les tribunaux égyptiens», affirme un communiqué de la présidence britannique qui note, en outre, que «le jugement d’Ayman Nour envoie des signaux négatifs au sujet des réformes politiques démocratiques en Egypte».

Un procès politique

L’ascension politique fulgurante d’Ayman Nour a commencé en janvier dernier lorsqu’il a été placé en détention préventive au motif qu’il avait falsifié des signatures pour la création en octobre 2004 de son mouvement al-Ghad. Fraîchement nommée, la secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice –dont l’une des missions était d’asseoir la démocratie dans le Grand Moyen-Orient– avait en signe de protestation annulé un voyage en Egypte, une première dans l’histoire des relations entre les deux pays. Cette décision a d’ailleurs largement contribué à asseoir la stature de l’avocat égyptien sur la scène internationale. A sa libération quelques semaines plus tard, en mars, il s’était jeté avec énergie dans son combat contre le régime Moubarak dont il n’a eu de cesse depuis de dénoncer les «24 ans d’oppression, de crise économique et de chômage». Ayman Nour a ainsi été l’un des rares opposants à accepter d’affronter Hosni Moubarak lors de la première élection présidentielle pluraliste jamais organisée dans le pays. Durant la campagne électorale qui a précédé ce scrutin, il a sillonné le pays, sans garde du corps, lançant des critiques au vitriol contre son rival et brisant ainsi un tabou. Et s’il n’a obtenu que 8% des suffrages contre 89% pour le raïs, l’opposant n’en a pas moins accru sa notoriété dans le pays.

Devenu visiblement gênant pour le régime, Ayman Nour a semble-t-il dû payer son audace. Aux législatives de novembre, il a perdu son siège de député et son mouvement n’a aujourd’hui plus de représentation parlementaire alors qu’il avait dans l’assemblée sortante 7 élus sur 454. Son procès pour faux et usage de faux a été relancé jusqu’à sa condamnation la semaine dernière à cinq années de prison. «Ils auront absolument tout fait pour écraser et condamner la seule personne qui pouvait se dresser contre le père et le fils», a-t-il récemment confié à l’AFP, une allusion directe au président Moubarak et à son fils Gamal, pressenti pour lui succéder. Car aux yeux de ses partisans, Ayman Nour est la victime d’un procès politique. «La rapidité avec laquelle l’Assemblée du peuple –Parlement– a décidé de lever son immunité parlementaire et le choix même du tribunal qui, en 2001, avait condamné à sept ans de prison Saadeddine Ibrahim –un sociologue libéral– pour espionnage au profit des Etats-Unis, suffisent à prouver que le gouvernement avait bien l’intention de détruire Nour politiquement», a ainsi souligné Hussein Abdel-Razeq, le secrétaire général du Parti du rassemblement (opposition de gauche).

Du fond de sa cellule, Ayman Nour semble en tout cas déterminé à continuer à se battre. «Je ne suis pas mort. Tant que j’aurai des bougies et du papier pour écrire, je ne serai pas mort. En revanche, quand je sortirai, ce régime imbécile sera mort, mort de vieillesse», a déclaré l’opposant peu avant son incarcération.  


par Mounia  Daoudi

Article publié le 28/12/2005 Dernière mise à jour le 29/12/2005 à 18:28 TU