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L’enseignante agressée accuse sa hiérarchie

Des élèves quittent le lycée professionnel Louis Blériot, où Karen Montet-Toutain, 27 ans, professeur d'arts plastiques, a été blessée.(Photo : AFP)
Des élèves quittent le lycée professionnel Louis Blériot, où Karen Montet-Toutain, 27 ans, professeur d'arts plastiques, a été blessée.
(Photo : AFP)
Suite à l’agression d’un élève, qui l’a blessée de sept coups de couteau, Karen Montet-Toutain, enseignante à Etampes (région parisienne), souffre aujourd’hui de plusieurs lésions invalidantes et ne pourra pas exercer son métier avant plusieurs mois. L’agression à l’arme blanche dont elle a été victime constitue un point d’orgue après plusieurs menaces reçues tout le long du trimestre. Karen Montet-Toutain en avait avisé sa hiérarchie sans qu’aucune sanction ne soit prise. Dans les prochains jours, son avocat adressera au procureur une plainte contre X : selon lui, l’Education nationale a failli « dans sa mission de protection » d’un de ses agents. L’affaire relance le débat sur la sécurité dans les établissements difficiles.

Les muscles et les nerfs du bras droit touchés, le professeur d’arts plastiques du lycée professionnel d’Etampes (région parisienne) ne peut plus écrire ni dessiner. Elle est arrêtée pour trois mois et demi. Diplômée de danse, elle ne peut plus s’entraîner. Elle a été poignardée au nombril et à l’estomac et est actuellement en rééducation. Outre ces blessures, cette jeune enseignante de 27 ans est sous l'effet d'un choc psychologique important. Une «  incapacité totale de travail » a été reconnue à Karen Montet-Toutain, suite à l’agression subie à la veille des vacances de Noël : sept coups de couteau en plein cours, donnés par un de ses élèves âgé de 18 ans. Avant d’être agressée à l’arme blanche, Karen Montet-Toutain avait fait l’objet de différentes agressions verbales : menaces de viol, de vol, de cambriolage, et de mort. Il aura fallu que la violence atteigne ce paroxysme pour que l’enseignante envisage prochainement de porter plainte contre sa hiérarchie.

Les agressions n’étaient pas nouvelles, et la direction en était avisée sans que des mesures concrètes soient prises par celle-ci : « Dès le 16 septembre, j’ai connu la plus grosse angoisse de ma vie d’enseignante, dans une classe très oppressante », déclare Karen Montet-Toutain. Il ne s’agissait pas d’une angoisse irrationnelle, mais fondée sur des faits concrets et des agressions qui se sont confirmées tout le long du trimestre, si bien que, déclare la victime : « entre collègues, on parlait beaucoup de tout ça. Comment dire ? Ca devenait banal, quotidien ». Résultat : de multiples rapports de la victime et de ses collègues, de nombreux arrêts de maladie au sein de l’équipe pédagogique -souffrant également du climat qui régnait depuis la rentrée dans le lycée- mais, une totale « omerta [de la hiérarchie]», que déplore Karen Montet-Toutain.

« Il y a ceux qui ne se mouillent pas et ceux qui se jettent à l'eau »

« Les responsables doivent être sanctionnés pour cela », déclare l’avocat de l’enseignante, Me Koffi Senah, qui adressera prochainement au procureur de la République une plainte contre X, visant directement l'Education nationale, et qui vient s'ajouter aux quatre plaintes déjà déposées contre les élèves « pour menaces ». L’avocat, qui se fonde sur l’article 11 de la loi du 11 juillet 1983, estime que l'institution a  failli « dans sa mission de protection » de l’un de ses agents. Aucune sanction n’a été prise par la proviseure à l’encontre des élèves agresseurs, aucune réponse de l’inspectrice pédagogique n’a été faite aux courriels envoyés par l’enseignante menacée et, pour couronner le tout, Karen Montet-Toutain souligne qu’elle n’a reçu à ce jour aucun signe de soutien ni de l’inspecteur d’académie ni du recteur. Le message d'accueil du portable de Karen Montet-Toutain en dit long sur son amertume: « il y a ceux qui ne se mouillent pas et ceux qui se jettent à l'eau », annonce la voix féminine.

Le ministre de  l’Education nationale, Gilles de Robien, doit recevoir « très prochainement », l’enseignante, selon une déclaration du ministère. Le ministre avait adressé un message de soutien à Karen Montet-Toutain juste après son agression dans ce lycée professionnel qui, s’il est situé dans un quartier sensible, ne bénéficie pas au demeurant d’un statut de ZEP (zone d’éducation prioritaire). Aussitôt, le ministre avait annoncé qu'il envisageait d'installer à l'intérieur des établissements des « permanences police-justice » pour que les enseignants et personnels puissent « se confier (…) à condition que le chef d'établissement, que le conseil d'administration soient d'accord ». Il avait expliqué que, selon lui : « Il n'est pas anormal que, devant une priorité qui doit être éducative, on fasse tout ce qu'il faut avec les services publics de l'Etat pour que la transmission du savoir puisse avoir lieu ».

« Rien ne serait pire que de faire une grande loi de plus »

Interrogé sur le manque éventuel de personnel, le ministre a rappelé que le lycée Louis Blériot compte 375 élèves et 60 fonctionnaires, ce qui est « quand même un taux d'encadrement extrêmement important ». « La police à Blériot, c'est pas une bonne idée! », déclarent ensemble parents enseignants et lycéens qui se disent « choqués » par l’annonce du ministre, et qui décrivent un « climat parfois violent, mais certainement pas au point d'accepter l'intrusion de policiers ».

Au-delà du débat sur la sécurité dans les établissements scolaires sous-tension, le fait divers relance de toute évidence les moyens engagés pour ramener vers l'Ecole les jeunes en échec scolaire grave ou en rupture. Le ministre a estimé que « rien ne serait pire que de faire une grande loi de plus », ajoutant que, « C'est en diversifiant l'offre d'éducation qu'on arrivera à intéresser le plus possible de jeunes à s'instruire ». Il a argumenté en citant l'acquisition du socle commun de connaissances et de compétences à maîtriser en fin de 3e, comme « une des réponses à l'absentéisme et la violence ». A la question « Comment mieux protéger l’école ?», le credo du sociologue Eric Debarbieux est « former et informer », un thème qui devrait se situer au cœur de la troisième Conférence mondiale sur la violence à l’école qui doit s’ouvrir jeudi 12 janvier à Bordeaux.


par Dominique  Raizon

Article publié le 11/01/2006 Dernière mise à jour le 12/01/2006 à 17:39 TU

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Eric Debarbieux

Professeur en sciences de l'éducation et directeur de l'Observatoire international de la violence à l'école

«En France, face à la violence scolaire, on oscille entre la tentation du déni et la tentation du sécuritaire »

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