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Haïti

Tension entre population et casques bleus

Les rapports entre la Minustah et la population haïtienne sont rentrés dans une phase conflictuelle.(Photo : AFP)
Les rapports entre la Minustah et la population haïtienne sont rentrés dans une phase conflictuelle.
(Photo : AFP)
Les casques bleus de la Mission de stabilisation de l’ONU en Haïti (Minustah) ont ouvert le feu jeudi sur des Haïtiens qui tentaient, selon une première version, de pénétrer illégalement en République dominicaine tandis qu’une autre version soutient que ces personnes protestaient contre la mort dans la nuit de mardi à mercredi de 25 Haïtiens retrouvés asphyxiés en République dominicaine. Ce dramatique incident alourdit considérablement les relations entre la population et la Minustah. Depuis plusieurs mois déjà, elle est accusée de tous les maux et surtout d’apathie devant « l'angoisse et la terreur entretenues dans la capitale par des gangs ayant des affiliations et des objectifs politiques ». Les difficiles relations entre Haïti et l’ONU sont-elles sur le point de se dégrader davantage, treize ans après la première mission onusienne dans ce pays ?

En dépit du recul sensible de l’insécurité ces derniers jours dans le pays, les rapports entre la Minustah et la population haïtienne sont rentrés dans une phase conflictuelle et rien n’indique que la situation va aller en s’améliorant. Jeudi, les casques bleus ont tiré sur une foule tuant une personne. Selon la police dominicaine, les soldats de l’ONU ont fait usage de leurs armes contre des Haïtiens qui tentaient de rentrer illégalement en République dominicaine. Une seconde source affirme, au contraire, que la Minustah a ouvert le feu sur des manifestants haïtiens qui dénonçaient la mort par asphyxie de plus d’une vingtaine de leurs compatriotes découverts par l’armée dominicaine dans la nuit de mardi à mercredi. La République dominicaine et Haïti se partagent l'île d'Hispaniola et le problème de l'immigration illégale des haïtiens fuyant leur pays pour le territoire dominicain est quasi-permanent.

Relations conflictuelles

De plus, le chef des renseignements dominicains, le général Rafael Redhames Ramirez, a indiqué jeudi que deux Haïtiens ont été tués et des casques bleus blessés lors d’affrontements à Dajabon à 300 km au Nord-Ouest de Saint-Domingue. D’ores et déjà, l’industriel André Apaid a appelé à un sit-in de protestation lundi 16 janvier devant le siège de la Minustah. Se disant troublé « par l'incapacité de la Minustah à gérer ses troupes pour obtenir avec cohérence de l'efficacité dans la lutte contre l'insécurité », il a violemment accusé les casques bleus jordaniens qui « refusent de répondre aux ordres de leurs supérieurs militaires ».

La réponse de l’ONU ne s’est pas fait attendre. Ces « informations (de André Apaid sont) complètement ridicules », a estimé David Wimhurst, directeur de communication de la Minustah. La mission onusienne s’est régulièrement défendue en rejetant les accusations estimant qu’elle n’est ni laxiste, ni indolente. En Haïti « il ne peut y avoir seulement de solution militaire aux problèmes de sécurité », avait assuré son patron, le diplomate chilien Juan Gabriel Valdès. Ces passes d’armes verbales, accusations et justifications, entre responsables de l’ONU et ceux de Haïti ont un air de « déjà entendu » et  de « déjà vu » dans le pays.

MINUSTAH comme son ancêtre la MIPONUH

L’instabilité chronique de Haïti et surtout l’antécédent avec l’ONU avait poussé en juin 2004 Kofi Annan, lors du déploiement de la Minustah, a lancé son fameux « tâchons cette fois de réussir ». Cet appel n’était pas dénué d’arrières-pensées historiques. Car de 1993 à aujourd’hui, l’organisation a développé de nombreuses missions d'appui et de maintien de la paix en Haïti avec, entre autres la MINUHA (Mission des Nations unies en Haïti), la MANUH (Mission d'appui des Nations unies en Haïti), la MITNUH (Mission de transition des Nations unies en Haïti), la MIPONUH (Mission de police civile des Nations unies en Haïti), et d'autres encore, sans vraiment convaincre. L’ONU traîne comme un boulet le lourd déficit d’avoir trop souvent échoué dans « la perle des Caraïbes ».

Par son offre de bons offices avec la MIPONUH, l’ONU a essuyé toute sorte de critique de la part de la population locale. De fait, les nouveaux soldats, rangers, treillis et armes en bandoulières, censés restaurer la démocratie sont, sur place, très vite soupçonnés de partialité. Du point de vue de la population, ces derniers seraient à Port-au-Prince non pas pour les accompagner dans leur quête de liberté mais pour préparer le retour au pouvoir de Jean-Bertrand Aristide au détriment du président élu en 1995 René Préval.

En outre, sans feuille de route clairement définie, les 20 000 casques bleus présents dans le pays, s'étaient tournés vers des préoccupations plus prosaïques, et avaient été accusés d'exactions à l'encontre de la population, notamment viols, racket et bavures restés sans suite judiciaire. Echaudée par son passé avec notamment l’intervention et l’occupation américaines de 1919-1934, la population a perçu d’un regard soupçonneux ces nouveaux redresseurs de torts d’autant plus qu’en dépit de leur mission, le respect des libertés et de la démocratie ne sont pas au rendez-vous. Le pays a sombré.

Affaiblie par le suicide de son commandant

En tirant les conséquences de ce passif, Kofi Annan avait donc souhaité que les casques bleus réussissent leur nouvelle mission. Contrairement aux autres opérations, celle de la Minustah s’est inscrite dans la durée avec pour objectif d’assurer « la viabilité du pays » par une stabilité politique et par la résorption de l’insécurité. Une raison qui explique que les soldats avaient été autorisés à recourir à la force pour imposer la sécurité.

Mais dix-huit mois après le déploiement de la Minustah, et ses 7 500 casques bleus et 1 987 policiers internationaux, Haïti n’en finit pas de convulser. Certes, le pays s’apprête à organiser des élections cruciales maintes fois reportées mais finalement prévues pour le 7 février. Il est aussi vrai que pour ce scrutin, la communauté internationale a déjà remis un chèque de 61 millions de dollars à Port-au-Prince. Mais le pays est toutefois « pris en otage » par les gangs armés qui prospèrent dans le trafic de la drogue, d’armes et le kidnapping.

C'est dans ce contexte délétère, marqué par des « situations de stress très grandes », que le commandant de la Minustah, le général brésilien Urano Teixeira Da Matta Bacellar, s'est suicidé la semaine dernière à Port-au-Prince. Ce drame et les dernières tensions qui ont marqué les relations entre les soldats onusiens et les Haïtiens ont détérioré un peu plus le climat entre l'ONU et la population. De telle sorte qu’aujourd’hui, fragilisés, les casques bleus peinent à réagir aux discrédit qui les frappe. Les critiques à leur égard sont de plus en plus véhémentes chez des Haïtiens qui ne voient plus que la persistance de l’insécurité et de la chienlit dans leur pays.


par Muhamed Junior  Ouattara

Article publié le 13/01/2006 Dernière mise à jour le 14/01/2006 à 17:44 TU