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Photographie

Peuples en péril au musée de l’Homme

L'exposition des photographies de Pierre de Vallombreuse, qui se tient jusqu’au 7 mai au musée de l’Homme (à Paris), présente quatorze peuples dans les situations tragiques où les ont conduits aussi bien la colonisation que l'exploitation par leurs propres compatriotes. Depuis plus de vingt ans, Pierre de Vallombreuse utilise la photo pour dénoncer les ravages de la mondialisation au détriment de la diversité culturelle.
<strong>Les Yi, Sichuan, Chine, 1996<br /></strong>À plus de 2700 mètres d'altitude, dans les montagnes du Sichuan - le bastion historique de ce peuple de guerriers qui pillait les villes de l'Empire chinois où elle se servait en esclaves -, un jeune berger se protège du froid extrême (jusqu'à moins 15°C) sous sa cape en laine.© Musée de l'Homme
Les Yi, Sichuan, Chine, 1996
À plus de 2700 mètres d'altitude, dans les montagnes du Sichuan - le bastion historique de ce peuple de guerriers qui pillait les villes de l'Empire chinois où elle se servait en esclaves -, un jeune berger se protège du froid extrême (jusqu'à moins 15°C) sous sa cape en laine.
© Musée de l'Homme

Belles photos, tristes témoignages. Il suffit d’une salle pour faire le tour de la planète, en silence. Les clichés en noir et blanc parlent d’eux-mêmes de souffrance et de désespoir, d’uniformisation destructrice et d’intégration qui désintègre. Ici, un homme ivre au Chiapas (Mexique), là un autre, drogué, en Thaïlande, des femmes prostituées ou des enfants dans la guerre. Pierre de Vallombreuse, ethnographe, estime que plus de 5 000 peuples sont menacés de disparition, soit quelque 300 millions de personnes. A travers ses témoignages, il défend une volonté «d’informer». C’est un «message d'urgence, une alerte», explique-t-il.

<strong>Les Kopkaka (Papous), Irian Jaya, <br />Indonésie, 1997<br /></strong>Dans la jungle marécageuse, un enfant Kopkaka dort dans un filet fait de fibre végétale, pendant que son père extrait de la moelle de sagoutier, principal aliment des ethnies vivant dans les basses terres marécageuses.© Musée de l'Homme
Les Kopkaka (Papous), Irian Jaya,
Indonésie, 1997
Dans la jungle marécageuse, un enfant Kopkaka dort dans un filet fait de fibre végétale, pendant que son père extrait de la moelle de sagoutier, principal aliment des ethnies vivant dans les basses terres marécageuses.
© Musée de l'Homme

A l’entrée de l’exposition, quelques points localisent sur un large planisphère les endroits où vivent encore quelques peuples isolés et en danger, menacés par les Etats nations. Mayas (Mexique), Dinka (Soudan), Papous (Indonésie), Himba (Namibie), Akha (Thaïlande), Yi (sud de la Chine) appartiennent à quelques-uns des 14 peuples minoritaires présentés dans leurs tragiques efforts pour survivre. Ainsi, les Innu, qui peuplent la plus grande partie du Labrador (est du Québec), voient-ils, depuis 1949, leur existence menacée par l’occupation canadienne de leur territoire et sombrent dans la drogue et l'alcoolisme. Ainsi encore les Lengua et les Ayoreos, subissent-ils, au Paraguay, la tutelle de la très controversée New Tribes Mission, une organisation protestante fondamentaliste américaine. Parqués dans des bidonvilles, ils fournissent une main-d’œuvre bon marché aux grands propriétaires terriens.

Le génocide de «l’humanité première» a commencé

<strong>Les Dani (Papous), Irian Jaya, Indonésie, 1997<br /></strong>Un Dania commandé un thé glacé dans un restaurant tenu par des colons javanais. Victime de racisme, il se vit servir un thé bouillant dont la corne de sa main lui empêcha de sentir la chaleur ; ce n'est que lorsque le liquide se répandit dans sa gorge qu'il se brûla. Cet homme s'est amputé des phalanges de la main gauche, comme l'exige la coutume lors du décès d'un enfant ou d'une épouse.© Musée de l'Homme
Les Dani (Papous), Irian Jaya, Indonésie, 1997
Un Dania commandé un thé glacé dans un restaurant tenu par des colons javanais. Victime de racisme, il se vit servir un thé bouillant dont la corne de sa main lui empêcha de sentir la chaleur ; ce n'est que lorsque le liquide se répandit dans sa gorge qu'il se brûla. Cet homme s'est amputé des phalanges de la main gauche, comme l'exige la coutume lors du décès d'un enfant ou d'une épouse.
© Musée de l'Homme

«Un génocide planétaire a commencé: celui de l’humanité première», déclare, en introduction de l’exposition -et en préface du bel ouvrage Peuples (éditions Flammarion)-, le sociologue Edouard Morin. De fait, alcoolisme, toxicomanie, prostitution, sida sont autant de fléaux qui déciment les minorités aux conditions de vie précarisées. A ce cortège de misères s’ajoutent les répressions sanglantes comme celles qui ont frappé les Mayas du Chiapas, au Mexique, en 1994 lorsqu’ils ont décidé de s’organiser politiquement et militairement pour défendre leur identité.

«Conflits identitaires, discriminations, désastres écologiques, génocides, condamnent ces peuples à un statut inacceptable», insiste le photographe auquel n’échappent pas non plus les effets pervers du progrès. Il cite à ce titre les Himba de Namibie, un peuple de pasteurs menacés par le projet de construction d’un barrage. Si ce barrage constitue une avancée économique pour certains, ce sont en revanche 380 kilomètres carrés de pâturages, vitaux pour les troupeaux et le mode de vie des Himba, qui vont être inondés.

<strong>Les Surma, Éthiopie, 2000<br /></strong>Pour impressionner l'ennemi, ces guerriers Surma dessinent des motifs sur tout leur corps avec la boue grise de la rivière.© Musée de l'Homme
Les Surma, Éthiopie, 2000
Pour impressionner l'ennemi, ces guerriers Surma dessinent des motifs sur tout leur corps avec la boue grise de la rivière.
© Musée de l'Homme

En quelques clichés, Pierre de Vallombreuse dénonce l’approche folklorique des traditions, à l’enseigne du «primitif show» organisé par les autorités indonésiennes pour divertir des personnalités de haut-rang. En 1970, le gouvernement indonésien avait lancé une opération koteka (étui pénien) pour couvrir «décemment» les danseurs Dani (Papous d’Indonésie). Leur refus avait alors déclenché une répression meurtrière. Quelque 15 ans plus tard, les mêmes autorités ont encouragé les Papous à «jouer» leur culture, pour attirer le touriste, sous la surveillance de l’armée. «J'ai rapidement découvert que ces minorités étaient en lutte pour pouvoir survivre en gardant leur identité vis-à-vis d'une majorité dominante. C'est un processus commencé depuis des siècles mais qui s'accentue de plus en plus », explique Pierre de Vallombreuse.

Comme le souligne Edouard Morin, «le patrimoine culturel de l'humanité n'est pas seulement [constitué] de monuments, d'architecture, d'art, de paysage, [mais] aussi de sociétés humaines ». C’est à cette diversité culturelle que s’intéresse précisément Pierre de Vallombreuse, en fixant l’objectif sur «une myriade de petites nations qui n’ont pas pu accéder à la vie étatique mais qui ont leur langue, leurs mythes, leurs croyances, leur vision du monde, leur savoir et leur savoir-faire», en somme, leur identité.


par Dominique  Raizon

Article publié le 11/03/2006 Dernière mise à jour le 11/03/2006 à 10:25 TU