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Somalie

L’équation insoluble

Des miliciens des tribunaux islamistes patrouillent, armés, dans les rues vides de Mogadiscio.(Photo : AFP)
Des miliciens des tribunaux islamistes patrouillent, armés, dans les rues vides de Mogadiscio.
(Photo : AFP)
Depuis quelques mois les combats ont repris à Mogadiscio entre une alliance de chefs de guerre et les miliciens des tribunaux islamistes. Les Etats-Unis soupçonnent les islamistes de donner refuge aux terroristes d’al-Qaïda. Et l’ONU refuse de s’engager militairement.

Les affrontements ont commencé en février avec la création de l'Alliance pour la restauration de la paix et contre le terrorisme. Mais ils se sont intensifiés depuis le début du mois de mai, avec des bilans très lourds : entre 250 et 300 victimes parmi la population civile prise en étau entre les factions rivales. Cette alliance, constituée de chefs de guerre, se bat contre les miliciens des tribunaux islamistes dont ils veulent empêcher la montée en puissance. D'un côté, des islamistes ; de l'autre, des chefs de guerre. C’est la nouveauté, on sort du schéma classique d'affrontement entre clans opposés pour entrer dans une lutte de pouvoir entre d'un côté une force montante et relativement populaire à Mogadiscio, les tribunaux islamistes, et de l'autre côté, des chefs de guerre, discrédités et honnis par une bonne partie de la population de la capitale somalienne. Washington soutient cette alliance de chefs de guerre même si, officiellement, l’administration américaine s'en défend. Un soutien au nom de la lutte contre les terroristes d'al-Qaïda.

Un Afghanistan africain ?

Les avis sont partagés sur l’avenir de ce pays. Les Etats-Unis sont persuadés que les tribunaux islamistes sont en quelque sorte des talibans somaliens et qu'ils donnent asile à plusieurs personnalités d'al-Qaïda, notamment des terroristes impliqués dans la vague d'attentats contre les intérêts américains en Afrique de l'Est à la fin des années 90. Mais al-Qaïda s'implante-t-elle vraiment en Somalie ? La réponse est oui. Reste à savoir s’il s’agit d’un mouvement limité concernant certains terroristes du mouvement ou d’un vrai repli tactique dans une zone où l’anarchie favorise ce type d’implantation. Autre question : les tribunaux islamistes sont-ils le principal vecteur politique d’al-Qaïda en Somalie et constituent-ils les prémices d'un régime de type taliban ? Là les avis sont plus partagés. Certains observateurs notent que les tribunaux islamistes ne constituent pas une force homogène. Il y a des groupuscules radicaux et djihadistes, mais il y a aussi des composantes qui ne sont pas inféodées à ces mouvements et qui souhaitent collaborer avec les institutions de la transition, le Parlement et le gouvernement.

La tactique de Washington

D'abord sur le terrain militaire l'Alliance soutenue par Washington est loin d'avoir prouvé son efficacité. Depuis quelques semaines, les tribunaux islamistes semblent avoir régulièrement le dessus. Ensuite, cette nouvelle vague de combats a pour effet de radicaliser une partie des groupes combattants contre les Etats-Unis et leurs alliés. Certains redoutent que la politique américaine ne finisse par jeter les Somaliens dans les bras des radicaux. La stratégie américaine pose en outre une autre question : est-ce que la lutte contre le terrorisme doit prendre le pas sur la politique de restauration de la paix en Somalie ? Manifestement le débat agite les Américains eux-mêmes puisque depuis quelques jours la presse fait ses choux gras des critiques formulées par un diplomate en poste au Kenya et qui a été brusquement muté au Tchad pour avoir douté ouvertement du bien-fondé de la tactique de Washington.

Le pari des Nations unies

La politique défendue par l'ONU consiste à soutenir les institutions de la transition : le parlement et le gouvernement. Ce gouvernement, formé en 2004, est faible. Il est divisé puisque certains de ses membres sont justement les chefs de guerre qui se battent à Mogadiscio. Le pari que fait l'ONU est d’arriver à renforcer l'autorité de ce gouvernement pour lui permettre de restaurer l'ordre et d'ouvrir des discussions avec les tribunaux islamistes afin de les associer au processus de paix. Mais pour l'heure, tant que l'alliance refuse de jouer le jeu, cette politique est vouée à l'échec.

Une autre question qui revient régulièrement est de savoir pourquoi ne pas déployer une force de paix en Somalie ? C'est une demande récurrente des autorités de transition. Mais l'ONU a fixé un certain nombre de conditions avant de donner son accord à l'envoi d'une force de paix. Il faut d’abord que les autorités somaliennes présentent un plan détaillé « de sécurité et de stabilisation du pays » et qu'un cessez-le-feu soit conclu. On en est très loin, d'autant qu'au sein du gouvernement personne n'est d'accord sur la composition de cette possible force de maintien de la paix.



par Olivier  Rogez

Article publié le 31/05/2006Dernière mise à jour le 31/05/2006 à 15:46 TU