Politique française
Ségolène Royal : des idées, pas de tabous
(Photo : AFP)
Les méchantes langues diront qu’elle mange à tous les râteliers. Les gentilles qu’elle innove. Quelle que soit l’appréciation des idées de Ségolène Royal, force est de constater qu’elles provoquent l’adhésion des Français. Certes, les sondages ne représentent pas un indicateur fiable à 100% et pour toujours, il n’empêche qu’ils donnent quand même une image de l’opinion à un moment donné. Et les dernières enquêtes indiquent que Ségolène Royal demeure la candidate de gauche préférée des sondés.
Les propositions de la présidente de la région Poitou-Charentes sur le traitement du problème de la délinquance des jeunes, jugées musclées (encadrement militaire pour les primo-délinquants, mise sous tutelle des allocations familiales, mise en place de stages pour les parents de délinquants…), n’ont pas eu pour effet d’échauder les sympathisants de gauche. La dernière enquête, réalisée après ces déclarations (2 et 3 juin), par LH2 pour Libération, montre que 62% d’entre eux continuent à voir en Ségolène Royal «le(a) meilleur(e) candidat(e) pour 2007» [année de la prochaine élection présidentielle]. Elle reste très loin devant ses principaux concurrents pour l’investiture socialiste : Dominique Strauss-Kahn (22%), Jack Lang (21%), Lionel Jospin (20%), Arnaud Montebourg (13%) ou Laurent Fabius (12%).
Les sympathisants socialistes adhèrent
Mais surtout, une autre enquête (Ipsos), publiée le 5 juin, met en valeur l’adhésion de 67% des sympathisants socialistes à la proposition la plus polémique de Ségolène Royal, à savoir celle de mettre en place un encadrement militaire pour les primo-délinquants de plus de 16 ans afin qu’ils apprennent un métier ou participent à un projet humanitaire. Même la mise sous tutelle des allocations familiales des parents qui ne réussissent pas à éviter les dérapages de leurs enfants recueille le soutien de 50% des sympathisants socialistes (par rapport à 55% des Français toutes tendances confondues).
Il est certain que Ségolène Royal ne s’est pas engagée sur ce terrain à la légère. En rompant avec le discours sur le traitement des causes sociales de la délinquance, traditionnel au Parti socialiste, et en se déclarant favorable à des mesures plus répressives, elle prenait un risque : celui de perdre son identité socialiste et d’apparaître comme une traître à son camp. D’autant qu’elle a brisé, dans la foulée, un autre tabou en pointant, sur son site Internet, les faiblesses de la mise en place de la réforme des 35 heures de travail hebdomadaire, la mesure phare du gouvernement de Lionel Jospin (dont elle faisait partie). Même si Ségolène Royal a déclaré qu’il s’agissait «d’une conquête sociale de première importance», elle a aussi estimé qu’elle avait accentué «la flexibilité des horaires» et provoqué un effet «non voulu», à savoir «une dégradation de la situation des plus fragiles, notamment les femmes ayant des emplois peu qualifiés». Un bilan, pour le moins, mitigé.
Trop, c’est trop et certains cadres socialistes ont vivement critiqué ces dérives récidivées. Jean-Christophe Cambadélis, un proche de Dominique Strauss-Kahn, en est même arrivé à poser une question cruciale : Ségolène Royal veut-elle être «candidate des socialistes ou contre les socialistes ?» François Hollande, le Premier secrétaire, a lui aussi été obligé de mettre un peu d’ordre en rappelant à sa compagne, et à tous les autres candidats à l’investiture, qu’il fallait «savoir s’élever à la hauteur de cet enjeu et penser d’abord collectif». Autrement dit faire des propositions susceptibles d’être intégrées dans le projet commun des socialistes qui doit être adopté à la fin du mois de juin. Ce qui n’est, selon lui, pas le cas de «l’encadrement militaire» pour les jeunes délinquants.
Grincements à gauche, méfiance à droite
Reste qu’au sein du PS, Ségolène Royal n’a pas que des opposants. Un certain nombre de socialistes voient en elle la femme du renouveau dans un parti essoufflé. L’objectif affiché par la présidente de la région Poitou-Charentes, qui se dit plus que jamais «socialiste», «être du côté de ceux qui souffrent», a convaincu des cadres comme le porte-parole du PS, Julien Dray, le maire d’Evry, Manuel Valls, ou le maire de Mulhouse, Jean-Marie Bockel. Ce dernier estime d’ailleurs, par exemple, que le «discours équilibré» de Ségolène Royal sur la sécurité, «loin du préchi-précha socialiste» trouvera un écho auprès des militants «qui vivent dans la vraie vie». A défaut de séduire les éléphants.
Si le positionnement de Ségolène Royal pose un problème à la gauche, il commence aussi à déranger la droite. Car elle prône une politique finalement assez proche de la sienne en matière de sécurité et se met à renoncer à l’angélisme sur les 35 heures. Tout en restant crédible. Cela oblige la droite à passer à la contre-attaque. Valérie Pécresse, la porte-parole de l’UMP (Union pour un mouvement populaire), a dénoncé l’erreur de diagnostic de Ségolène Royal sur la délinquance des jeunes : «Face aux primo-délinquants, dont 80% ne récidiveront pas, il faut une réponse rapide de la justice ou de la police, appropriée à l’acte qu’ils ont commis. Ce n’est certainement pas les mettre tous dans le même sac et tous dans un système d’encadrement militaire». D’autre part, le député Georges Tron a posé la question difficile : comment Ségolène Royal compte-t-elle financer ses propositions «qui se chiffrent en milliards d’euros» ? A un an de l’échéance électorale, le débat est lancé.
par Valérie Gas
Article publié le 06/06/2006Dernière mise à jour le 06/06/2006 à 17:17 TU