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Macédoine

Le «bon élève» de l’Europe ?

Vlade Buckovski, le Premier ministre macédonien, doit à la fois affronter ses adversaires nationalistes et tenir compte de la situation régionale dominée par la question non résolue du Kosovo. 

		(Photo : AFP)
Vlade Buckovski, le Premier ministre macédonien, doit à la fois affronter ses adversaires nationalistes et tenir compte de la situation régionale dominée par la question non résolue du Kosovo.
(Photo : AFP)
Cinq ans après le conflit armé de 2001, de nouvelles législatives sont convoquées mercredi en Macédoine. Alors que le pays a officiellement obtenu le statut de candidat à l’Union européenne en décembre dernier, les nationalistes (VMRO-DPMNE) pourraient prendre leur revanche sur les sociaux-démocrates au pouvoir depuis 2002, sans que cela ne change grand chose à la politique de ce pays dont l’avenir est étroitement lié au contexte régional. Retour sur la plus notable des success stories européennes dans les Balkans.

De notre envoyé spécial à Skopje

Les candidats de l’Alliance sociale-démocrate de Macédoine (SDSM) proclament un optimisme sans faille : leurs affiches de campagne appellent la Macédoine à « aller de l’avant, pas en arrière ». Pourtant, en convoquant les élections début juillet, et un mercredi, jour inhabituel dans le pays, beaucoup d’observateurs pensent que le gouvernement de Vlade Buckovski mise sur une faible participation pour limiter l’échec que les sondages lui promettent. « Il y a six mois, alors que l’Europe venait de nous donner le statut de pays candidat, la cote du gouvernement était au plus haut. Il aurait pu alors convoquer des élections anticipées. Mais, depuis, la corruption et les affaires qui empoisonnent toujours la vie politique macédonienne ont repris le dessus », déplore la journaliste Ana Petruseva.

Les sociaux-démocrates macédoniens n’ont pourtant pas à rougir de leur bilan. Quand ils ont pris le pouvoir, après les élections de septembre 2002, les caisses de l’État étaient vides et le pays se remettait à peine du conflit provoqué, un an plus tôt, par le développement de la guérilla albanaise de l’Armée de libération nationale (UCK). Des régions entières échappaient toujours pratiquement à l’autorité du gouvernement.

L’Europe avait salué l’arrivée au pouvoir du SDSM, car elle s’était fortement engagée dans la résolution de la crise macédonienne : pour la première fois dans l’histoire récente des Balkans, l’UE avait même directement défini les conditions d’un accord de paix, celui d’Ohrid, conclu sous l’égide de l’émissaire européen François Léotard. Cet accord prévoyait la reconnaissance d’une égalité constitutionnelle entre les Macédoniens, les Albanais (25% des deux millions d’habitants du pays), et les autres minorités nationales, l’usage administratif de la langue albanaise et une vaste décentralisation.

La question albanaise

La Macédoine, enclavée entre l’Albanie, le Kosovo, la Serbie, la Bulgarie et la Grèce, représente une clé majeure de la stabilité régionale. L’aspiration des Albanais du Kosovo à l’indépendance menace d’ailleurs toujours d’entraîner la Macédoine dans une nouvelle bourrasque : les militants radicaux n’ont pas renoncé à l’objectif d’unification des terres albanaises, qui entraînerait un dépeçage du pays. Les avancées théoriquement obtenues par les Albanais sont toujours longues à se traduire sur le terrain, notamment dans le domaine de la décentralisation, ce qui alimente les rancoeurs provoquées par la situation économique et sociale toujours très médiocre du pays.

Afin de neutraliser de possibles contestations, le SDSM gouverne depuis 2002 en coalition avec l’Union démocratique pour l’intégration (BDI), le parti formé par les anciens guérilleros. Mais il a aussi multiplié les compromis avec d’anciens commandants souvent liés à divers réseaux mafieux, entraînant une dérive criminelle dans les zones albanaises du pays.

L’enjeu est majeur car l’avenir de la Macédoine est toujours lié aux évolutions de la situation au Kosovo, dont le « statut final » doit théoriquement être défini d’ici la fin de l’année. « La Macédoine risque de devoir naviguer entre deux ouragans », explique le politologue Jovan Popovski : « si les Albanais du Kosovo n’obtiennent pas l’indépendance à laquelle ils aspirent, de nouvelles violences pourraient éclater dans notre pays, et si le Kosovo devient indépendant, il risque d’exercer une force d’attraction irrésistible sur les Albanais de notre pays ».

Sous le coup de plusieurs accusations criminelles

À quelques kilomètres du centre de Skopje, le village de Kondovo est le fief d’Agim Krasniqi, un ancien commandant de la guérilla albanaise de l’Armée de libération nationale (UCK). Durant tout l’hiver 2004-2005, Kondovo a été occupé par quelques dizaines d’hommes fortement armés, qui réclamaient l’application de la loi d’amnistie prévue par les accords de paix d’Ohrid. Au printemps, les hommes d’Agim Krasniqi ont fini par lever leurs barrages, mais le jeune commandant continue de régner d’une main de fer sur son bastion. Il est lui-même sous le coup de plusieurs accusations criminelles et n’ose guère quitter le village où la police macédonienne ne peut toujours pas venir l’arrêter.

« 180 anciens combattants de l’UCK sont encore en prison », tonne Agim Krasniqi, installé dans son quartier général, un petit café à l’entrée du village. Il est entouré d’une brochette de hauts dirigeants du Parti démocratique des Albanais (PDSH). Agim Krasniqi est aujourd’hui candidat sur la liste de ce parti dans la circonscription de Skopje.

Enjeux politiques, mafieux et religieux

Depuis le début de la campagne électorale, l’opposition entre les deux partis albanais a pris un tour particulièrement violent. Le 24 juin, une véritable bataille rangée a opposé les sympathisants des deux partis dans le village de Rasce, perdu dans la montagne, quelques kilomètres au-dessus de Kondovo. « Deux voitures remplies de militants du BDI armés jusqu’aux dents ont attaqué la caravane électorale de notre parti. Leur but était de tuer nos deux principaux dirigeants, Arbën Xhaferi et Menduh Thaçi », affirme Agim Krasniqi. « Nous avons pu les neutraliser juste à temps. Nous avons saisi des grenades et des armes automatiques. Une des deux voitures appartenait au ministère des Collectivités locales. Un des agresseurs était membre des unités spéciales de la police ». Après un échange de coups de feu, on a relevé trois blessés graves, dont Besford Aliti, le fils du vice-président du BDI. La veille, un des dirigeants de ce parti avait été grièvement blessé par une balle tirée par un inconnu alors qu’il sortait de son domicile de Tetovo.

Le BDI et le PDSH se renvoient la responsabilité de la spirale de violence qui enflamme toutes les régions albanaises de Macédoine. « Le BDI sait que la population est insatisfaite. Pour essayer de masquer son bilan, ce parti cherche à créer un climat de peur », affirme l’imam Muamer Veseli, assis à côté d’Agim Krasniqi, et qui dénonce également l’implication de militants wahhabites dans la campagne du BDI. « Il y a quelques jours, Samedin Xhezairi, un islamiste albanais passé par l’Afghanistan, est venu du Kosovo pour appeler les ‘frères’ à voter pour le BDI »…Il y a quelques mois, la communauté islamique de Macédoine a été divisée par de violents affrontements entre éléments radicaux et modérés.

Enjeux politiques, mafieux et religieux s’entremêlent donc dans un jeu dangereux, alors que la stabilité de la Macédoine dépend toujours de l’intégration de la communauté albanaise, qui représente un quart de la population totale du pays. L’Europe veut pourtant croire que la perspective d’intégration permettra à la Macédoine de surmonter ses divisions ethniques et politiques.



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 04/07/2006Dernière mise à jour le 04/07/2006 à TU

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Toni Glamcevski

Journaliste au quotidien Utrinski Vesnik de Skopje, Macédoine

«Si la Macédoine ne remplie pas les conditions politiques voulues pour des élections libres et démocratiques, sans irrégularités comme cela s'est déjà vu, la Macédoine ne pourra pas devenir membre de l'Otan ou de l'Union européenne.»

[05/07/2006]

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