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Migrations

Filières africaines pour candidats pakistanais

Pirogue d'immigrés arraisonnée par la Guardia Civil espagnole. Généralement, les clandestins pakistanais sont moins «voyants» que les clandestins africains. 

		(Photo: AFP)
Pirogue d'immigrés arraisonnée par la Guardia Civil espagnole. Généralement, les clandestins pakistanais sont moins «voyants» que les clandestins africains.
(Photo: AFP)
Les images ont fait le tour du monde : deux cents clandestins pakistanais qui débarquent aux îles Canaries, quelques dizaines d’autres arrêtés au Sénégal en flagrant délit de tentative d’immigration clandestine en Europe. Après les Africains, les Pakistanais ? Non, pas du tout. Les subsahariens et les ressortissants de la péninsule indienne ont toujours emprunté les mêmes chemins à partir du continent pour gagner les côtes européennes. Mais si les premiers sont des clandestins «démunis», les Pakistanais, mais aussi les Bengalais, sont des clandestins de «luxe». Ils ont de gros moyens.

De notre envoyé spécial

Février 2006. Une souricière est tendue par les forces de sécurités du Maroc, qui jouent un rôle central dans le démantèlement des réseaux de passeurs de clandestins. Comme des mouches, soixante-douze personnes tombent : des passeurs marocains, des clandestins pakistanais. Du matériel sophistiqué de communication, une importante somme d’argent saisie. Le voile se lève sur la filière pakistanaise. Les services de Khallil Zérouali, le Monsieur «migrations et surveillance des frontières» du ministère marocain de l’Intérieur, continuent la traque. Ils découvrent que, dans le sud du pays, la consommation de bois a triplé en quelques mois. Les enquêtes cherchent… et trouvent : avec le bois des forêts marocaines, les passeurs fabriquaient de robustes pirogues (cayucos) qui servent à transporter plus tard des clandestins, surtout de «luxe», des Pakistanais et des Bengalais notamment.

D’où viennent-ils ? De la péninsule indienne. Par avion, ils débarquent sur le continent africain, essentiellement dans cinq pays : le Togo, le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Sénégal, pays connus pour leur hospitalité, et où les conditions d’entrée sont simplifiées pour attirer les touristes. Ces pays ont aussi la particularité de se situer sur les routes des clandestins (Mali, Niger), ou non loin des routes clandestines (Sénégal, Togo, Burkina Faso). Sur place dans ces pays, «un comité d’accueil» attend au pied de la passerelle. Très rapidement, ces clandestins de «luxe» se jettent dans le désert, vautrés dans des véhicules 4X4 climatisés. Bonne bouffe, couchettes aménagées, le voyage est plutôt agréable pour eux. «Quand on les voit, on dirait des touristes aisés», ironise Aboudoulaye Kanté, responsable malien d’une petite agence de voyage. Il lui est arrivé de louer au prix fort l’un de ses six véhicules au «guide» des ces touristes particuliers. «Ce sont des gens qui ne parlent pas. Ils sont toujours dans le désert, une bouteille d’eau minérale en main. Quand on leur pose une question, ils indiquent le guide», ajoute Aboudoulaye.

«Eux, ils ne parlent pas en euros, mais en dollars»

Selon des sources proches des services de sécurité du Maroc, chacun de ces clandestins paie entre 10 000 et 15 000 dollars. Le réseau de passeurs se charge de l’achat du billet d’avion des clandestins vers l’Afrique, de leur visa, du gîte et du couvert et de la location de véhicule. «Eux, ils ne parlent pas en euros, mais en dollars», précise un policier marocain. Nous qui avons enquêté sur le phénomène de l’immigration clandestine dans plusieurs pays africains, nous avions récemment rencontré dans la région de Tombouctou des «initiés» de ce réseau pakistanais. C’est justement dans cette partie du Mali que se donnent rendez-vous, les clandestins pakistanais en provenance de Bamako, la capitale malienne, et ceux venant de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso. Dans de solides 4x4, ils traversent cette région désertique. Retenons les localités maliennes de Didi (est de Tombouctou), Araouane, Bouj Béha (250 km au nord de Tombouctou), avant de regagner Taoudenni et ses mines de sel (à 800 Km au nord de la ville mythique de Tombouctou).

Très rôdés, les passeurs qui utilisent souvent les services des contrebandiers ont de quoi tenir : Le carburant ? Des quantités importantes planquées dans le désert seront repérées grâce au GPS. L’eau ? La nourriture ?  Une voiture suiveuse bourrée de victuailles fera l’affaire ? Risque de tomber nez à nez avec les forces de sécurité ? Pratiquement impossible, le désert est vaste. Risque de crevaison ? Le matériel de réparation des pneus est à bord. Fatigue du chauffeur ? Dans la voiture suiveuse, les chauffeurs de secours s’entassent. Voilà donc la fin du territoire malien à un jet de pierre. Les clandestins pakistanais prennent soit la direction de l’Algérie, soit celle de la Mauritanie. Le témoin sera passé à d’autres membres du réseau de passeurs, véritables connaisseurs des déserts algériens et mauritaniens. Ces clandestins de «luxe» qui iront en Mauritanie, embarqueront de Nouadhibou pour les côtes européennes ; ceux qui fouleront le sol algérien, poursuivront la route vers le Maroc, avant de rentrer illégalement sur le territoire européen.

Les clandestins pakistanais sont moins «voyants» que les clandestins africains

Ces candidats-là atteignent plus facilement les côtes européennes que les clandestins africains. Difficile alors d’imaginer qu’ils ne bénéficient pas d’éventuelles complicités de forces de sécurité des pays africains traversés. «Quand l’argent parle, la vérité se tait», dit le dicton. Généralement, les clandestins pakistanais sont moins «voyants» que les clandestins africains. C’est par petits groupes de cinq, dix au maximum qu’ils font l’aventure. Pourquoi alors, d’un seul coup, ces nombreux visages drapés dans des tenues traditionnelles aux Canaries et au Sénégal ? Parmi les hypothèses, retenons-en deux : le Maroc compte désormais parmi les champions dans la lutte contre  les réseaux d’immigration clandestins (titre décerné en janvier 2006 par le département d’Etat américain) et il a presque bouclé les portes de sortie vers l’Europe. Aidé par les Espagnols, qualifiés de «teigneux» par les candidats qui ont éprouvé leur vigilance, la Mauritanie, autre porte d’entrée en Europe, est plus attentive que par le passé. Reste le Sénégal, nouvelle porte de sortie qui attire grand monde. Les Pakistanais ont dû arriver dans un premier temps à Dakar par avion, en provenance de leur pays. De là, au lieu de chercher à regagner un pays voisin, comme d’habitude, ils ont tenté leur chance par le Sénégal en y mettant les moyens. Le réseau de passeurs s’est occupé du reste.

En attendant que les langues se délient vraiment (les premières versions des clandestins, une fois arrêtés ne sont jamais les bonnes) ces Pakistanais peuvent avoir bénéficié comme d’autres d’une formule bien connue du jargon des passeurs : «Le prix de la traversée pour deux autres». Explication : on fait payer la traversée au prix fort à ces clandestins plutôt fortunés, avec une promesse des passeurs d’organiser deux autres traversées par d’autres points d’entrée en Europe si la première tentative de passage échoue. Les portes du Maroc étant actuellement difficile d’accès aux clandestins subsahariens, de très nombreux ressortissants pakistanais, candidats au départ, en rade dans plusieurs pays de la sous-région seront regroupés et convoyés à partir d’autres pays, dont le Sénégal.

Dans tous les cas, d’après nos informations, les clandestins pakistanais arrêtés au Sénégal n’avaient qu’un visa de court séjour (moins de dix jours selon une source proche du ministère sénégalais de l’Intérieur) et l’un de leur «guide» connu dans un quartier populaire de Dakar sous le nom de «Macky» est en fuite. Reste enfin une dernière question : pourquoi ces clandestins de «luxe» émigrent-ils clandestinement malgré leur fortune apparente, alors que l’Europe déroule le tapis rouge aux étrangers au compte bancaire bien garni ? Elément de réponse : courant 2006, dans le nord du Mali, la douane malienne croyant avoir à faire à des trafiquants de drogue a tiré dans les pneus de deux véhicules 4X4 qui refusaient de s’arrêter après un coup de sifflet. Très rapidement les passagers sont passés à table. De nationalité pakistanaise, les douze personnes étaient plutôt sur la route de l’émigration clandestine. «Nos parents sont en Grande-Bretagne. Ils nous ont envoyé beaucoup d’argent pour les rejoindre. C’est pour aller les rejoindre», avait déclaré à la police l’un de ces clandestins à la recherche du «Grand bonheur». Ouvrons une autre fenêtre : l’an dernier, dans la ville malienne de Gao (nord), les autorités administratives locales ont refoulé des Pakistanais. Destination déclarée ? L’Europe, via le désert. Pourtant, lors de leur séjour à Gao, ils prêchaient dans les mosquées. «Ils enseignaient un islam qui n’a rien à avoir avec l’islam tolérant que nous pratiquons au Mali», avaient déclaré les autorités locales, pour justifier leur expulsion de la région. On ne sait jamais ce qui peut se cacher dans la main de la Statue de la liberté.



par Serge  Daniel

Article publié le 21/09/2006 Dernière mise à jour le 21/09/2006 à 13:08 TU

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(Conception : RFI)

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Serge Daniel

Correspondant de RFI à Bamako

«Ces immigrés venus d'Asie sont des clandestins de luxe par rapport aux subsahariens»

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