Sénégal
Dakar-Ziguinchor, de la haute mer au fleuve Casamance
(Photo : S. Biville / RFI)
Il est 19h au port de Dakar. Les passagers embarquent à bord du Wilis, direction Ziguinchor, en Casamance, où l’arrivée est prévue le lendemain vers midi. Depuis 16 mois, le Wilis assure, deux fois par semaine, la liaison maritime Dakar-Zinguinchor. Il a fallu du temps aux Sénégalais pour adopter ce nouveau bateau.
(Photo : S. Biville / RFI)
Lorsqu’il entre en service, en novembre 2005, le Wilis, qui porte le nom d’une montagne d’Indonésie, son pays d’origine, a un lourd défi à relever : succéder au Joola, qui a coulé au large des côtés gambiennes le 26 septembre 2002. 65 rescapés, près de 2 000 morts… quatre fois plus que le nombre de passagers autorisés ! Le naufrage du Joola est aujourd’hui encore un traumatisme pour tous les Sénégalais. Chacun d’entre eux a perdu un parent ou un ami dans le drame.
Billetterie informatisée, navigation par satellite. La Société maritime de l’Atlantique (Somat), qui gère le Wilis, joue la carte de la sécurité maximale. «La vente de billets est bloquée automatiquement au-delà de 462 places, la capacité du navire», explique Jacques Iyok, conseiller en communication à la Somat. Partenariat public-privé, la Somat est détenue à 51% par une entreprise maritime marocaine, à 49% par le Port autonome de Dakar et le Conseil sénégalais des chargeurs. Elle gère le Wilis à titre provisoire, en attendant la livraison, prévue pour décembre 2007, d’un nouveau bateau, plus grand, actuellement en construction en Allemagne.
(Photo : S. Biville / RFI)
21h30. Le Wilis vient de quitter Dakar et se dirige vers la haute mer. Il faudra 16h pour rejoindre Ziguinchor. Dans le dortoir des femmes, les cris des enfants se mêlent aux potins conjugaux. Tout le monde salue la qualité du service à bord. Lorsqu’on évoque le Joola, les visages se figent. «Notre cœur est resté avec ceux qui sont sous l’eau», explique une dame âgée. Le Dr Awa Bathili, médecin de bord, se souvient avoir dû gérer des cas de stress post-traumatique lors des premières rotations du bateau. Lorsque ça tangue un peu, on ressent une angoisse chez certains. Mais ceux qui voyagent aujourd’hui à bord du Wilis ont su vaincre la peur des débuts.
21h50. Henri-Philippe et son oncle Ephrème pique-niquent près du bar, avec les victuailles et boissons qu’ils ont achetées avant d’embarquer. Ils pestent contre les prix pratiqués à bord. «Ce n’est pas à la portée des bourses de paysans casamançais !». Ils assurent avoir totalement tourné la page du Joola. «En Afrique, on enterre et puis on oublie, il n’y a pas de pierre tombale», affirme Ephrème.
(Photo : S. Biville / RFI)
Le bar est le lieu stratégique du Wilis. C’est le point de rencontre, ouvert quasiment toute la nuit. Dans la salle enfumée, Amadou joue à la belote avec des amis. Ce commerçant a perdu près d’un million de francs CFA dans le naufrage du Joola. Il attend toujours le dédommagement. Aujourd’hui, ses affaires tournent au ralenti. Le Wilis n’accepte plus les marchands à bord. Et Amadou craint toujours de prendre la route Dakar-Zinguinchor, via la Gambie, à cause, dit-il, des attaques des rebelles indépendantistes du MFDC (Mouvement des forces démocratiques de Casamance).
Il est minuit. La plupart des voyageurs sont couchés. Yaya Baldé, responsable de la sécurité à bord du Wilis, effectue, comme toutes les heures, sa ronde de nuit, pour vérifier qu’il n’y a pas d’anomalie à bord. Nous sommes au large des côtes gambiennes. C’est à peu près dans cette zone et à cette heure-ci que, le jeudi 26 septembre 2002, le Joola a chaviré, dans une mer déchaînée, avec 2 000 personnes à bord.
(Photo : S. Biville / RFI)
7h. Le jour se lève. Le Wilis quitte la haute mer et commence à remonter le fleuve Casamance. On est aux antipodes du décor urbain du port de Dakar. Sur chaque rive du fleuve, s’étale la mangrove, riche en fruits de mer et en poissons. Surgies de cette intense verdure, des dizaines de pirogues font leur apparition. Dans la cabine de pilotage du Wilis, c’est parfois un véritable casse-tête pour slalomer entre ces petites embarcations de bois. «On se salue, les pêcheurs lèvent la main, on fait entendre la corne de brume», raconte Abdoulaye Sarr, élève officier à bord du Wilis.
8h15. A tribord, on aperçoit l’île de Carabane. C’est là que se sont installés les Français lorsqu’ils ont débarqué en Casamance, au début du XIXe siècle. Vestige de leur présence, une église de style breton, érigée en 1897, tient encore tant bien que mal debout sur l’île. C’est la plus ancienne de la région. Longtemps, le bateau Dakar-Zinguinchor s’est arrêté à Carabane, pris d’assaut par les pirogues pour débarquer des produits achetés à bas prix à Dakar et embarquer les banas-banas (marchands) et leur poisson fumé. Aujourd’hui, avec le Wilis, sécurité oblige, l’étape a été supprimée, en attendant la construction d’un hypothétique ponton pour accoster. Et l’île de Carabane se meurt peu à peu.
(Photo : S. Biville / RFI)
9h40. Tout le navire est maintenant réveillé. Sur le pont, les discussions sont animées. Bouba s’emporte quand il évoque le Joola : «Le naufrage était prévisible, le vrai problème, c’était le népotisme et la corruption, une gestion scandaleuse !» s’exclame-t-il, sous le coup de la colère. Par contraste, il salue l’ordre et le confort du Wilis. D’autres passagers se montrent plus nostalgiques. Ils regrettent l’atmosphère, les concerts, les odeurs du Joola et trouvent le nouveau bateau trop aseptisé.
(Photo : S. Biville / RFI)
11h30. Après 16h de voyage, le Wilis accoste à la gare maritime de Ziguinchor. Les taxis collectifs et les pirogues viennent chercher les passagers en transit vers d’autres villages de Casamance. Joseph Pereira rejoint la terre ferme avec un certain soulagement. C’est la première fois qu’il prend le bateau depuis le naufrage du Joola, dans lequel a péri sa mère. «Jusqu’à aujourd’hui, maman est portée disparue, je n’ai toujours pas vu son cadavre», confie-t-il. Aujourd’hui, il a franchi un cap dans le travail de deuil. «Je n’ai pas de haine en moi, c’est ce qui devait arriver, je prie le ciel que son âme repose en paix», ajoute-t-il avec fatalisme.
par Sylvain Biville
Article publié le 25/03/2007 Dernière mise à jour le 25/03/2007 à 15:27 TU