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Guinée

Les raisons du limogeage du Premier ministre Lansana Kouyaté

par  RFI

Article publié le 21/05/2008 Dernière mise à jour le 22/05/2008 à 07:15 TU

Ahmed Tidiane Souaré, nouveau Premier ministre de la Guinée.(Photo : Guineenews.org)

Ahmed Tidiane Souaré, nouveau Premier ministre de la Guinée.
(Photo : Guineenews.org)

Le président Lansana Conté a décidé, mardi soir, de remplacer le Premier ministre Lansana Kouyaté par Ahmed Tidiane Souaré, considéré comme étant un technocrate et un proche du chef de l'Etat. La nouvelle de cette nomination a pris la classe politique guinéenne de court, même si beaucoup considéraient que l’ancien chef du gouvernement de Conakry était isolé. Les premières réactions de l’opposition semblent favorables au changement de Premier ministre, tandis que les syndicats attendent de connaître la composition du nouvel exécutif.

Le limogeage de Lansana Kouyaté est un échec, l'échec du mouvement de contestation de janvier et février 2007, qui avait vu toute la Guinée se soulever contre le gouvernement et le président Lansana Conté. À l’époque, trente des trente-trois préfectures que compte le pays s'étaient soulevées pour réclamer un autre gouvernement et le départ du chef de l'Etat. Lansana Kouyaté avait été considéré, à l'époque, comme le « sauveur » par les forces vives du pays, alors que la Guinée était au bord du chaos. Quatorze mois après la formation de ce gouvernement, force est de constater que l'expérience a échoué. S’il a certes commis des erreurs, il faut reconnaître qu'il a aussi été victime d'obstruction de la part de ses adversaires.

L'ancienne équipe gouvernementale et le clan présidentiel n'ont jamais admis que Lansana Kouyaté puisse s'installer à la tête d'un gouvernement qui échappait alors au contrôle présidentiel et ils lui ont fait payer, par une politique d'obstruction. Il suffit de se rappeler l'épisode des Libyens venus à Conakry avec de grands projets dans l'hôtellerie et les logements sociaux, projets qui se sont heurtés à l'opposition du chef de l'Etat. L'obstruction fut d'autant plus forte qu'une partie de la classe politique a rapidement soupçonné Lansana Kouyaté d'avoir des ambitions personnelles et peut-être qu'il n'a pas su dissiper le malaise grandissant.

Des réformes mal acceptées

Dans un autre registre, on a reproché au Premier ministre d'avoir beaucoup promis et peu tenu ses promesses. Lui s'est toujours défendu en disant que sa politique macroéconomique nécessitait du temps. Il a consacré une grande partie de son temps à renflouer les caisses de l'Etat, mais il a manqué de temps pour stabiliser les prix. Il a sans doute aussi manqué d'appuis chez les commerçants qui importent le riz d'autant que lui-même a voulu mettre en place de nouveaux réseaux d'importation de cette céréale afin de faire baisser les prix, ce que ne lui ont pas pardonné certains acteurs économiques. En fait, à chaque fois qu'il a tenté de réformer il s'est heurté à des intérêts et s'est fait des ennemis. 

Lansana Kouyaté a eu, aussi, du mal à s'imposer vis-à-vis du président Conté et cela alimente les récriminations de ses adversaires. L’ancien Premier ministre s'est comporté en diplomate avec le chef de l'Etat, alors qu'il aurait, peut-être, dû se comporter en homme politique et imposer ses règles et sa marge de manœuvre. Un exemple : le limogeage du ministre de l'Information il y a six mois. Là où Lansana Kouyaté voyait une nécessité de préserver le dialogue et le compromis avec le président, ce dernier et son entourage y ont vu une preuve de faiblesse. Au chapitre des erreurs, beaucoup lui ont reproché d'avoir divisé les syndicats et la société civile, de ne pas avoir su préserver l'unité du socle qui l'avait amené jusqu'a la primature.

Des partis d'opposition lui ont aussi reproché de ne pas avoir entretenu, avec eux, un dialogue permanent sur la politique gouvernementale. On peut dire que, peu à peu et au fil du temps, Lansana Kouyaté s'est retrouvé isolé. Entre les vrais adversaires, ceux qui ont eu peur de lui, et ceux qui ont cessé de croire en lui, le Premier ministre s'était fait beaucoup d'ennemis.

Le nouveau Premier ministre continuera-t-il les réformes ? En tous cas il a déclaré sur nos antennes qu'il comptait poursuivre la politique de changement. Maintenant il reste à savoir ce qu'il met comme contenu derrière ce mot. La grande inconnue est de savoir qui va entrer dans son équipe, au sein du gouvernement. Ahmed Tidiane Souaré est proche du clan présidentiel et chacun, à Conakry, se demande si l'on ne va pas assister a un retour des barons du régime au pouvoir. Ce qui risquerait fort de heurter une grande partie de ceux qui ont versé leur sang pour obtenir le changement en janvier et février 2007. Dernière question et non des moindres : Ahmed Tidiane Souaré devra veiller à l'organisation des élections législatives prévues en décembre prochain. Pourra-t-il garantir à l'opposition un scrutin transparent et équitable, sachant que le régime de Lansana Conté s'est fait une spécialité des scrutins truqués ?

Opposition satisfaite et syndicats en attente

Plusieurs partis d’opposition guinéens ont exprimé, mercredi, leur satisfaction après le limogeage du Premier ministre Lansana Kouyaté. « Nous sommes satisfaits de cette décision, pour laquelle nous nous sommes battus, parce que M. Kouyaté représentait un danger pour le processus démocratique en Guinée », a déclaré le secrétaire général de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) Amadou Oury Bah. De son côté, l’Union pour le progrès de la Guinée (UPG), a considéré que le limogeage de Lansana Kouyaté est « un acte de salubrité publique », selon Jean-Marie Doré, secrétaire général de cette formation, appelant le nouveau Premier ministre à « élargir son gouvernement pour régler les problèmes guinéens ».

De leur côté, les syndicats guinéens qui avaient orchestré la contestation en janvier-février 2007 ont annoncé qu’ils attendaient la composition du nouveau gouvernement pour se prononcer. Le limogeage de Lansana Kouyaté et la nomination d’Ahmed Tidiane Souaré ont suscité bon nombre de réactions, mercredi, dans les rues de Conakry.

Micro-trottoir sur le limogeage de Lansana Kouyaté

« Kouyaté n'a jamais pu travailler dans ce pays, je crois que l'on ne lui a pas laissé la possibilité de travailler. »

écouter 01 min 24 sec

21/05/2008 par Mouctar Bah

Par ailleurs, RFI s'inquiète des menaces dont a été l'objet son correspondant en Guinée, Mouctar Bah, émanant du proche entourage de Lansana Kouyaté.

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