par Monique Mas
Article publié le 10/06/2008 Dernière mise à jour le 10/06/2008 à 17:53 TU
Preuve de vie du soldat israélien Gilad Shalit détenu depuis deux ans dans la bande de Gaza, la lettre que le Hamas a fait transmettre lundi à ses parents est aussi pour le mouvement islamiste un pied de nez au boycott occidental censé l’effacer de l’échiquier politique palestinien au profit du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. C’est en tout cas au moment où Mahmoud Abbas paraît tout prêt à accepter de négocier avec lui que le Hamas tient une promesse faite en avril dernier à l’ancien président américain Jimmy Carter. En même temps, il rappelle que c’est lui qui contrôle Gaza et il embarrasse Israël où Ehud Olmert concoctait justement une nouvelle offensive militaire.
Le Hamas reprend la main
En avril dernier, la rencontre Carter-Mechaal avait jeté un froid dans le landernau diplomatique occidental déterminé à faire barrage au Hamas et à soutenir la stratégie israélienne de blocus à Gaza. Aujourd’hui, les bonnes nouvelles de la survie du soldat Shalit arrivent alors que le gouvernement israélien envisageait de frapper plus sévèrement encore la bande de Gaza, d’où continuent de pleuvoir des roquettes palestiniennes. Or, la fondation américaine assure que « le président Carter et son équipe vont tenter de faire parvenir une lettre de réponse des parents de Shalit à leur fils tout en espérant qu'un arrangement sera conclu bientôt pour permettre sa libération ». Difficile dans ces conditions pour l’équipe Olmert de refermer brutalement la porte.
La lettre du soldat Shalit contrarie la stratégie israélienne du moment, l’idée même d’« arrangement » impliquant, sinon une trêve dans le blocus israélien, voire un échange de prisonniers comme le souhaite le Hamas, au moins une pause dans les échanges de mauvais procédés. « Je rêve du jour où je rentrerai à la maison. J’implore le gouvernement de ne pas m’abandonner », écrit en effet le prisonnier du Hamas. Or côté israélien, l’heure n’est pas du tout à de quelconques discussions avec le mouvement islamiste. Bien au contraire.
Ehud Olmert en difficulté
Depuis la semaine dernière, le Premier ministre israélien, Ehud Olmert, martèle qu’une opération militaire d’envergure est nécessaire face au Hamas dont le pouvoir dans la bande de Gaza paraît finalement beaucoup moins près de s’effondrer sous l’effet de l’embargo économique qu’Israël et les Etats-Unis ont pu l’escompter. Et dans la bouche du Premier ministre Olmert, politiquement affaibli par les récentes accusations portées contre sa probité, les menaces réitérées contre le Hamas sonnent comme un gage de fermeté donné à une opinion israélienne encline à le désavouer et même à se porter dans les bras de la droite israélienne radicale.
En avril dernier, les dirigeants du Hamas, Mahmoud el-Zahar et Saïd Seyam avaient remis un projet de trêve de six mois avec Israël au chef des renseignements égyptiens, Omar Souleimane, qui fait office de médiateur entre le mouvement islamiste et l'Etat hébreu. Rappelant qu’il n’était pas question de négocier « directement ou indirectement » avec un mouvement « terroriste », Israël avait alors objecté que cela risquerait d’offrir une bouffée d'air au Hamas. Pour Israël, ce dilemme revient à l’ordre du jour avec la preuve de vie du soldat Shalit, un gage régulièrement inscrit dans ses exigences vis-à-vis du Hamas.
Sans surprise, le ministère de la Défense israélien interprète la preuve de vie de Shalit comme une tentative pour le Hamas « d'éviter une grande opération militaire israélienne qui remettrait en cause le contrôle qu'il exerce dans la bande de Gaza alors que le Hamas veut étendre son pouvoir en Judée-Samarie ». En clair, le Hamas voudrait rééditer son coup de force de Gaza en Cisjordanie pour en finir avec l’Autorité palestinienne. Pour sa part, le Hamas affiche au contraire une volonté politique de « refaire l’unité palestinienne » avec le Fatah, officiellement, sans faire allégeance mais très certainement au prix de compromis tant il paraît désormais urgent aux frères ennemis d’opposer un front uni à Israël.
Le dilemme de Gaza
Concernant Gaza et le Hamas, les positions sont désormais mouvantes tant du côté israélien que palestinien. Depuis la tentative palestinienne de rompre l’encerclement israélien en forçant la porte égyptienne de Rafah, Israël s’interroge sur l’opportunité d’une solution militaire ou au contraire d’un abandon de la bande de Gaza renvoyée à un cordon ombilical égyptien.
Des discussions se poursuivent avec l’Egypte sur les questions décisives des points de passage et du contrôle sécuritaire du territoire que réclame le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Mais de son côté, ce dernier paraît avoir réalisé qu’il n’a plus rien à attendre des négociations engagées avec Ehud Olmert pour damer le pion Hamas sur recommandation de l’administration Bush. Celle-ci n’a pas tenu ses promesses d’Annapolis. Côté américain et israélien, rien ces temps-ci ne laisse espérer la moindre avancée vers la création d’un Etat palestinien viable d’ici fin 2008.
Le 25 juin 2007, au lendemain de son coup de force à Gaza, le Hamas avait rendu public un message enregistré du soldat Shalit dont la première preuve de vie remonte à une lettre remise à son père en septembre 2006. Un an plus tard, le Hamas a consolidé ses positions à Gaza et amené Mahmoud Abbas à envisager des négociations sur la base d’une accord conclu en mars dernier sous égide arabe à Sanaa, au Yémen.
Refaire l'unité palestinienne
La déclaration finale de Sanaa prévoyait des négociations en vue de nouvelles élections législatives et présidentielles. Elle posait en préalable un retour à l’Autorité palestinienne sur la bande de Gaza. Depuis, les frères ennemis ont tour à tour mis en avant ou au contraire négligé ce principe, en fonction de leurs dispositions du moment à surmonter leur différend. Depuis fin mai, ils affichent une certaine détermination commune à refaire l’unité pour résister aux assauts israéliens qui asphyxient Gaza et à la colonisation rampante qui grignote les territoires hypothéquant chaque jour un peu plus la naissance d’un Etat palestinien.
Finalement, au fil des mois, l’isolement du Hamas s’est quelque peu effiloché, en vertu du principe selon lequel il est pertinent de discuter avec son adversaire au lieu de l’ignorer. C’est ainsi par exemple que la France du président Sarkozy, « ami d’Israël », avoue des « contacts indirects » en mars dernier avec Ismaïl Haniyeh, l’ancien Premier ministre du gouvernement d’union nationale jeté aux orties de Gaza en juin 2007. Et des contacts, « nous ne sommes pas les seuls à en avoir », confie le chef de la diplomatie française, Bernard Kouchner.
Lundi, à Gaza, Ismaïl Haniyeh estimait que les pourparlers entre Hamas et Fatah ne devraient faire « ni gagnants ni perdants ». Au Caire, Mahmoud Abbas tâtait le terrain d’éventuelles garanties arabes à des négociations inter-palestiniennes. Au passage, il rappelait qu’à ses yeux, la poursuite de la colonisation israélienne en Cisjordanie constitue « l'obstacle majeur à tout progrès dans les négociations » israélo-palestiniennes. Fin mai, les Palestiniens ont en effet entendu comme une provocation l’annonce par Israël de construire 884 logements dans la partie est de Jérusalem, celle-là même dont ils espéraient faire leur capitale.
Douche américaine
La semaine dernière, les Palestiniens ont reçu une nouvelle douche froide, en provenance de Washington cette fois. Le jour de son investiture démocrate, le candidat américain du « changement », Barak Obama, a jugé utile de proclamer devant le principal lobby pro-israélien américain son attachement au caractère « indivisible » de Jérusalem « capitale éternelle » de l’Etat hébreu d’après lui. Barak Obama l’a redit, il n’envisage pas non plus de discuter avec le Hamas.
Avec ses déclarations sur Jérusalem, Barak Obama a fait en quelque sorte l’unité palestinienne contre lui. En tout cas, pour Mahmoud Abbas, il est plus urgent que jamais d'en finir avec un « schisme national » dans lequel la cause palestinienne a tout à perdre. Quant au soldat Shalit, il est l’occasion pour le Hamas de s’imposer comme interlocuteur d’Israël.
Achives