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France / Inde

Nucléaire toute !

par Nicolas Vescovacci

Article publié le 30/09/2008 Dernière mise à jour le 01/10/2008 à 06:45 TU

Le président Nicolas Sarkozy (g) reçoit le Premier ministre indien Manmohan Singh au palais de l'Elysée le 30 septembre 2008.(Photo : Reuters)

Le président Nicolas Sarkozy (g) reçoit le Premier ministre indien Manmohan Singh au palais de l'Elysée le 30 septembre 2008.
(Photo : Reuters)

Après une courte escale à Marseille pour le sommet Union européenne - Inde, le Premier ministre indien était à Paris ce mardi 30 septembre 2008. Manmohan Singh s’est entretenu avec le président français Nicolas Sarkozy et François Fillon, le chef du gouvernement. Les responsables des deux pays ont signé un accord de coopération dans le domaine du nucléaire civil, mettant fin à l’isolement de l’Inde dans ce domaine. Pour la France, les retombées commerciales pourraient être énormes. Le patronat indien considère que les entreprises françaises pourraient rafler 20 milliards d’euros de contrats dans les quinze prochaines années. L’Inde, après la Chine, sera à terme le deuxième plus grand marché mondial des technologies nucléaires civiles. En coulisse, les géants du secteur, le Français Areva, le Japonais Westinghouse, ou le Russe Rosatom négocient déjà leur implantation pour imposer leur savoir-faire.

L’Inde s’est mise à l’heure atomique internationale en commençant par la France.

Sans attendre le feu vert définitif des Etats-Unis qui ont initié la coopération avec l’Inde, c’est à Paris que le Manmohan Singh, le Premier ministre indien est venu trouver son premier soutien en matière de nucléaire civil. Ce mardi 30 septembre 2008, les responsables français et indiens ont signé un document bilatéral qui couvre aussi bien la recherche fondamentale que les aspects commerciaux, c'est-à-dire la livraison de réacteurs atomiques. L’accord franco-indien n’était qu’une formalité dont les modalités avaient été préparées au début de l’année 2008. Ce qui explique peut-être la discrétion avec laquelle les deux puissances nucléaires ont conclu leur partenariat. Ni l’Inde, ni la France n’ont en effet fait de commentaires. Ce document marque pourtant un tournant dans les relations entre l’Inde et les pays fournisseurs de technologies nucléaires.

Voilà plus de cinquante ans que l’Inde développe des programmes nucléaires. Dès les années 1950, les autorités indiennes se lancent dans une course à l’atome. D’abord pour des raisons militaires. Face au Pakistan voisin, il s’agit de projeter une image de puissance. Les gouvernements indiens veulent maîtriser le feu nucléaire et disposer d’un atout majeur dans la panoplie des armes de destruction massive. En 1974, le premier essai nucléaire indien propulse New Delhi dans le club fermé des puissances militaires atomiques. Mais il ferme la porte à tout commerce de technologies nucléaires civiles avec les pays occidentaux. L'Inde n’a pas signé le traité de non prolifération (TNP). Elle fait alors le choix de développer, seule, ses programmes civil et militaire.

Sortir de l’isolement

La croissance vertigineuse de l’économie indienne engage le pays sur le chemin du développement. Problème : elle est gourmande en énergie. L’Inde en manque cruellement. L’électricité nucléaire représente une partie de la solution. Mais pour produire les mégawatts dont le pays a tant besoin, les barrages hydroélectriques et les centrales à charbon ne suffisent pas. Il faut des centrales nucléaires et de l’uranium ; autrement dit des technologies et du combustible dont l’Inde s’est privée.

L'Inde renforce ses capacités énergétiques

« Le gouvernement prévoit d'ajouter 60 000 MW supplémentaires en construisant une vingtaine de centrales au cours des 15 prochaines années. »

01/10/2008 par Pierre Prakash

Sortir de ces décennies d’isolement international devient une priorité. Sans céder sur ses principes stratégiques, l’Inde se rapproche des Etats-Unis en 2005. Le président américain George Bush et le Premier ministre indien Manmohan Singh signent un accord cadre de coopération dans le domaine du nucléaire civil. Contre l’avis de certains scientifiques et politiques indiens, l’Inde accepte de mettre sous surveillance de l’AIEA (l’agence internationale de l’énergie atomique) ses 14 réacteurs civils en échange de la fourniture de technologies et de combustible. New Delhi refuse en revanche de soumettre son programme militaire (huit réacteurs) aux inspecteurs de l’AIEA. Les Etats-Unis justifient ce rapprochement en célébrant la sagesse et la responsabilité de la plus grande démocratie du monde. L’Amérique de George Bush vient de créer une exception indienne, en octroyant une prime nucléaire à un pays non signataire du TNP. Un régime dérogatoire unique en son genre!

Un marché de 100 milliards de dollars

Pour que cette coopération soit possible, les responsables indiens et américains vont faire sauter tous les verrous internationaux. Pendant l’été 2008, l’AIEA, puis le groupe des pays fournisseurs de technologies nucléaires civiles acceptent de coopérer avec l’Inde. C’est la fin de l’isolement indien. C’est surtout l’ouverture d’un marché colossal évalué à 100 milliards de dollars pour les quinze prochaines années. L’accord américano-indien ouvre la voie à une coopération internationale et donc à des négociations bilatérales entre l’Inde et tous les pays exportateurs de technologies nucléaires, notamment la France. Le Français Areva souhaite vendre ses réacteurs de troisième génération EPR (European Pressurized Reactor), tout comme ses principaux concurrents, le Japonais Westhinghouse ou le Russe Rosatom.

Et les besoins indiens sont immenses. L’électricité produite grâce aux centrales nucléaires indiennes ne représente que 3% de la puissance installée, soit 4 000 mégawatts sur les 127 000 mégawatts disponibles. « Nous ne savons pas combien de réacteurs nous allons construire », explique Kumar Malhotra le porte-parole du ministère indien de l’Energie atomique. « Ce que nous espérons c’est l’installation d’une puissance supplémentaire de 40 000 mégawatts d’ici à 2020. » L’objectif indien est donc de multiplier par dix la production actuelle d’électricité nucléaire. Selon les spécialistes du secteur, cela représente cinq à six centrales nucléaires ou encore une vingtaine de réacteurs EPR. Ce qui ferait de l’Inde le deuxième marché mondial des technologies nucléaires civiles.

Le pays doit désormais entamer des négociations commerciales et industrielles avec ses futurs partenaires. « Les Français, les Japonais et les Russes ont déjà des sites réservés. Ils ont une part de marché assurée  », assure Pierre Zalesky, un ancien ingénieur physicien et délégué général du centre de géopolitique de l’énergie et des matières premières. Reste à savoir qui obtiendra quoi ! Et quels seront les termes des accords commerciaux.

Areva ne cache pas ses ambitions. Le groupe français, leader mondial dans la conception et la construction de centrales nucléaires souhaite vendre à l’Inde deux réacteurs de troisième génération EPR, ainsi que du combustible. Au moins dans un premier temps, car les négociations pourraient porter à terme sur la livraison « d’une flotte de réacteurs », selon un communiqué publié par le groupe. Areva fournit déjà à l’Inde des matériels et des systèmes de distribution d’électricité. Le groupe possède, sur place, huit sites industriels et emploie 3 500 salariés. Mais l‘ouverture du marché indien aux technologies nucléaires civiles représente bien plus. C’est un débouché inespéré. Une occasion rêvée de montrer sa maîtrise technologique alors que le groupe doit faire face à de nombreux retards sur les sites d'Olkiluoto en Finlande et de Flamanville en France, là-même ou sont construits les premiers exemplaires des réacteurs EPR. En Chine, Areva n’a pas eu les contrats espérés. En Inde, le groupe veut battre ses concurrents. Pour cela, Areva devra à coup sûr réaliser des transferts de technologie s’il veut convaincre le gouvernement indien. C’est souvent la règle en pareil cas. C’est désormais le prix à payer pour s’octroyer le meilleur d’un marché.