Article publié le 21/10/2008 Dernière mise à jour le 21/10/2008 à 17:15 TU
De l’envoyé spécial de RFI en Roumanie, Jean-François Pérès
Impossible de le manquer. A dix kilomètres de l’entrée de la ville, ses hautes cheminées, qui s’étendent sur plusieurs hectares, crachent des fumées aussi multicolores que potentiellement nocives. Symbole de Galati, qu’il semble écraser de sa présence du haut de son promontoire, le « Combinat » (prononcer le T), gigantesque complexe sidérurgique et fleuron de l’industrie roumaine sous le régime de Ceausescu, appartient depuis 2001 au multimilliardaire indien Mittal.
Dans cet ancien port de commerce florissant, aujourd’hui en friche économique à l’image de la Moldavie roumaine, l’une des régions les plus pauvres de l’Union européenne, l’acier est encore roi. Le club de Galati porte son nom : « Otelul », comme si le passé, vingt ans après la chute du dictateur, n’était pas encore soldé. 15 000 personnes travaillent encore sur le site (contre plus de 40 000 avant 1989) sur les 350 000 habitants de la ville, la cinquième en population du pays.
Ce dimanche 12 octobre après-midi, en traversant le centre, le bruyant défilé d’un mariage tzigane bouche la moitié d’une des principales artères, large, monotone, bordée d’immeubles semblablement gris et décrépis. Heureusement, il fait beau, et les couleurs des arbres à l’automne égayent avantageusement un paysage sans doute propice au spleen quand le froid et la neige reprennent leurs droits météorologiques.
Un mental en acier trempé
Salif Nogo s’en souvient comme si c’était hier : il est arrivé à Galati le 24 novembre 2005, dans la foulée d’un Festival Espoirs de Toulon où le grand défenseur central de la sélection du Burkina Faso avait tapé dans l’œil des dirigeants locaux. Non pas qu’il en rêvait, de la Roumanie, le natif de Ouagadougou. Il n’en connaissait rien. Mais c’était en Europe, c’était du concret, « un tremplin pour ma carrière », comme il le répètera fréquemment au cours de notre conversation. Alors il est venu et a paraphé un contrat de trois saisons dans ce club qui n’a jamais gagné ni championnat ni coupe nationale, à la différence du CFR Cluj de son compatriote Yssouf Koné, auteur du doublé la saison passée.
Footballeur international burkinabé
"Ma maman ne voulait pas que je parte en Roumanie, elle pensait que j'allais me perdre..."
L’ancien joueur de l’USO, l’Union Sportive de Ouagadougou, n’avait même pas vingt ans et, s’il avait beaucoup voyagé avec les différentes sélections burkinabés (il compte notamment 7 capes avec les Etalons A), cette expérience était pour lui la première loin de son pays. Malgré les réticences de sa mère, qui craignait qu’il ne se perde, il décida de la tenter, seul.
Comment a-t-il pu tenir, lui qui confie « avoir vu beaucoup d’étrangers déguerpir au bout de six mois » ? Il suffit de l’écouter pour comprendre. Le garçon n’a peut-être pas atterri à Otelul par hasard : son mental est en acier trempé, et sa maturité saute aux yeux. « Personne ne nait grand », assène-t-il de sa voix douce et assurée, riant encore de ses premiers entrainements sur terrains enneigés et de son entraineur lui martelant « Tu es en Roumanie, tout est possible… »
Quand Nogo débute sous ses nouvelles couleurs en décembre 2005 à Bucarest face au Dinamo, Galati se traine dans les profondeurs du classement. Les patrons du club danubien ne font pas dans la dentelle et recrutent… dix-huit nouveaux joueurs en quelques semaines. Dans ce contexte ultra-concurrentiel, le Burkinabé gagne sa place et ne la perdra qu’épisodiquement, d’autant que cette première se termine par un retentissant 0-3. Une rencontre « à jamais gravée dans ma mémoire », assure-t-il. Otelul termine la saison en trombe, septième du championnat quand tous les observateurs lui promettaient la relégation.
Enchainant les prestations solides, le défenseur ouest-africain s’impose au point d’être dragué par les plus grandes formations roumaines, Dinamo, Steaua… Mais ses dirigeants le découragent de partir à grands coups de surenchères. Les résultats sont là, Galati joue (et gagne) même quelques matchs en Coupe de l’UEFA face à des pointures telles que Trabzonsport ou le Lokomotiv Sofia, les mois passent... Et Salif Nogo est toujours là, trois ans plus tard, malgré un contexte « très difficile » où il lui aura fallu être « très fort dans la tête » pour ne pas craquer. Il sera donc allé au bout de son contrat. Mais il est formel : la Roumanie, c’est bientôt terminé.
« Refaire ma place chez les Etalons, c’est l’un de mes objectifs »
La preuve, sa copine est partie étudier aux Etats-Unis, il a rendu les clefs de son appartement et vit à l’hôtel en attendant son départ programmé pour la fin de l’année. « Ca suffit, tranche-t-il. Les dirigeants m’ont mis trop de bâtons dans les roues, et je me sens désormais prêt à aller plus haut. J’ai vécu une telle expérience que la suite sera forcément plus facile. »
"J'ai vu des étrangers qui n'ont pas tenu six mois ici... Aujourd'hui, je me sens prêt à aller plus haut"
Il ne regrette cependant pas son séjour dans cette grise cité industrielle où il avoue s’être souvent ennuyé. « Je vous assure, Galati restera un très bon souvenir. Quand on gagnait, le public était chaud, émouvant même parfois. Tout était or (sic), on oubliait les choses négatives de la vie de tous les jours, les matchs disputés sous des températures de -15 degrés… Ma force a été de toujours rester concentré sur le football, ne jamais dévier de ma trajectoire. »
Et maintenant ? Le défenseur burkinabé était à deux doigts de signer à Troyes cet été. Mais le club aubois avait été doublé in extremis par Grenoble pour la montée en Ligue 1 et n’avait pas donné suite. On pourrait donc retrouver Salif Nogo sur les pelouses du championnat de France dans peu de temps. La perspective l’enchante à plusieurs titres. « Depuis mon arrivée ici, je n’ai plus été sélectionné chez les A. Personne ne s’intéresse à la Roumanie au Burkina Faso. Refaire ma place chez les Etalons, servir mon pays, c’est l’un de mes objectifs. On m’avait peut-être oublié… »
Au bord du Danube pourtant, non loin d’un effrayant « Combinat » sidérurgique, dans des conditions vraiment pas simples, un jeune footballeur burkinabé est devenu fort comme l’acier. Son ascension ne fait sans doute que commencer.
Réalisation Jean-François Pérès
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