par Dominique Raizon
Article publié le 01/06/2007 Dernière mise à jour le 01/06/2007 à 17:16 TU
L’ancêtre orang-outan asiatique aurait perfectionné sa locomotion dans la cime des arbres.
(Photo : AFP)
Trop lourds pour pouvoir sauter de branche en branche, les orangs-outans grimpeurs s’aident des pieds et des mains pour se déplacer dans les arbres. Ces grands singes roux, qui passent la quasi-totalité de leur vie dans les arbres, s’y déplacent de trois manières différentes. Lorsqu’ils se trouvent sur de grosses branches horizontales, ils marchent à quatre pattes. Quand ils atteignent des branches d’épaisseur moyenne, ils les saisissent avec leurs mains pour y trouver un appui, voire pour s’y accrocher et s’y suspendre. Mais lorsqu’ils arrivent à de longues branches fines et souples qui, à l’extrémité de la couronne d’un arbre, présentent des fruits appétissants, ils se redressent. Ils s’agrippent sur une ou deux de ces branches moins solides avec les longs orteils de leurs pieds préhensiles. Ils gardent l’équilibre à l’aide de leurs bras écartés et ils marchent comme des funambules avant de saisir des branches au-dessus de leurs têtes.
C’est dans ce dernier mode de locomotion «assistée par les mains» que les chercheurs Susannah Torpe, Roger Holder et Robin Crompton ont vu un mode de déplacement que les premiers hominidés pourraient avoir adopté lorsqu’ils vivaient dans les arbres et qu’ils auraient abandonné par la suite en se redressant définitivement au sol, n’utilisant alors plus que leurs pieds. La théorie n’est pas nouvelle. Successivement, en 1953 puis en 1978, les anthropologues Howells et Wasburn ont développé cette hypothèse que le pied de l’homme dériverait, en quelque sorte, d’un pied de primate arboricole.
Mais si la théorie n’est pas nouvelle, elle est également controversée, notamment par l’anthropologue française, Yvette Deloison, auteur de La Préhistoire du piéton (éditions Plon, 2004). Selon cette dernière, la morphologie humaine ne peut provenir que d’un autre très vieil ancêtre, déjà pleinement bipède. «Si notre ancêtre avait une anatomie permettant de faire ce que font les orangs-outans, avec des mains et des pieds si parfaitement adaptés au grimper et à la suspension, déclare-telle, il aurait été beaucoup trop spécialisé pour pouvoir donner naissance à ce que nous sommes aujourd’hui».
«Des perspectives nouvelles pour l’étude de l’évolution de l’homme»
Alors, la bipédie est-elle une adaptation acquise pour se redresser dans la savane ou une aptitude héritée d’un répertoire arboricole qui inclurait la locomotion en se servant des deux membres postérieurs ? Pour Paul O’Higgins et Sarah Elton, deux autres spécialistes britanniques qui s’expriment dans la même revue Science de mai 2007, l’observation de leurs confrères constitue un «argument plausible et élégant en faveur de l’émergence de la bipédie dans un contexte arboricole plutôt que terrestre».
Selon Paul O’Higgins et Sarah Elton, le redressement du bipède arboricole aurait bien eu lieu dans les arbres. Et, pour trouver davantage de nourriture, à l’époque où la canopée s’est clairsemée en Afrique, au Miocène (il y a 5 à 23 millions d’années), les ancêtres des chimpanzés et des gorilles seraient alors descendus des arbres. Au sol, ces derniers auraient alors «inventé une marche quadrupède originale qui consiste à s’appuyer sur le dos des doigts repliés de leurs mains». Ainsi, l’ancêtre orang-outan asiatique aurait perfectionné sa locomotion dans la cime des arbres, et l’orang-outan africain aurait maintenu la «bipédie arboricole pré-existante» en l’adaptant à la marche au sol, à travers les savanes, entre zones boisées.
Brigitte Senut est paléontologue et travaille au laboratoire du Muséum national d’histoire naturelle (Mnhn, à Paris). Dans un entretien accordé au quotidien le Figaro, la découvreuse d’Orrorin, un des plus vieux ancêtres de l’homme, se réjouit : «Ce qui me séduit dans le travail de mes collègues anglais, c’est que leur approche -lier l’environnement, la locomotion et l’alimentation- ouvre des perspectives nouvelles pour l’étude de l’évolution de l’homme».