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«Gigantiops destructor», une fourmi qui a la bosse de la géométrie

par Dominique Raizon

Article publié le 02/02/2009 Dernière mise à jour le 04/02/2009 à 10:59 TU

Antoine Wystrach et Guy Beugnon étudient depuis les années 2000 les performances de navigation et de réorientation des fourmis Gigantiops destructor. Leurs travaux montrent, pour la première fois, que des insectes sociaux peuvent utiliser des informations liées à la géométrie de l'espace pour s'orienter même en présence de repères visuels saillants.
Ouvrière de Gigantiops destructor.   © Guy Beugnon

Ouvrière de Gigantiops destructor.
© Guy Beugnon

S'orienter même en présence de repères visuels saillants, mémoriser une image de l’espace où se trouve la sortie, se déplacer ensuite vers les points de l’espace qui présentent le moins de disparité avec cette image, telles sont les aptitudes de Gigantiops destructor, une fourmi tropicale qui mesure entre huit millimètres et un centimètre de long et qui est dotée du système visuel le plus développé de toutes les espèces de fourmis (entre 10 000 et 12 000 ) connues dans le monde (*) .

Vivant en forêt amazonienne, n’évoluant pas en milieu tempéré, cette espèce présente pour les chercheurs un double avantage :

- d’une part, elle peut s'éloigner jusqu'à 30 mètres de son nid pour trouver de la nourriture et elle y revient en droite ligne;

- d’autre part, elle a développé au cours de l’évolution, du fait de son environnement hostile, riche et complexe, des capacités de navigation et d’orientation robustes et efficaces.

Guy Beugnon

Directeur de recherche CNRS, au Centre de Recherches sur la Cognition Animale

« Parmi les nombreux avantages de ces fourmis, il y a celui de posséder un volume du lobe optique supérieur à celui du lobe olfactif, comparativement aux abeilles et aux guêpes

02/02/2009 par Dominique Raizon

 Chaque œil d'ouvrière de Gigantiops destructor contient 4000 yeux à facettes.© Guy Beugnon

Chaque œil d'ouvrière de Gigantiops destructor contient 4000 yeux à facettes.
© Guy Beugnon

Les chercheurs ont alors travaillé en laboratoire pour démontrer que Gigantiops destructor utilisait exclusivement ses capacités visuelles. Pour bien  repérer les circuits de déplacement des différents individus étudiés, les spécimens ont été au préalable marqués de petits points de couleur … puis lâchés au milieu d’espaces fermés différents, rectangles et carrés.

Les chercheurs ont étudié les performances de réorientation de fourmis Gigantiops destructor déplacées au centre d’une arène rectangulaire, dont l’un des coins présente une sortie permettant de revenir au nid ... Pour expliquer la stratégie de la fourmi utilisée pour l’étude, Guy Beugnon compare la situation à notre désarroi lorsque nous voulons retrouver un véhicule garé dans un parking souterrain.

Guy Beugnon

« Si on désoriente un sujet au milieu d'un rectangle, une fois sur deux  il peut tout aussi bien se diriger vers l'angle diamétralement opposé à celui où se trouve l'issue initialement indiquée

02/02/2009 par Dominique Raizon

Antoine Wystrach (Thésard UPS) et Guy Beugnon (Directeur de recherche CNRS), du Centre de Recherches sur la Cognition Animale (CRCA - UPS/CNRS), montrent donc pour la première fois cette capacité de navigation et d’orientation spatiale qui n'avait à ce jour était démontrée que chez des vertébrés, incluant l'homme. 

Comme les vertébrés, les fourmis choisissent à 50% le coin correct et à 50% le coin incorrect diamétralement opposé ; ces deux coins partagent en effet les mêmes relations géométriques avec les côtés qui leurs sont adjacents. Ces résultats sont publiés le 13 janvier 2009 dans la revue Current Biology.

 Les performances des fourmis, supérieures à celles observées chez des enfants âgés de 4 ans (25% de choix pour chaque coin), peuvent s'expliquer sur la base d'un traitement visuel de l’information spatiale. Les insectes mémorisent une image de l’espace environnant le coin correct et se déplacent ensuite vers les points de l’espace qui présentent le moins de disparité avec cette image (view-based matching process).

Guy Beugnon

« Pour des raisons liées à un certain stade de son développement, l'enfant qui est autocentré, placé dans un rectangle, ne se repère pas plus que dans un carré, incapable d'évaluer si un côté est plus grand que l'autre. La fourmi, oui

02/02/2009 par Dominique Raizon


Ces observations confirment des simulations réalisées en réalité virtuelle par d'autres auteurs selon lesquels les informations concernant la géométrie de l'espace sont contenues dans des images panoramiques de l'environnement ; les fourmis font même preuve d'adaptabilités supérieures à celles observées dans ces simulations ce qui leur permet de ne pas rester bloquées sur une zone donnée.

L’ensemble de ces résultats pourrait conduire à une réinterprétation des données observées chez les vertébrés, remettant en cause l’existence même d’un module géométrique spécifique qui serait situé dans l’hippocampe, et contribuer aussi au développement actuel de la robotique mobile biomimétique. Des travaux sont actuellement conduits en Australie en ce sens avec des informaticiens et des spécialistes en robotique.

Guy Beugnon

« L'idée est à partir de ces travaux, d'imaginer des robots mobiles, tout à fait autonomes, qui apprendraient à se construire une représentation de l'espace au gré de leurs différents essais de trajets pour se rendre d'un point A à un point B

02/02/2009 par Dominique Raizon

Ces travaux intéressent également les chercheurs qui se penchent sur la flexibilité comportementale et qui émettent aujourd'hui la possibilité qu'il existerait peut-être dans le cerveau  un traitement spécifique de la géométrie.

Guy Beugnon

« Les chercheurs ont montré qu'en présence de repères visuels, l'être humain fait également appel à des repères géométriques découplés de la vision

02/02/2009 par Dominique Raizon

Pour en savoir plus :

Consulter les sites suivants

- de Current Biology, Ants Learn Geometry and Features
Current Biology, Volume 19, Issue 1, 61-66, 31 December 2008
 
- Guy Beugnon, CRCA - UPS/CNRS, département

et Centre de Recherches sur la Cognition Animale

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