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Amérique du Sud/ Géologie

Salars andins : mémoire de la Terre et du climat

par Dominique Raizon

Article publié le 13/07/2009 Dernière mise à jour le 20/07/2009 à 13:18 TU

Une étude de l’Institut de Recherche pour le développement parue début juillet 2009 raconte comment les déserts de sel, perchés à près de 4 000 mètres de hauteur sur les hauteurs andines en Bolivie, au Chili et en Argentine, captivent les scientifiques. François Risacher, chercheur à l’IRD s’est intéressé de près à ces « immenses miroirs où se reflètent les cônes volcaniques enneigés ». A la fois beaux et hostiles, ces lacs de sel sculptent un paysage lunaire où seuls les cactus témoignent d’une vie végétale. Leur étude permet aux chercheurs de décrire les processus à l’origine de leur formation et de leurs compositions chimiques complexes. François Risacher répond aux questions de Dominique Raizon.

A la rencontre des salars andins avec les photos de 

François Risacher : 

 

RFI : Combien de temps a duré votre mission sur place ?

F. R. : J'étudie les salars depuis 1975. Je suis d'abord allé en Bolivie puis au Chili. J'ai travaillé et résidé plus de 20 ans sur place. Ce n'est donc qu'une petite partie de mes activités que je présente dans cette dernière publication de l'IRD. En fait, l'ensemble des résultats est réparti dans une trentaine d'articles publiés depuis 1980.

RFI : quelle est la définition d’un salar

F.R. : En Amérique du sud, le terme salar désigne traditionnellement une croûte de sel en milieu continental. Mais ce terme a été généralisé à tous les environnements salés qui ne sont pas d'origine marine: on trouve en effet tous les stades intermédiaires entre les lacs salés et les croûtes de sel, dont beaucoup proviennent de l'assèchement partiel ou total d'un lac salé.

Francois Risacher

Charcheur au Laboratoire d'Hydrologie et de Géochimie de Strasbourg (LHyGeS)

« Sur les salars de type croûte de sel, il n'y a aucune vie. En revanche dès qu'il y a de l'eau, on se trouve dans des zones de steppe désertique où abondent les graminées et où la faune est variée, des flamants roses, des condors, de petits rongeurs, des renards ...»

20/07/2009 par Dominique Raizon

RFI : comment se présente cette particularité géologique que l’on désigne sous le terme de salar ?

F.R. : On peut distinguer trois phases dans un salar: les eaux salées, appelées aussi saumures, les sels cristallisés et les sédiments (ou vases) qui se déposent dans le fond des lacs. C'est la proportion de ces trois phases qui détermine la morphologie d'un salar.

Pour qu'un salar puisse se former, il faut que deux conditions soient réunies: d'abord un bassin topographiquement fermé (une cuvette), ensuite que l'évaporation soit supérieure à la pluviosité, c'est-à-dire un climat aride. Les salars se trouvent dans les zones désertiques.

RFI : Tous les salars sont-ils tous de la même taille etc - sont-ils tous concentrés en Amérique du Sud ou bien en trouve-ton ailleurs dans le monde ?

F.R. : Leur taille varie de quelques centaines de mètres carrés -il s'agit en quelque sote de mares salées- jusqu'à 10 000 km² -soit , dans ce cas, la surface du tiers de la Belgique ou de deux départements français. En Amérique du sud, on en dénombre environ 130 répartis principalement dans trois pays: Bolivie, Chili et Argentine. Dans le reste du monde, il en existe plusieurs milliers dans les zones désertiques: Amérique du nord, Sahel, Moyen-Orient, Tibet, Australie, Antarctique, etc.

Le lac salé de Uyuni en Bolivie.(Photo : IRD/ Patrick Blanchon)

Le lac salé de Uyuni en Bolivie.
(Photo : IRD/ Patrick Blanchon)

RFI : tous les salars présentent-ils les mêmes caractéristiques chimiques ?

F.R. : Les caractéristiques chimiques des salars sont très variées. C'est là une différence fondamentale avec les milieux salins d'origine marine. Les sels marins, où qu'ils se trouvent, ont une seule origine: l'évaporation de l'eau de mer. Leur composition n'est donc pas très variée. Par contre, les sels des salars ont des origines beaucoup plus diverses: d'abord l'altération des roches des bassins versants par les eaux de pluie.

 Chaque type de roche produit une eau d'altération particulière qui dépend de la composition chimique de la roche. Par évaporation, ces eaux produisent un type particulier de saumures et de sels. Par ailleurs, les eaux de pluie peuvent s'infiltrer en amont du bassin versant, alimenter des nappes souterraines et resurgir comme sources en bordure des salars. Mais au cours de leur trajet souterrain, les eaux des nappes peuvent re-dissoudre des couches de sels déposées à des époques géologiques plus anciennes. Cela augmente encore la variété des saumures et des sels qui se forment dans les salars: parmi les plus abondants on trouve du chlorure de sodium, des sulfates de sodium et de calcium, des carbonates de sodium et des borates. Il existe des salars acides et des salars basiques, avec des pH variant de 1 à 10.

RFI : En quoi constituent – ils de précieuses ressources pour les populations andines ?

F.R. : Les salars présentent un intérêt économique et un intérêt scientifique. Les saumures contiennent sous forme dissoute du lithium, du potassium et du bore. Leur exploitation se fait par évaporation dans des salines artificielles, comme pour le sel ordinaire dans les marais salants. Sous forme de sels cristallisé on trouve des carbonates de sodium, des sulfates de sodium, des borates et bien sûr du chlorure de sodium, sel le plus abondant dans presque tous les salars. Le lithium est utilisé dans les batteries électriques, le potassium sert comme engrais, le bore est utilisé en métallurgie et dans l'industrie du verre. Les sels de sodium ont de nombreux usages dans l'industrie chimique.

Les bassins des salars contiennent également des réserves d'eaux douces. C'est autour des salars, dans le fond des bassins, que les nappes souterraines sont le plus proche de la surface. C'est donc là que l'on peut extraire le plus facilement les eaux douces. Au Chili, les compagnies minières exploitent activement ces nappes.

Les salars présentent également un grand intérêt scientifique. Ce sont des laboratoires chimiques naturels. Par exemple, les salars acides sont actuellement très étudiés, car on a découvert sur la planète Mars les mêmes minéraux que dans ces salars. Les salars sont aussi des enregistreurs des variations du climat.

Le niveau des lacs salés dépend très étroitement des conditions climatiques. Les variations de niveaux sont enregistrées dans les sédiments des lacs ce qui permet de reconstituer les variations du climat dans le passé. Enfin les salars sont ce qu'on appelle des milieux extrêmes en biologie. La vie qui s'y développe présente des caractéristiques exceptionnelles. 

Cliquez sur le diaporama pour voyager à travers les salars andins :

Le petit salar blanc est le salar de Coipasa et le grand salar blanc en plein milieu de la photo est le salar d'Uyuni, la plus grande croûte de sel du monde.(Image satellite : DR Agence spatiale européenne)

Le petit salar blanc est le salar de Coipasa et le grand salar blanc en plein milieu de la photo est le salar d'Uyuni, la plus grande croûte de sel du monde.
(Image satellite : DR Agence spatiale européenne)

Pour en savoir plus :

Consulter le site de l'Institut de recherche pour le Développement (IRD)

1. François Risacher est chercheur à l’IRD Laboratoire d'Hydrologie et de Géochimie de Strasbourg (LHyGeS)

2. La potasse est un minerai blanc notamment utilisée comme engrais ou pour la fabrication du verre, de savons, etc.

Lire

La genèse des lac salés, Risacher F. et Fritz B., 1995, dans la revue La Recherche, 26, 276 : 516-522