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Energie/ Ecologie

Adieu charbon noir, vive le charbon vert !

par Marie-Laure Josselin

Article publié le 01/07/2009 Dernière mise à jour le 09/07/2009 à 14:56 TU

Dans le nord du Sénégal, une machine financée grâce à des crédits carbone fabrique du charbon 100 % écologique : Pyro 6, tel est son nom, transforme des restes de végétaux en briquettes ou en poudre de charbon grâce à un système de combustion qui ne renvoie pas de gaz à effets de serre. Implantée dans le nord du Sénégal, cette machine qui sert à réaliser du charbon 100 % vert, permet ainsi de lutter contre le réchauffement climatique, la désertification tout en étant une alternative énergétique bon marché.
Pape Demba Ba, un agriculteur de Ross Bethio qui utilise le biochar dans ses champs, observe ses oignons bio en compagnie de son fils.(Photo : Marie-Laure Josselin/ RFI)

Pape Demba Ba, un agriculteur de Ross Bethio qui utilise le biochar dans ses champs, observe ses oignons bio en compagnie de son fils.
(Photo : Marie-Laure Josselin/ RFI)


Chapeau clair vissé sur la tête, mains dans le dos, Pape Demba Ba, « électricien et paysan » comme il aime se définir, contemple ses champs à Ross Bethio, à environ 300 kilomètres au nord de Dakar. Cette année, il expérimente dans ses champs le biochar, c'est-à-dire une poudre de charbon fabriquée de manière écologique. Et, dans les rangs bien alignés, les oignons -qui n’ont eu que du compost et du biochar pour pousser- n’ont pas à rougir devant ceux qui ont reçu des engrais chimiques : ils sont de la même taille, voire plus gros.

« Regardez-les ! », lance l’agriculteur, fièrement, « l’expérience a réussi de manière extraordinaire. Le biochar est un fertilisant naturel qui est économique, je n’ai pas besoin d’en mettre tous les ans, c’est un avantage pour le paysan à faible revenu ». Ce succès, il le doit à cette poudre noire entassée dans un sac : le biochar. La technique n’est pas nouvelle. La nouveauté, ici, vient du processus entièrement bio : la poudre est obtenue par la carbonisation par pyrolyse de balles de riz ou du typha -une sorte de roseau qui envahit les eaux du nord du pays.

Proche de la maison de l’agriculteur se trouve le hangar où l’ONG Pro-Natura international a installé sa machine Pyro 6, la première machine fonctionnelle à fabriquer ce charbon 100 % écologique. Elle est entièrement financée par du crédit carbone. Sa construction a coûté quelque 200 000 euros, ce qui correspond à 5388 aller/retour Paris-Dakar avec du rachat de crédit carbone. Le principe est fondé sur la carbonisation de végétaux grâce à une pyrolyse qui « permet de faire du charbon sans utiliser les méthodes traditionnelles de combustion qui sont très néfastes pour l’environnement. En réutilisant les gaz émis pour maintenir la combustion, on ne les rejette pas, c’est donc écologiquement propre », explique Christelle Braun de Pro-Natura International.

La Pyro 6, la machine qui permet de fabriquer la poudre de charbon écologique, à partir de la combustion par pyrolyse de balles de riz et de typha. (Photo : Marie-Laure Josselin/ RFI)











Abdoul Aziz Sy, conducteur pyro, met en route la grosse machine rouge. Il regarde, attend, « 312 degrés, on peut démarrer », lance-t-il à son collègue, lui demandant d’apporter les coques de riz pour alimenter Pyro 6. Le bruit est assourdissant. Une fois la machine préchauffée, le processus produit sa propre énergie, de façon pratiquement autonome. Après quelques minutes et un passage dans de l’eau froide, la poudre de charbon noire tombe dans les mains d’Aziz ; une partie va être transformée en briquettes, une autre va servir de biochar, celui qu’utilise Pape Demba Ba.

Depuis 6 mois, Pyro 6 produit environ une tonne de charbon vert par jour, une tonne difficile à écouler. Dans le coin du hangar, le stock de biocar atteint le plafond. « Il faut beaucoup sensibiliser », explique le gérant de l’usine, Abdel Kader Ndiaye. « Je vais dans les villages, je rencontre les femmes pour leur expliquer que ce charbon n’est pas issu de la déforestation. Mais les gens sont sceptiques car ils ont peur que ça nuise à leur santé, il faut aider ce charbon pour qu’il fasse son bout de chemin ». Autre frein à l’expansion de ce charbon écologique : d’autres charbons dit verts qui ont déjà été expérimentés et qui ont déçus la population, trop de fumée, mauvaise odeur…

Dans sa petite cour à l’entrée de Saint Louis, Coumba, jeune mère de 26 ans, replace le bois qui brûle sur son fourneau… du bois en remplacement du charbon vert, son stock est épuisé. Depuis qu’elle l’a découvert, Coumba ne jure que par lui, ses voisines aussi. Fer à repasser à la main, elle explique : « Pour le repassage, il est meilleur car il ne fait pas de fumée, il ne sent pas sur les habits. Il est aussi bon pour le thé, la cuisine, même s’il y a beaucoup de cendres ».

Dernier atout déterminant : son prix, trois fois moindre que celui de son cousin noir, le charbon de bois. 60 % de la consommation énergétique des ménages sénégalais provient du bois. La déforestation est officiellement estimée à 80 000 hectares par an. Les anciens se souviennent encore. Il y a quelques dizaines d’années, il suffisait de sortir de Dakar pour trouver des forêts, désormais il faut faire plus de 400 km. Le bois devient de plus en plus difficile à trouver mais reste la source d’énergie privilégiée. Le charbon vert semble être une bonne alternative.

Paul Ndiaye, enseignant au département de géographie de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, y met quelques bémols : « L’utilisation du charbon ne peut pas être remplacée par un autre combustible économiquement intéressant. Les possibilités sont limitées. », insiste-t-il, poursuivant : « Dans le milieu rural, on a facilement accès à du bois, cette ressource est gratuite, le charbon vert, lui, est payant. Personne ne va acheter ce qui est disponible à côté. Ce type de produit répond plus à des besoins citadins que ruraux. »

Pape Demba Ba, l’agriculteur-précurseur, reste convaincu. Aux prochaines semailles, il fera du riz bio. « Je vois que c’est la porte de sortie pour nous. J’exhorte tous les Africains à s’orienter vers cette agriculture à faible coût et bonne pour l’environnement et la santé », précise-t-il, regardant d’un mauvais œil le typha, la plante aquatique qui sert à faire le biochar et qui envahit son fleuve Sénégal.