Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Droits de l'Homme

La Commission de Genève au cœur des polémiques

Le 25 avril se termine la 59ème session de la Commission des droits de l’Homme, une instance qui se réunit chaque année à Genève. La polémique a une nouvelle fois été très présente au cours de ses six semaines de travaux, la Commission étant accusée de faire preuve d’une trop grande mansuétude à l’égard de nombre de ses membres.
Avant même d’ouvrir sa 59ème session, la Commission des droits de l’Homme a suscité cette année une impressionnante flambée de critiques. La polémique est née au moment de l’attribution de la présidence de cette commission, qui tourne chaque année entre les cinq groupes régionaux composant cette Commission. Il revenait cette fois aux pays africains de désigner un président. Et leur choix s’est arrêté en janvier dernier sur la Libye et son ambassadrice aux Nations unies à Genève, Mme Najat Al-Hajjaji. Refusant de voir un pays qu’ils accusent de soutenir des actions terroristes prendre la présidence de cette commission, les Etats-Unis avaient ensuite demandé que sa nomination soit confirmée par un vote à bulletins secrets, et non par acclamation comme cela se déroule habituellement. La manœuvre n’y avait rien changé, seulement trois Etats des 53 membres votant contre et 17 autres s’abstenant.

Mme Najat Al-Hajjaji a du coup fait l’objet d’une attention toute particulière lors des travaux qui ont débuté à la mi-mars à Genève. Sa manière de conduire les débats et ses interventions ont été suivies de très près. Et de l’avis de plusieurs observateurs avertis, elle s’est bien acquittée de sa tâche, affichant notamment une grande neutralité. Une façon pour elle de faire taire certains de ses détracteurs et d’améliorer un peu l’image de la Jamahiriya arabe libyenne. Sous sanctions onusiennes depuis 1992 après l’attentat de Lockerbie qui avait fait 259 morts, la Libye ne manquera pas de se féliciter de ce succès diplomatique obtenu au sein du principal organe des Nations unies dans le domaine des droits de la Homme.

Cette situation paradoxale illustre une nouvelle fois les limites du fonctionnement de cette instance. Plusieurs pays de la commission n’hésitent pas à violer chez eux les droits qu’ils défendent au sein de cette assemblée, décrédibilisant ainsi considérablement cette institution. «Tout Etat membre devrait être tenu de coopérer avec les mécanismes internationaux mis en place», estime Antoine Madelin, représentant de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) auprès des Nations unies. «Malheureusement, cela ne fait pas partie des conditions d’admission et certains pays ne sont pas signataires des principaux traités internationaux qui visent à défendre les droits de l’Homme». Du coup, la question des critères d’entrée revient année après année. Elle pourrait d’ailleurs à nouveau bientôt se poser avec les probables candidatures de la Corée du Nord et de l’Iran, deux pays placés dans «l’axe du mal» par les Etats-Unis. Beaucoup de diplomates estiment qu’aucun pays ne doit être tenu à l’écart de la Commission, arguant du fait qu’un club restreint de pays démocrates ne servirait pas la cause de la défense des droits de l’Homme.

Le Zimbabwe sauvé par une motion de «non-action»

Le fait d’être membre de la commission ne crée donc pas d’obligations particulières. Plusieurs d’entre eux semblent d’ailleurs surtout profiter de cette assemblée pour développer des actions de lobbying et éviter ainsi de faire l’objet d’une résolution condamnatoire. C’est le cas par exemple de la Chine, régulièrement pointée du doigt par les organisations internationales de droits de l’Homme, qui déploie chaque année des trésors de diplomatie pour ne pas être mis au banc des mauvais élèves. La Russie a également su éviter, cette année encore, les foudres de la commission, un projet de résolution sur la situation des droits de l’Homme en Tchétchénie présenté par l’Union européenne ayant été rejeté. Ce texte dénonçait notamment les disparitions forcées, les exécutions extra-judicaires ou les actes de tortures perpétrés par des militaires russes.

Le système très complexe régissant les mécanismes de dépôt, de discussion et de vote des résolutions contribue également à freiner l’action de la commission. Lorsqu’un pays se sent menacé, il peut par exemple lui-même contre-attaquer. Le régime de Cuba savait ainsi qu’il se retrouvait cette année particulièrement dans le collimateur des autres membres en raison de la sévère campagne de répression qu’il mène contre les opposants politiques. Au moment où la commission débattait de la situation politique de l’île, La Havane déposait un amendement pour demander la levée immédiate des sanctions imposées par les Etats-Unis. Une résolution très modérée a finalement été adoptée, incitant simplement le gouvernement cubain à recevoir la représentante du haut commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme. Quant au Zimbabwe, il a, lui été sauvé par une «motion de non-action» déposée par le groupe des pays africains, un texte demandant à la Commission de ne pas se prononcer sur la situation intérieure du pays.

Cette assemblée annuelle offre tout de même des motifs de satisfaction. Comme le souligne Antoine Fobe, responsable des relations extérieures de la section française d’Amnesty International, «il n’y a qu’au sein de cette instance que certains pays sont amenés à débattre des thèmes liés aux droits de l’Homme. Et elle les oblige à prendre position sur certaines questions». De plus, les travaux de la commission ne se limitent ainsi pas à un examen de la situation des droits de l’Homme dans le monde. Elle développe également des «mandats thématiques» et organise, par exemple, des réflexions sur certaines grandes questions de société comme la religion ou la sexualité. Ces discussions ne se retrouvent pas viciées par des pressions ou des enjeux politiques. Et elles contribuent progressivement à faire avancer la réflexion globale autour du respect des droits de l’Homme.



par Olivier  Bras

Article publié le 24/04/2003