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Espace

Kourou: une base spatiale au ralenti

L’Europe vient de pérenniser l’aventure spatiale en débloquant 960 millions d’euros pour le programme d’accès à l’espace Egas. Mais Ariane 5 générique est lancée à perte et au compte-gouttes depuis l’échec fin 2002 de l’Ariane 5-10 tonnes dont le retour en vol est annoncé cet été. Sous la pression de l’Agence spatiale européenne (ESA), une politique drastique de réduction des coûts est en oeuvre au Centre spatial guyanais (CSG). En 2003, sur 1615 salariés, 125 détachés ont dû quitter la base de Kourou et 46 postes de sédentaires ont été supprimés. L’écrémage doit se poursuivre jusqu’en 2006. Dans ce contexte morose, la mission Rosetta s’envole jeudi 26 février.
De notre correspondant en Guyane

L’explosion du premier vol d’Ariane 5-10 tonnes provoque à Kourou une période de transition durable. Quatre tirs sont partis de la base spatiale en 2003 (la dernière Ariane 4 et trois Ariane 5 génériques) et l’on ne devrait pas faire beaucoup mieux cette année. Après le lancement de Rosetta, prévu jeudi, nul autre tir ne se manifeste à l’horizon du premier semestre 2004: «Ce n’est pas un problème lanceur, nous n’avons pas de nouvelles du satellite mexicain Satmex (dont le tir a été annulé fin 2003), et Annick, son successeur, n’est pas prêt», assure Jean-Louis Marcé directeur du CSG depuis septembre et qui prédit toujours «5 à 7 lancements» cette année. La baisse des cadences de tir doit perdurer jusqu’à fin 2006. Ce ralentissement des activités n’a pas que des inconvénients. Ariane 5 générique, en proie à la concurrence sans pitié d’ISL (International Launch Services), une alliance américano-russe, perd plusieurs millions d’euros par tonne lancée: sa capacité d’emport est trop faible par rapport au prix de revient du gramme de satellite.

Avec le coûteux objectif du retour en vol d’Ariane 5 ECA, d’une capacité d’emport de 10 tonnes, la direction de l’ESA a réclamé il y a un an au CSG une économie de 45 millions d’euros sur la période 2003/2005. Première victime sur la base: l’emploi. Yannick D’Escatha, président du Centre national d’études spatiales (Cnes), y a chiffré l’an dernier une diminution de l’ordre de 400 postes. Une feuille de route établie lors d’une commission paritaire employeurs-salariés prévoit de faire chuter l’effectif de la base de 1615 à 1340 personnes entre janvier 2003 et janvier 2005. Un tableau de marche confirmé lors de la réunion du comité inter-entreprises de la base du 9 décembre dernier où a été annoncé le départ de 80 sédentaires supplémentaires début 2004. Le CSG se désengage par ailleurs d’une partie de ses activités hors-base. Début 2004, Arianespace n’a pas renouvelé une convention qui assurait la location à l’année de près de 40% des chambres de l’hôtel Mercure Ariatel de Kourou.

Train de vie revu à la baisse

«Quatre cent-vingt appartement du Cnes Guyane vont progressivement être vendus», reconnaît pour sa part Jean-Louis Marcé. Et les avantages des personnels du CSG ont du plomb dans l’aile. Les voyages en classe Alizée (classe supprimée par Air France) pour les vacances et les missions pourraient basculer en classe Tempo (économique). «Avant juin, rien ne change à ce sujet», précise M. Marcé. La convention de site (prime de vie chère de 25%, de lancement, de flexibilité, etc.) est elle aussi dans le collimateur de la direction du CSG. «On souhaiterait faire évoluer un certain nombres de points, on verra comment on négocie avec les instances», indique encore M. Marcé. Les syndicats de la base bronchent à peine. Seule «action d’éclat», l’Union des travailleurs guyanais (UTG) a distribué des tracts appelant les personnels à la vigilance à l’entrée du CSG mardi 17 février. «Nous ne pouvons mobiliser les gens malgré eux. Au CSG, les employés travaillent à l’abri du soleil et ne se sentent pas menacés, ce ne sont pas les ouvriers purs et durs des chantiers de Guyane», déplore Jean-José Mathias, logisticien au Cnes et délégué syndical UTG.

Certains personnels de la base font part de leur dépit. Ainsi cet ingénieur détaché qui «n’y (crois) plus trop» et repartira à Toulouse cette année. Ou ce cadre Cnes qui s’estime «débordé de travail» par la suppression de la filière des chefs de Département (les chefs de service au Cnes sont passés de 358 à 154 entre janvier 2003 et début 2004). Pour Jean-Louis Marcé, «c’est une nouvelle organisation qui donnera plus de souplesse mais nécessite une période de rodage de 6 mois». En juin prochain un plan de financement 2005-2009 du CSG devra être présenté par l’ESA et le Cnes au conseil ministériel des Etats membres. Il inclut une redistribution des cartes où l’ESA voit son rôle accru. «Les Etats qui financent nous demandent à juste titre des comptes sur la manière dont nous utilisons l’argent, sur le produit obtenu et sur la qualité des industriels», explique Fernando Doblas représentant de l’ESA en Guyane. «Pour les prochaines tranches du programme Ariane, EADS ST devient le maître d’œuvre lanceur unique; Arianespace, le maître d’ouvrage pour la production; et l’ESA, le maître d’ouvrage pour le développement en s’appuyant sur les capacités techniques du CNES qui n’a plus de maîtrise d’ouvrage déléguée». Avec ce risque de démotiver une direction des lanceurs à Evry sans autonomie budgétaire, coincée entre le marteau de l’ESA et l’enclume d’EADS: «L’ESA n’a pas la volonté de reconstruire cette capacité du Cnes», rassure Fernando Doblas.

Aujourd’hui, en attendant 2 vols de qualification pour l’Ariane 5-10 tonnes en 2004 puis 2005, le premier tir de l’année présente son lot d’incertitudes. Pour emporter le satellite Rosetta, doit s’élancer une Ariane 5 G plus, sorte de lanceur hybride avec certains composants initialement destinés à Ariane 5 ECA, notamment une case en carbone jamais utilisée. Avec cette expérience inédite à la clef: le rallumage de l’étage supérieur du lanceur après un tour de la terre. Pas facile de tirer des plans sur la comète Churyumov-Gerasimenko qu’est censée rejoindre Rosetta dans dix ans. «Il y a une part d’inconnu mais nous avons déjà réussi des choses aussi difficiles», estime Fernando Doblas. L’ESA compte aussi des échecs sur les vols 501 et 517 avec des satellites scientifiques non assurés. «Je ne peux pas vous dire si Rosetta est assurée», glisse Fernando Doblas.

Enfin, le chantier de la construction des pas de tir de Soyouz et Vega est censé débuter en fin d’année. Fernando Doblas: «L’objectif est que Soyouz capture le marché des satellites de moins de 3 tonnes également pour remplir Ariane 5 ECA». Ce ne sera pas avant 2007.



par Frédéric  Farine

Article publié le 25/02/2004